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CHAPITE II : CADRE THÉORIQUE

2.2 Les pratiques enseignantes de soutien à la lumière de l’approche sociohistorico-

2.2.2 Le rapport entre le développement culturel et l’apprentissage scolaire

2.2.2.2 L’étayage

Le sens de l’étayage est inspiré du concept de zone de développement que Vygotsky a introduit (Baleghizadeh et al., 2011; Nassaji et Cumming, 2000; Nielsen, 2008; Reiser, 2004; Wertsch, 1984). Bien que Vygotsky n’ait jamais utilisé le terme d’étayage, la signification de ce concept est claire dans ses écrits. Des auteurs vont jusqu’à considérer l’étayage comme synonyme de la zone de développement proximal (Cumming-Potvin, 2007).

Le terme « étayage » provient du mot anglais scaffolding, qui signifie un cadre temporaire de bois ou de métal utilisé pour supporter les ouvriers durant leur travail de construction (Dictionnaire Collins, 2003). Scaffolding a été utilisé la première fois par Bruner dans une situation non scolaire, dans le sens d’une interaction entre une mère et son enfant (Pea, 2004). Wood, Bruner et Ross (1976, p. 90) le reprennent dans le sens de tutorat, où un adulte

compétent assiste un enfant moins compétent pour l’aider à résoudre un problème difficile : « scaffolding process enables a child or novice to solve a problem, carry out a task or achieve a goal which would be beyond his unassisted efforts ». Dans leur étude qui se déroule dans un contexte non scolaire, ils décrivent comment un tuteur a aidé des enfants âgés de trois, quatre et cinq ans à faire une construction tridimensionnelle en utilisant des blocs de bois. Le tuteur tente de travailler individuellement avec chaque enfant en suivant des prescriptions et des instructions qu’il a préparées pour l’aider à faire la construction. Le tuteur agit en trois étapes : il laisse l’enfant travailler seul, il interagit ensuite avec lui en lui donnant des instructions verbales et il intervient directement en modelant, en démontrant et en expliquant. L’action du tuteur dépend de la performance de l’enfant au cours de la tâche. Dans leur article, les auteurs dégagent six fonctions du tuteur. Depuis, ces six fonctions sont utilisées comme cadre d’analyse pour un nombre élevé de recherches sur l’étayage, ce sont : 1) l’enrôlement, qui correspond à engager l’élève dans la tâche. 2) La réduction des degrés de liberté, qui consiste à réduire les actions requises de l’élève. 3) Le maintien de l’orientation, qui consiste à ce que le tuteur doit aider l’élève à ne pas s’écarter du but de la tâche. 4) La signalisation des caractéristiques déterminantes. 5) Le contrôle de la frustration pour éviter le sentiment d’échec chez l’élève et 6) la démonstration, qui consiste à faire un modèle devant l’élève ou à expliquer explicitement.

Toujours dans le même article, la définition et l’exemple donnés par Wood et al. (1976) montrent que le soutien est limité à l’acquisition d’une tâche précise, informelle, spécifique et isolée d’un contexte scolaire, et que le rôle du tuteur est prescrit, car il a suivi un plan préalable pour les instructions. C’est ainsi que Wood et Wood (1996) ont dégagé, dans un article, trois critiques adressées au concept d’étayage élaboré en 1976 : l’étayage aurait ignoré la nature de l’interaction entre l’adulte et l’enfant; il a été limité à une tâche unique et isolée (isolée signifiant ici que le travail avec l’enfant a été fait individuellement en laboratoire) et la nature des mécanismes de communication n’a pas été étudiée.

Plus tard, le concept a été utilisé dans des recherches menées en contexte scolaire. Ainsi, plusieurs définitions de l’étayage soulignent la relation d’aide temporaire et graduelle entre un enseignant et un élève. Hogan et Pressely (1997) le définissent comme une manière efficace

pour un adulte plus compétent d’aider un élève à accomplir une tâche qui lui est difficile. Gibbons (2002) signale que l’étayage n’est pas synonyme de « soutien », mais qu’il constitue un type spécifique de soutien poussant les élèves vers de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences. Reiser (2004) considère l’étayage comme une intervention adéquate d’une personne pour soutenir l’élève et par laquelle il améliore sa production. Lajoie (2005) le considère comme un plan de travail temporaire pour soutenir les élèves quand ils en ont besoin et qui leur est ensuite retiré. Dans le même sens, Hadwin, Wozney et Pontin (2005) le voient comme un retrait graduel du contrôle et du soutien de l’enseignant au fur et à mesure que l’élève développe la maîtrise de la tâche. De la même façon, Fisher et Fray (2008) relient le processus d’apprentissage dans un contexte riche en interactions au transfert graduel de responsabilité de l’enseignant vers l’élève. Certaines définitions relient l’étayage à la médiation. Baleghizadeh et al. (2011) le définissent comme un modèle de soutien pour guider les élèves à travers une médiation sémiotique dans le but d’acquérir des compétences de niveau supérieur et de régulation. Pour leur part, De Guerrero et Villamil (2000) le voient comme des comportements de soutien par lesquels un partenaire aide l’autre, dans une situation interactive médiatisée, à atteindre des niveaux plus élevés de compétence et de régulation. Nassaji et Swain (2000) définissent l’étayage comme un support médiatisé qu’un adulte compétent offre auprès d’une autre personne moins compétente dans une situation de collaboration. Pour Bucheton (2009), c’est un modèle d’accompagnement, une intervention de l’enseignant dans un espace d’apprentissage que l’élève ne peut mener seul.

En nous référant à l’ensemble de ces définitions, l’étayage n’est pas conçu comme un ensemble d’outils ou de stratégies mobilisés mécaniquement par l’enseignant pour soutenir l’élève, il s’agit d’un soutien temporaire, retiré graduellement, qui vise à pousser l’élève à un niveau de développement plus élevé.

À la lumière de ce qui précède, nous retenons la définition selon laquelle l’étayage est conçu comme une pratique de soutien interactive médiatisée et temporaire, qui agit d’une façon dynamique dans la zone de développement proximal de l’élève. Par « interactif », nous mettons l’accent, dans le cadre de cette recherche, sur le rôle de l’enseignant dans le développement d’un contexte riche en échanges au moment de l’interaction avec l’élève. Les

actions de l’enseignant et ses choix d’outils sont le résultat d’un processus de négociation (Schneuwly, 2008), d’ajustement22 (Bucheton, 2009) et de délibération de l’enseignant à la

suite de ses perceptions, de ses choix et de ses décisions dans l’action tout en considérant les besoins de l’élève. Par « médiatisé », nous insistons sur le rôle des outils, dont le langage, au cours des interactions. Par « temporaire », nous entendons que le soutien offert se retire graduellement. L’enseignant diminue sa prise de contrôle au moment de l’interaction. Par « dynamique », nous soulignons, à la manière de Baleghizadeh et al. (2011), l’importance de l’intensité du soutien dans la zone de développement proximal. Ainsi, l’étayage commence sur le plan interpsychologique ou social par l’interaction entre un enseignant et un élève dans une tâche qui lui est difficile à travers des outils appropriés et se poursuit sur le plan intrapsychologique ou individuel de l’élève. Le soutien vise à aider l’élève à accomplir seul une tâche qui lui est difficile et qui se situe au-delà de son niveau de développement actuel, toujours dans sa zone de développement proximal, mobilise ses fonctions cognitives (et métacognitives) pour construire son savoir, internaliser la nouvelle tâche et utiliser les compétences acquises dans de nouvelles situations (Rogoff, 1990, cité dans Masters et Yelland, 2002; Reiser, 2004).

L’étayage, voire l’action, dans la zone de développement proximal de l’élève s’appuie sur les échanges, les dialogues et les négociations entre l’enseignant et l’élève afin d’arriver à un consensus sur le sens de la tâche. Autrement dit, les interactions entre l’élève et l’enseignant se basent sur le langage qui constitue un outil culturel central au développement des fonctions psychiques d’ordre supérieur. Nous développons dans la partie qui suit.