• Aucun résultat trouvé

Les échos immédiats

II. Les figures du marquis dans les journaux et mémoires du temps.

2. Vues de Bretagne : un portrait au noir.

Appréciations toutes parisiennes, erronées ; de Bretagne, les quelques mémorialistes qui se sont penchés sur la conspiration étaient mieux renseignés. Deux récits bretons de l’affaire rongent ainsi le XVIIIe siècle : le premier de Jacquelot du Boisrouvray est contemporain des faits qu’il évoque, nous en avons parlé déjà ; le second, du président de Robien, fut rédigé dans les années 1750. Tous deux évoquent notre figure354, figure d’apparat, qui ne fait en retour que peupler faiblement ces deux récits.

Au sein du Journal historique de tout ce qui s’est passé en Bretagne pendant les premières

années de l’administration de Philippe, duc d’Orléans, régent du Royaume, manuscrit non

publié par Robien, Pontcallec est second rôle, il n’apparaît qu’à la toute fin ; l’on suit son arrestation puis sa mise à mort avec une attention néanmoins soutenue.

Jacquelot du Boisrouvray accorde, lui, au sein de son Histoire des malheureux événements

arrivés entre les Etats de Dinan et d’Ancenis une place plus grande au marquis. L’auteur,

membre de la noblesse aux états de Bretagne, fut un des gentilshommes exilés de Dinan en 1717 ; attentif aux affaires de la province, il participa à quelques réunions qui précédèrent la conspiration355. Celle-ci, nous dit-il, commença à naître dans les « furtifs rendez-vous » que les quatre nobles exilés de 1717 – MM. du Groesquer, de Piré, de Noyant et de Bonamour – organisèrent à Paris, en complicité avec la duchesse du Maine et l’ambassadeur d’Espagne356

. Revenu en Bretagne, Bonamour, âme du complot, aidé de Lambilly, donnèrent impulsion et

353

Edmond Jean-François BARBIER, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, avocat au Parlement de Paris, Paris, Charpentier, 1866, vol. 1, p. 224.

354

François-René de JACQUELOT DU BOISROUVRAY, « La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit. et Christophe-Paul DE ROBIEN, Journal historique de tout ce qui s’est passé en Bretagne pendant les premières années de l’administration de Philippe, duc d’Orléans, régent du Royaume, op. cit., vers 1753.

355

L’expression est du Gustave-Thomas DE CLOSMADEUC dans son introduction à François-René DE JACQUELOT DU BOISROUVRAY, Journal inédit d’un député de l’ordre de la noblesse aux Etats de Bretagne pendant la Régence (1717-1724), Nantes, Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne, 1905, p. 6.

356

François-René de JACQUELOT DU BOISROUVRAY, « La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit., p. 92.

forme à l’affaire – de la lutte légale à la conspiration, le glissement s’opéra peu à peu, que désapprouve notre narrateur Jacquelot. Dans toute cette histoire Pontcallec ne fut, nous dit l’auteur, qu’un second couteau derrière les deux meneurs, Lambilly et Bonamour.

Mieux renseignés, assignant Pontcallec au rôle historique qu’il joua effectivement au sein du complot, ces deux relations bretonnes de l’affaire sont également les seules alors – à l’exception notable de la Vie de Philippe d’Orléans du père jésuite Yves de la Motte parue en 1736357 – à dépeindre notre marquis en quelques lignes, à le caractériser, à le décrire avec une certaine précision.

Dans ces trois récits358 le portrait dressé du personnage est similaire – et somme toute peu reluisant. Le père Yves de la Motte, par exemple, parle de notre figure en ces termes :

« Le Marquis de Pontcalec, qu’on mit à la tête de [l’] affaire [de Bretagne], suffisoit pour la faire échouer : c’étoit un homme sans mœurs, sans courage, sans génie, extrêmement décrié, et auquel il étoit impossible qu’on se soumît sans beaucoup de répugnance. Plusieurs de ceux qu’on lui avoit associés ne valoient guéres mieux. Les autres manquoient d’expérience et des autres qualités nécessaires pour conduire une entreprise de cette nature 359».

Voici notre marquis lâche, déprécié et infâme ; la personnalité de Pontcallec est, pour le père jésuite, une des explications à l’échec du complot.

L’ouvrage d’Yves de la Motte fut consulté par Robien pour construire son propre Journal360 , dans lequel le président esquisse un portrait pareillement négatif du personnage, dépeint sous sa plume comme un gentilhomme de « peu de cœur 361». Chez Jacquelot, Pontcallec est caractérisé par son statut de contrebandier, fraudeur de tabac ; les mesures répressives prises contre cette activité fut, nous dit-il, le motif principal qui le fit rejoindre le « party de

357

L.M.D.M. [Yves de LA MOTTE], La vie de Philippe d’Orléans, op. cit., vol. 1, p. 375.

358

On inclut en effet dans l’analyse qui suit le texte d’Yves de la Motte.

359

Le père Yves de la Motte poursuit : « Le seul qui y fût propre, étoit un simple gentilhomme, qui malgré son mérite, assez généralement reconnu après vint ou trente années de service, manque d’argent ou de certaines recommandations, n’étoit encore que Lieutenant d’Infanterie ; il se nommoit Hervieu de Melac. » Ibid., vol. 1, p. 375.

360

Le Président de Robien affirme dans l’introduction de son Journal qu’il a eu accès à deux Mémoires du temps pour composer le sien : un certain « Mémoires de la Régence » et une « Vie du duc d’Orléans » (Christophe-Paul

DE ROBIEN, Journal historique de tout ce qui s’est passé en Bretagne…, op. cit., fol. 1). Le premier ouvrage

correspond probablement aux Mémoires de la Régence du Chevalier de Piossens, publiés sans nom en 1729 et 1749 ; le second est La vie de Philippe d’Orléans, petit-fils de France, Régent du Royaume pendant la Minorité de Louis XV paru en 1736 sans nom et attribué donc à Yves de La Motte ; de nombreux éléments se retrouvent d’un texte à l’autre ; parmi ces éléments, l’appréciation de Hervieu de Mellac en « bon officier » ou la culpabilité de Pontcallec et de son non-départ dans le sanglante conclusion nantaise.

Bonamour 362» ; au reste, il est présenté en « grand dissipateur 363» qui dut attendre la toute fin de 1719, alors que les principaux associés se furent embarqués pour l’Espagne, pour enfin devenir meneur.

Dans ces trois récits une question, récurrente, se pose, en creux : pourquoi notre marquis, dernier meneur sur le sol breton, ne s’embarqua-t-il pas pour l’Espagne, avec Lambilly et Bonamour, avec Talhouët de Boisorhand et Hervieu de Mellac ? D’évidence son départ eût suffi à éviter la sanglante conclusion du Bouffay – comme l’affirme Robien, Pontcallec enfui, « il n’y eust point [eu] de sang répandu 364». Mais c’était sans compter, nous dit-on, sur la faiblesse, la lâcheté, la « poltronnerie » – le mot est de M. de Lambilly, repris à son compte par Jacquelot365 – du marquis ; craignant la mer, « il n’osa et ne voulut jamais s’embarquer 366

» ; Mme de Lambilly confirme d’ailleurs dans son interrogatoire que Pontcallec eût préféré se laisser prendre que de se sauver par la mer367. Ainsi sa « pleutrerie », sa « faiblesse » sont jugés en partie par nos trois auteurs responsables du drame du 26 mars ; dernier cadre de la conspiration resté sur le sol breton, une fois arrêté, Pontcallec, est-il dit, « ne se contenta pas de déclarer tous ceux avec qui il s’était plusieurs fois assemblé, et qui avaient reçu de l’argent d’Espagne. Il dénonça tous ceux qu’il avait engagé dans le malheureux parti après avoir tout avoué pour lui-même, et confondit parmi eux une infinité de personnes qui n’avaient jamais ouï parler de cette intrigue ; heureux ceux dont les noms ne lui vinrent pas à la mémoire 368». Comme le résume le père Yves de La Motte :

« Si ces complices avoient exécuté leur dessein, qui étoit de l’emmener de gré ou de force, ils lui auroient sauvé la vie et à ceux qui furent bien-tôt exécutés avec lui sur la déposition, et sur les preuves qu’il fournit contre eux 369

».

361

C’est-à-dire ayant peu de courage : « Pontcallec avoit servi quelquetems en qualité de capitaine dans le Régiment de Bretagne dragons, d’où son peu de cœur le retira, et ne l’abandonna qu’après sa mort ». Christophe- Paul DE ROBIEN, Journal historique…, fol. 136.

362

François-René deJACQUELOT DU BOISROUVRAY,« La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit., p. 100.

363

Ibid., p. 100.

364

Christophe-Paul DE ROBIEN, Journal historique…, fol. 128.

365

François-René deJACQUELOT DU BOISROUVRAY,« La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit., p. 77. Montlouis, dans son Interrogatoire parle également des « frayeurs continuelles » du marquis (« Interrogatoire du sieur de Montlouis », op.cit., p. 291).

366

Ibid., p. 109. Yves de La Motte le dit aussi : « Pontcallec soutint son caractére, il eut peur de la mer » (L.M.D.M. [Yves de LA MOTTE], La vie de Philippe d’Orléans, op. cit., vol. 1, p. 376).

367

Voir Barthélémy POCQUET DU HAUT-JUSSE,Histoire de Bretagne, op. cit., p. 77 n.1.

368

François-René de JACQUELOT DU BOISROUVRAY, « La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit., p. 114.

369

Pontcallec, nous dit-on, de sa simple présence excita la justice ; ses dépositions à l’emporte- pièce, en outre, engendrèrent la quadruple exécution du Bouffay.

Une fois ces aveux professés, arrivèrent donc les « ordres terribles » depuis Paris jusqu’à Nantes et « le funèbre arrêt […] fut lu sur les quatre heures du soir aux quatre infortunés qui devaient périr 370». Le marquis de Pontcallec « mourut comme il avait vécu 371» :

« Quand on lui lut son arrêt il s’abandonna à un si grand désespoir que son confesseur fut pendant plus de trois heures sans pouvoir le faire penser un seul instant à Dieu.

« Quoi ! disait-il, en versant un torrent de larmes, est-ce ainsi que l’on m’a trompé ! ceux que j’ai cru être de mes meilleurs amis, le commissaire qui m’a interrogé, avec qui j’ai fait mille parties de plaisir à Paris, tout le monde en un mot, m’assurent que je n’ai qu’à tout avouer et qu’ils me répondent de ma grâce, cependant je péris…, et entraîne dans mon malheur, pour m’être fié à eux, trois des plus honnêtes gens du monde ; car sans la confiance qu’ils avaient en moi et ce que je leur ai fait dire, ils n’auraient jamais rien avoué et se seraient tirés comme les autres d’une affaire, qui eu égard à des circonstances, ne devait jamais mériter la mort. »

Enfin, il passa le peu de temps qui lui restait, tantôt dans la fureur, le plus souvent dans la faiblesse, ne pouvant se résoudre à terminer une vie dont jusqu’alors il n’avait fait qu’un très mauvais usage 372».

Ce dernier moment offre une vision paroxystique de cette coupable pusillanimité qui anime, nous dit-on, notre malheureux marquis ; écoutons Robien :

« [Pontcallec] monta sur l’échaffaut où il fist de très grands cris, et se refusoit à l’exécution le plus qu’il pouvoit, mais un des valets de l’exécuteur l’ayant attrapé par une des oreilles, le maître lui mit la doloire sur le col, et l’autre frappa un grand coup d’une masse de fer 373

».

« Le marquis de Pontcallec, conclut Yves de la Motte, mourut comme une femme, en pleurant et en soupirant 374».

Bref l’image est loin de celle que proposa Nicolas de Tous-les-Saints dans sa « Relation fidèle… ». On peut supposer pourtant qu’elle ne fut pas nuisible à la figure naissante de Pontcallec. Eu égard à la diffusion pour le moins limitée de ces trois écrits, à leur peu d’influence, ces portraits similaires n’eurent qu’un très faible impact sur l’image de notre

370

François-René de JACQUELOT DU BOISROUVRAY, « La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit., p. 119.

371

Ibid., p. 119.

372

Ibid., p. 119.

373

marquis. Le manuscrit de Jacquelot fut découvert dans les années 1860 chez un débitant de tabac qui en distribuaient les feuillets avec le produit de son commerce ; un érudit passant par là s’appropria l’ouvrage pour quelques sous et l’offrit au docteur de Closmadeuc, qui le fit publier pour la première fois en 1871 dans le Bulletin de la société polymathique du

Morbihan375 ; avant cette date aucunes traces de ce récit oublié. Quant au manuscrit de Robien, jamais publié, au mémoire d’Yves de la Motte, qui ne fut pas réédité après 1736, leur influence sur le façonnement du souvenir de Pontcallec fut pareillement faible ; on ne trouve nulles références à ces ouvrages avant le premier XXe siècle. Ce qui ne rend pas de facto ces documents inutiles, loin s’en faut ; il convient simplement de les traiter à leur juste « valeur », non pas comme matrices du souvenir, mais comme indices de mémoire, non instruments de transmission ou de diffusion d’une image mais réceptacles actifs d’un air du temps. Un temps qui voit émerger ce qui ressemble fort à un hiatus entre deux représentations de Pontcallec, et plus généralement de l’ « affaire de Bretagne » : une représentation que l’on retrouve dans certains écrits des élites parisiennes, ainsi que dans le récit du confesseur Nicolas, à une autre échelle cela dit, attentive à la douleur christique des quatre martyrs, Pontcallec en tête ; et une représentation exprimée par les deux écrits bretons, plus à l’écoute des réalités du complot, où l’émotion, présente, s’efface un peu derrière l’analyse précise des mobiles et des causes. Alors que la première néglige les conditions et les entours d’une conspiration vague et indéfinie, la seconde les décrit avec attention. Si, dans la première image, le personnage de Pontcallec est inexprimé voire désossé, je veux dire « impersonnalisé », pouvant ainsi venir se couler dans le moule préétabli du héros martyr, la seconde image se penche sur l’homme Pontcallec et, par cette mise en lumière, lui dénigre le statut de victime. Hiatus étrange ; il semblerait donc que, dans les années 1720-1730 les élites parisiennes aient été globalement plus sensibles au personnage que les élites bretonnes ? Il n’y a en réalité guère lieu de s’étonner de la fortune immédiate du personnage ; outre que la compassion exprimée par les mémorialistes parisiens ne doit pas être exagérée – il s’agit tout au plus d’un prompt mouvement de pitié littéraire, mêlé d’une sorte d’indignation contenue – nos deux mémorialistes bretons, probablement mieux renseignés sur l’affaire, obéissaient à des motifs personnels qui rendaient nécessaire dans leurs écrits une certaine explication du complot. Dans les deux cas il s’agit ainsi de donner à voir les logiques de la contestation bretonne, tout en pointant du doigt le dérapage que constitue la conspiration proprement dite ; ou, pour mieux dire, d’exprimer la césure entre

374

L.M.D.M. [Yves de LA MOTTE], La vie de Philippe d’Orléans…, op. cit., vol. 2, p. 73.

375

Le récit rocambolesque de la découverte du manuscrit est narré par Gustave-Thomas DE CLOSMADEUC dans son introduction à François-René DE JACQUELOT DU BOISROUVRAY, Journal inédit d’un député de l’ordre de la noblesse aux Etats de Bretagne pendant la Régence (1717-1724), op. cit., p. 2.

des revendications fondées en droit et une forme de protestation jugée inadmissible. On comprend aisément que Jacquelot, impliqué dans la lutte légale de 1717-1718 – rappelons qu’il fit parti des 63 exclus des états de Dinan – ait ressenti le besoin de s’atteler à une telle tâche ; pour le président de Robien il s’agissait ce faisant de justifier l’action de son beau-père et cousin, le comte de Kerambourg, alors considéré par les conjurés comme l’un des principaux délateurs de l’affaire376. De plus, et on y reviendra, le complot n’avait d’évidence pas la même résonnance à Paris et en Bretagne quelques années seulement après son démantèlement – si une certaine indignation apprêtée, une compassion émue peut parcourir sans crainte les textes parisiens, écrits par des élites lointaines à l’intrigue, on peut comprendre en revanche que les mémorialistes Bretons aient jugé préférable de prendre leur distance eu égard à une affaire qui les concernait de près.

Deux visions, deux images – elles-mêmes déclinées en une large palette de teintes, depuis les plus pâles (le Pontcallec pleutre de Jacquelot et Robien, le marquis d’indifférence de Saint-Simon ou de Dangeau) jusqu’aux plus criardes (le Pontcallec incompétent et honni d’Yves de la Motte, responsable premier de l’échec de l’affaire, le héros martyr de Nicolas de Tous-les-Saints). Deux visions, deux images – la seconde, la plus fade, la plus impropre à la mémoire probablement, représentation mort-née, portée par une poignée de récits qui n’eurent jamais l’occasion de trouver d’audience, ne « prit pas ». Le souvenir des motifs et des causes de l’affaire s’estompa bien vite ; la « personnalité » du marquis, réelle ou supposée, fut rapidement oubliée.