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CHAPITE II : CADRE THÉORIQUE

2.2 Les pratiques enseignantes de soutien à la lumière de l’approche sociohistorico-

2.2.1 L’approche sociohistorico-culturelle : des principes théoriques

2.2.1.3 La loi du développement culturel chez Vygotsky

Nous avons vu dans les sections précédentes que chez l’individu, le développement des fonctions d’ordre inférieur en fonctions psychiques d’ordre supérieur se fait grâce aux interactions sociales avec autrui par l’intermédiaire des outils culturels que l’individu s’approprie. Cet état de transformation dans le psychisme de l’individu aboutit à une intériorisation d’une nouvelle fonction psychique d’ordre supérieur qui n’est jamais conçue comme étant une copie sur le plan interne de ce qui se passe sur le plan externe (Vause, 2010), c’est-à-dire que cette transformation se fait au cours des activités partagées avec autrui. Au moment de l’interaction, il y a une cognition partagée entre les acteurs et le sens de l’activité se construit par le rapport mutuel des deux participants (Bodrova et Leong, 2012; Kozulin, 1998) en se référant à leur expérience historique et à leur bagage culturel.

Qu’est-ce qui provoque le développement, voire la transformation, d’une fonction d’ordre inférieur en une fonction d’ordre supérieur ? Une fonction d’ordre supérieur développée ne s’inscrit pas dans la continuité d’une fonction primitive (Vygotsky, 1930-1931), la nouvelle fonction développée vient remplacer une ancienne fonction et restructure le cours du développement culturel de l’individu. À ce propos, Vygotsky (1930-1931) réfère aux concepts de lutte et de devenir pour expliquer le développement. Au sein de la société, le partage des

expériences, des histoires et des activités met l’individu devant de nouveaux produits culturels qu’il s’approprie. C’est le mouvement dialectique qui est le moteur interne de ce développement/transformation : la contradiction entre ce que l’individu/l’élève est capable de faire et ce qu’il doit pouvoir faire à un moment donné incite le développement (Schneuwly, 2007). Selon les propos de Vygotsky, le conflit entre les deux plans, naturel et culturel, engendre le développement :

On introduit dans l’histoire du développement de l’enfant le concept de conflit, c’est- à-dire la contradiction ou la collision entre le naturel et l’historique, le primitif et le culturel, l’organique et le social. Tout comportement culturel de l’enfant se développe sur la base de formes primitives, mais cette croissance implique souvent le conflit : l’ancienne forme est repoussée et parfois complètement détruite [...] (Vygotsky, 1930-1931, p. 108)

Transférés en contexte scolaire, la transformation du psychisme et le développement d’une fonction d’ordre supérieur correspondent à la construction des connaissances chez l’enfant, qui se fait en premier lieu grâce à l’utilisation des outils (Coll et Marti, 2001; Ivic, 1994; Wertsch, 1985b) à travers ses interactions sociales, puis en deuxième lieu, grâce à son intériorisation de la nouvelle fonction. Par exemple, la mémorisation d’une série de mots à l’aide de cartes et d’images est un développement culturel de la mémoire (Vygotsky, 1928). Dans ce cas, la mémoire se transforme en une mémoire consciente par intériorisation des outils qu’un enseignant met à la disposition de l’élève au cours d’une activité (Schneuwly, 2007). Toutes les activités existent d’abord dans un espace commun, voire social, puis se déplacent vers un espace individuel (Bodrova et Leong, 2012). La loi génétique du développement culturel, énoncée par Vygotsky, fait donc intervenir ces deux temps : interaction sociale, puis interaction avec le soi et intériorisation de l’outil sur le plan individuel19. Vygotsky (1981)

énonce que chaque fonction mentale d’ordre supérieur apparaît deux fois : une fois à l’extérieur, comme fonction interpsychique sur le plan social, et une deuxième fois à l’intérieur, comme fonction intrapsychique, sur le plan individuel (quasi social) :

Any function in the child’s cultural development appears twice, or on two planes. First it appears on the social plane, and then on the psychological plane. First it appears between people as inter-psychological category, and then within the child as an intra-psychological category. This is equally true with regard to voluntary

19 Nous verrons dans le quatrième chapitre que nous avons organisé nos données en nous inspirant des deux plans de développement : social et individuel.

attention, logical memory, the formation of concepts, and the development of volition. (Vygotsky, 1981, cité dans Wertsch, 1985b, p. 60)

La loi de développement nous permet de dire que dans un contexte scolaire, les méthodes d’enseignement actives basées sur les échanges et les négociations mutuels des participants engendrent des transformations chez l’élève, voire la construction de nouvelles connaissances et compétences. Ainsi, les pratiques de soutien auprès des élèves d’origine immigrante font partie de cet environnement interactif. Pourtant, selon Vygotsky (1928), l’intériorisation d’une nouvelle fonction ne se produit pas nécessairement après chaque activité jointe ou après tout soutien mis en place. Elle survient à la suite d’expériences successives de l’élève avec l’outil à travers les interactions avec les autres.

Dans cette partie visant à présenter les principes théoriques de l’approche sociohistorico- culturelle, nous retenons que le développement culturel de l’individu se fait dans un contexte social et historico-culturel grâce aux produits culturels que l’individu partage avec autrui, mais aussi avec le système social (l’école et la classe dans notre recherche). L’aspect matériel caractérise le contexte social, dans le sens que l’activité humaine est influencée par le rôle que les artefacts et les signes exercent sur l’individu. Ceux-ci sont historiquement ancrés dans le socioculturel et ils sont médiatisés au moment des interactions sociales avec l’autre. Le développement culturel de l’individu prend naissance dans ces interactions sociales à travers les outils, puis se complète sur le plan individuel. Cela se fait lorsque l’individu peut s’approprier les outils et les transformer en signes psychologiques. Dans ce contexte, l’enseignant joue le rôle de médiateur afin de permettre le développement et l’apprentissage de l’élève en classe. Les deux interagissent au moment des activités partagées grâce à des outils culturels.

Après avoir abordé les principes théoriques de l’approche vygotskienne, il est maintenant important de voir cette approche dans le contexte de la salle de classe. En d’autres termes, regarder le rôle de l’éducation formelle et de l’enseignant dans le processus de développement de l’élève. Vygotsky n’a pas formulé une théorie explicite de l’enseignement, il a parlé du rapport entre le développement et l’apprentissage. Il a énoncé le concept de zone de développement proximal (ZDP). Nous présentons maintenant ce concept, car il nous offre un

éclairage sur le développement de l’élève, mais aussi sur le travail de l’enseignant, notamment le soutien. D’autres chercheurs, à sa suite, se sont intéressés au concept d’étayage comme pratique de soutien qui agit dans la ZDP de l’élève pour expliquer le rôle de l’enseignant dans le processus de développement de l’élève. Nous présentons maintenant le rapport entre le développement culturel et l’apprentissage scolaire, en introduisant plus spécifiquement deux concepts, celui de la ZDP et de l’étayage. En lien avec ces deux concepts basés sur les échanges et les dialogues entre l’élève et l’enseignant, nous présentons le langage comme outil culturel.