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Les échos immédiats

II. Les figures du marquis dans les journaux et mémoires du temps.

1. Une conspiration de Pontcallec ?

Une remarque s’impose en premier lieu : le complot n’est jamais au XVIIIe

siècle nommé

conspiration de Pontcallec. Le nom officiel fut celui d’affaire de Bretagne ; c’est lui que l’on

peut lire dans les procédures338, c’est ce titre que nous ont transmis les contemporains339.

Pontcallec n’est ni le blason ni la signature de l’affaire ; le personnage n’apparaît pas encore

en en-tête du complot.

Seulement, il semble que notre figure ait été considérée par les autorités parisiennes comme

le meneur de l’affaire : on se souvient que le Garde des Sceaux, le marquis d’Argenson,

l’appelait « le chef des révoltés 340

» ; instigateur et meneur, c’est ainsi que le Régent lui-même concevait Pontcallec si l’on en croit Jacquelot. Pour le gentilhomme breton, le Régent aurait décidé de faire spécifiquement de Pontcallec le symbole des troubles de Bretagne – autant du fait de sa position supposée de chef de la conjuration bretonne que de ses tendances avérées à la fraude – en le destinant à un châtiment exemplaire,:

338

Ainsi le publiciste jacobin Jean-Louis Carra, qui fut nommé le 29 juillet 1789 à la commission chargée d’ouvrir et de ranger les papiers de la Bastille, publia à l’automne de cette même année un « détail sommaire » du complot breton. Ce détail officiel, daté du « 9 décembre 1718 », trouvé à la Bastille où avaient été incarcérés le duc de Richelieu et Mlle Delaunay, future Mme de Staal, pour leur implication dans la conspiration de Cellamare en 1718, puis le comte de Noyant fin 1719 pour son rôle dans la conspiration bretonne, ce document donc décrit le complot en question comme « l’affaire de Bretagne, arrivée sous la minorité du Roi, durant la régence de M. le Duc d’Orléans » ([Jean-Louis CARRA],Mémoires historiques et authentiques sur la Bastille, Paris, Buisson, 1789, tome 2, p. 188-196). En outre, dit Gilbert Baudry, « Neuf épais registres conservés à la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris, contiennent les interrogatoires des nobles bretons emprisonnés à Nantes, ceux des témoins auxquels ils furent confrontés, ainsi que les papiers saisis au cours de l'enquête [s]ous le titre général d'"Affaire de Bretagne". » (Gilbert BAUDRY, « Les Seigneurs de Pont-Callec et de la Porte-Neuve », Bulletin annuel de la société d’Archéologie et d’Histoire du pays de Lorient, 1993, disponible en ligne sur le site

http://www.sahpl.asso.fr/).

339

L’expression « affaire de Bretagne » est utilisée par la duchesse du Maine dans son interrogatoire (Arthur DE

LA BORDERIE, « Histoire de la conspiration de Pontcallec », op. cit., ch. VI, p. 13), par Mme de Staal, qui trempa dans la conspiration de Cellamare (Mme de Marguerite de LAUNAY, Baronne de STAAL, Mémoires de Mme de

Staal écrits par elle-même ou anecdotes de la Régence, troisième partie, Amstedam et Leipzig, Arkstee et Merkus, 1756, p. 11), par le père jésuite Yves de la Motte dans une relation contemporaine des faits (L.M.D.M. [Yves de LA MOTTE], La vie de Philippe d’Orléans, op. cit., vol. 2, p. 70), etc.

340

Voir Supra, p. 47. Voir, en outre, Joël CORNETTE, Le Marquis et le Régent, op. cit., p. 211. Barthélémy POCQUET DU HAUT-JUSSE,Histoire de Bretagne, op. cit., p. 130.

« L’on mandait tous les ordinaires à M. le duc d’Orléans, qu’on était près de prendre le grand

chef des révoltés [Pontcallec] ; et comme il l’avait très à cœur […] il était résolu de le donner

lui seul pour exemple […] parce qu’il n’ignorait pas qu’il était méprisé de tout le monde, et qu’il avait fait plusieurs autres actions qui méritaient d’être punies 341

».

Ceci posé, il ne faut pas s’étonner de voir l’appréciation reconduite dans un certain nombre de récits contemporains : le père Yves de la Motte place Pontcallec « à la tête de [l’] affaire [de Bretagne] 342», la propre mère du Régent, la princesse Palatine, affirme que « celui qui a reçu de l’argent d’[Albéroni] est un seigneur d’une des meilleures maisons de Bretagne, il s’appelle M. de Pontcaillé 343

» ; le maréchal de Richelieu jugea pareillement Pontcallec en chef de file des conjurés :

« Quelques gentilshommes rêvèrent même l’indépendance de l’ancienne Bretagne et une liberté républicaine. Le Marquis de Pont-Calec était leur chef 344».

D’autres fois, des indices plus ponctuels témoignent de la bonne fortune du personnage ; le marquis de Dangeau, dans son Journal, narre en détail le feuilleton que fut la fuite de Pontcallec – dès le 12 octobre 1719 le fugitif est signalé345, le 25 décembre, Dangeau consigne la note qui suit :

« M. de Poncalec a pensé être pris dans une forêt qui est à M. de Goësbriant ; [il] ne s’est sauvé que par la vitesse de son cheval, [on] le poursuit encore et [on] croit qu’on le prendra 346

».

Vient alors le 3 janvier 1720 : « le marquis de Poncalec a été arrêté en Bretagne ; il y avoit quelques jours qu’on le suivoit dans une forêt où il étoit caché ; on l’a trouvé déguisé en paysan 347». Responsable de son arrestation, M. de Mianne a même droit aux éloges du

341

François-René deJACQUELOT DU BOISROUVRAY,« La conspiration dite de Pontcallec, en Bretagne, sous la Régence… », op. cit., p. 113.

342

L.M.D.M. [Yves de LA MOTTE], La vie de Philippe d’Orléans, op. cit., vol. 1, p. 375.

343

Lettre envoyée de St Cloud le 23 novembre 1719 (Elisabeth Charlotte de BAVIERE, duchesse d’ORLEANS, Lettres de Madame duchesse d'Orléans née Princesse Palatine. 1672-1722, publié par Olivier AMIEL, Paris, Mercure de France, 2000, p. 595).

344

Louis François Armand de VIGNEROT DU PLESSIS, duc de RICHELIEU, Mémoires historiques et anecdotiques

du duc de Richelieu, op. cit., 1829, tome 2, p. 311-312. L’édition de Soulavie ne dit pas autre chose (Jean-Louis Giraud SOULAVIE, Mémoires du maréchal duc de Richelieu, op. cit., 1790, p. 191).

345

Philippe de COURCILLON DE DANGEAU,Journal du marquis de Dangeau, tome XVIII, op. cit., 1860, p. 136.

346

Ibid., p. 190.

347

gentilhomme parisien348

. A la date du 10 janvier, une phrase annonce que « M. de Poncalec, qui a été pris en Bretagne, a été transféré à Nantes et interrogé par M. de Beaussan, l’un des maîtres des requêtes qu’on y avoit envoyés 349

» ; enfin, à la date du 30 mars, une note annonce cliniquement le verdict de la Chambre Royale :

« Le mardi 26, MM. de Pontcalec, le chevalier de Talhouët, Montlouis et Coëdic, capitaine de dragons, eurent le cou coupé à Nantes ; et on en a effigié seize autres 350».

L’attention qu’accorde l’écrivain à l’arrestation de Pontcallec est exceptionnelle, elle n’est pas cas commun ; jamais Dangeau ne se soucie-t-il de la fuite de Talhouët, de Montlouis ou de Du Couédic, leur nom n’apparaît que sur l’échafaud. Celui de Bonamour n’effleure qu’une fois sous sa plume, exécuté par effigie le 27 mars, en même temps que son compagnon Lambilly, cité lui à deux autres reprises relativement aux troubles institutionnels de l’année 1718. Pontcallec, parmi tous les conjurés bretons, est le gentilhomme le plus cité par le marquis de Dangeau.

Sous la plume du duc de Saint-Simon, Pontcallec, renommé Pontcallet, est cité quatre fois351 ; de tous les conjurés impliqués dans l’affaire de Bretagne, Pontcallec est second en nombre d’occurrences, derrière Bonamour (7 occurrences) et devant Lambilly (3 occurrences), devant Montlouis, Talhouët ou Du Couédic (1 occurrence) – ceci prouvant assez la position centrale que les contemporains attribuèrent à notre figure.

Prenons un dernier exemple : bien que Jean Buvat, écrivain de la bibliothèque du roi, ne prête, lui, au complot que quelques lignes, il en narre l’exécution : « par arrêt de la chambre royale établie à Nantes, le marquis de Pontcalec et trois autres seigneurs bretons eurent la tête tranchée 352». Edmond Barbier, avocat au Parlement de Paris, évoque parallèlement « la grande conspiration de Bretagne où le marquis de Pontcallet et trois autres gentilshommes ont eu la tête tranchée à Nantes 353». On le voit, Pontcallec est ici le seul à être nommé ; voilà encore le signe d’une popularité immédiate du personnage. Sans doute Pontcallec était-il

348

A la date du samedi 27 janvier. « « Miane, qui commande dans le château de Nantes et qui avoit été chargé de prendre M. de Poncalec, et à qui on avoit donné quelques troupes pour cela, s’est si bien acquitté de sa commission qu’il l’a pris dans les bois et l’a mené à Nantes. On a été fort content de la manière dont il s’est gouverné dans cet emploi ; on l’a fait brigadier, et on lui a donné une pension de 1,000 écus. On dit que c’est un très-honnête homme et fort aimé dans ce pays-là. » Ibid., p. 220.

349

Ibid., p. 204.

350

Ibid., p. 260.

351

Louis de ROUVROY, duc de SAINT-SIMON, Mémoires de Saint-Simon, op. cit., tome XVII, chapitre XIII, p. 4, chapitre XIV, p. 5, chapitre XVII, p. 8 et chapitre XXI, p. 4. Disponible en ligne sur le site

http://rouvroy.medusis.com/

352

connu suffisamment pour que son nom devenu signifiant soit cité par Jean Buvat, par Edmond Barbier ; celui de ses compagnons, restés dans l’ombre, demeurés inconnus, n’est pas exprimé soit que la connaissance n’en ait pas été portée aux oreilles des écrivains – ce dont on peut douter… – soit que ces noms aient été trop insignifiants pour l’écrit. Traces implicites de mémoire, l’information se dessine sous l’enveloppe du non-dit : elle crayonne en creux un Pontcallec hissé chef apocryphe de l’affaire de Bretagne.