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Le temps du héros.

II. Arthur de La Borderie et la conspiration de Pontcallec.

4. La lutte légale ou les raisons du complot.

« Il ne saurait entrer dans notre dessein, avait dit Colombel, d’expliquer les motifs qui avaient conduit une partie de la Noblesse bretonne dans cette fâcheuse prise d’armes 702

». La Borderie, au contraire, juge ces explications nécessaires et il se met en quête, dans un premier temps, de rechercher les mobiles et les causes de l’affaire.

Le maréchal de Montesquiou.

S’il nous fallait les résumer en un mot nous emploierions de toute évidence le nom du maréchal de Montesquiou – commandant en chef de la Province au moment des faits. Le premier chapitre de l’étude lui est entièrement consacré – le portrait moral dressé par La Borderie le présente en « cœur étroit, intelligence bornée, vieillard despotique ». « Ce nouveau commandant n’avait rien de breton : ni la naissance, ni les biens, ni l’humeur, ni l’éducation, ni l’esprit. […] Du Gascon il avait la présomption vaniteuse et étourdie, du courtisan la conscience facile, du soldat la raideur ». « Soldat », le mot est employé à raison : septuagénaire, le maréchal n’était même pas capitaine, preuve nous dit La Borderie de son « habileté médiocre ». Sa vie militaire ne fut guère glorieuse et n’a fait que le desservir dans sa fonction de commandant en chef : « il n’en avait retiré d’autres doctrines de gouvernement

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Ibid., Introduction, p. 3.

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que celle de l’obéissance passive comme but, et des peines disciplinaires comme moyen ». Il entendait régir la société bretonne à la manière d’une armée : « la société civile n’était à ses yeux qu’un grand régiment qui devait manœuvrer, se mouvoir, s’arrêter, parler et se taire à la voix du commandant, où la soumission devait être entretenue par la crainte, et la moindre velléité d’indépendance punie avec rigueur ». Méthode qui, d’évidence, ne pouvait fonctionner en Bretagne, province de tous temps « rétive au despotisme 703».

Les Bretons, l’attachement aux états et au « traité » d’Union.

Face à cet acariâtre magistrat, La Borderie dessine une Bretagne dignement attachée à ses droits et à ses privilèges : c’est dans les états « que vivait le patriotisme breton » comme « le dernier vestige d’un passé glorieux », comme « le souvenir toujours vivant et […] la dernière image de l’antique indépendance nationale ». « Y toucher, tenter de diminuer en rien l’importance ou l’autorité de cette assemblée, c’était toucher au cœur même de la nation et y susciter les ressentiments les plus vifs 704». « Cette assemblée, vieille comme la Bretagne, [é]tait véritablement la gloire et la force et la liberté de la nation bretonne 705».

Ce patriotisme se reflétait aussi dans un attachement sans faille à l’édit d’Union de 1532 – cette « constitution bretonne 706» qui forme le second chapitre de l’étude. La Borderie s’attache à montrer que le contrat entre la France et la Bretagne était synallagmatique, comprenant obligation réciproque entre les deux parties, faute de quoi le contrat se dissolvait de lui-même. Les Bretons juraient obéissance à la couronne ; cette dernière en échange consacrait l’inviolabilité des libertés de la province. Au premier rang de ces libertés, le droit de ne subir aucun impôt ni aucune levée de deniers sans le consentement libre et préalable des états, sans le consentement unanime des trois Ordres. Telle était la pierre angulaire qui maintenait symboliquement l’édifice en place, tel était « le premier article, la maxime fondamentale de notre charte bretonne, à quoi nos pères s’attachaient principalement comme garantie de tout le reste 707».

Certes, une telle poétique de la liberté et de l’attachement provincial était incomprise de Montesquiou. Là où n’était que juste revendication pour la défense des droits, lui n’entendait que sédition et insolence ; il ne comprenait pas cette opiniâtreté des Bretons à défendre les clauses prévues par le contrat et « n’y voyait qu’un germe de rébellion plus ou moins

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Toutes les citations sont empruntées ici à Arthur de LA BORDERIE, « Histoire de la conspiration de Pontcallec », op. cit., ch. I, p. 6-7.

704 Ibid., p. 7-8. 705 Ibid., ch. 2 §2, p. 224. 706 Ibid., ch. II, p. 13-21.

développé 708». Jamais Montesquiou ne sut pénétrer « l’esprit de cette nation » comme il l’écrivit lui-même709. Pire, ce dernier fit montre d’ « usurpations 710», ne cherchant qu’à « détruire les garanties de la province en détruisant l’indépendance des états » pour ainsi livrer la Bretagne « sans garantie au despotisme ministériel 711». Tout cela, bien sûr, vint mettre le feu aux poudres dès 1717, suite à la tenue des états de Dinan. Voyons synthétiquement le récit que La Borderie propose de ce premier acte de l’événement, jugé par l’historien comme le plus significatif.

La lutte légale. Les grandes inflexions.

Etats de Dinan, décembre 1717 – dès la première séance, le maréchal lança aux représentants de la province de dédaigneuses menaces. La première question abordée fut celle du don gratuit. Malgré les pressions, les représentants décidèrent de reporter le vote après avoir vérifié l’état des fonds et pris des mesures pour rétablir l’ordre dans les finances. C’était à la fois fondé en raison – la province était sous le coup d’une lourde dette – et permis en droit. Le maréchal furieux y crut déceler une velléité de sédition et ordonna la séparation des états, « coup d’Etat brutal, inouï dans l’histoire de la province 712». Cette décision emporta les protestations et les indignations de la Bretagne entière ; le « traité » d’Union venait d’être bafoué ; le Parlement s’empara de l’affaire. Montesquiou demanda des lettres de cachet au Régent, fit exiler les principaux protestataires et réclama des troupes. Le maréchal devint alors

persona non grata à Rennes ; les membres de la noblesse et du Parlement, par contestation, se

donnèrent pour mot d’ordre de rompre toute relation avec le gouverneur. La Borderie expose avec un évident délice la solitude du maréchal, nous accréditant de quelques anecdotes qui tournent en ridicule le personnage713.

Les manœuvres sournoises du maréchal convinrent le Régent ; il ne donna suite aux remontrances du Parlement. Les impôts n’ayant pas été voté aux états, les membres du Parlement refusèrent en toute logique de les lever. Malgré les persécutions et les vexations les magistrats tinrent bon. Au bout de quelques mois, puisqu’il fallait à la monarchie l’argent des

707 Ibid., ch. I, p. 8. 708 Ibid., ch. I, p. 8. 709 Voir Ibid., ch. I, p. 8. 710 Ibid., ch. II §2, p. 232. 711 Ibid., ch. I, p.12. 712 Ibid., ch. III, p. 234. 713

Ainsi de l’épisode du 10 janvier 1718 où le maréchal fit venir une troupe de théâtre à Rennes sans demander l’accord du Parlement – pourtant nécessaire. Après une succession de querelles, la troupe put jouer… Mais la noblesse et les parlementaires s’étaient passé le mot et personne, excepté Montesquiou et ses « sbires » n’assista à la pièce. Ibid., ch. III, p. 236-237.

impôts, les états furent rappelés à Dinan – le maréchal avait pris bonne mesure, empêchant certains des principaux défenseurs des libertés de la province de s’y montrer.

A cette seconde session le don gratuit fut voté sans ambages. Le maréchal, à son habitude, menaça les représentants et demanda des troupes. Survient alors l’ultime « provocation » de Montesquiou : l’affaire des droits d’entrée. Cet impôt était, nous dit La Borderie, une plaie à la province. Il faisait courir une perte nette de 400 000 livres par an714. En définitive il n’aurait permis que d’enrichir Montaran, le trésorier honni. En bonne logique les états refusèrent l’impôt – certes le clergé et le tiers-état y consentirent par crainte, mais la fière et loyale noblesse bretonne protesta ; et il fallait l’unanimité des trois ordres pour que l’impôt soit adopté. Montesquiou passa outre et considéra que la majorité suffisait. C’était là encore un attentat « au premier, au plus fondamental des droits de la Bretagne, celui de ne subir d’impôt que consenti au préalable par les trois Ordres dans l’assemblée des Etats 715

». Les contestations s’abattirent de plus belle, de la part des états, de la noblesse, du Parlement. Montesquiou et l’autorité centrale émirent lettres de cachet et autres menaces de suppression de charges ; et tout rentra dans l’ordre. En apparence, tout au moins…