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Les métamorphoses.

I. Une mémoire subversive – 1720-1793.

5. Pontcallec contre le despotisme.

Si en Bretagne la culture savante était rétive à évoquer l’événement, empêchant l’effigie politique de Pontcallec de s’épanouir, la charge idéologique du personnage continua de se constituer à Paris, où un ouvrage mérite notre entière attention. Il s’agit des Mémoires du

maréchal duc de Richelieu composé dès 1785 par l’abbé Jean-Louis Soulavie après que le

premier lui eut ouvert ses archives privées. Avant d’aborder le récit du complot proprement dit, quelques mots s’imposent quant à la personnalité de ces deux hommes.

Le gentilhomme éponyme, Louis François Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu n’est autre que l’oncle du duc d’Aiguillon. Il fut un gentilhomme débauché et libertin, dont l’implication dans la conspiration de Cellamare lui valut son troisième embastillement à l’âge de 23 ans431 ; il mourut en 1788. L’année suivante, l’abbé Jean-Louis Soulavie, esprit libre, géologue, géographe, éditeur, embrassait la cause révolutionnaire avec passion ; en 1792, il devenait le premier prêtre marié publiquement ; son implication frénétique au sein du ministère des affaires étrangères de 1793 lui valut un an de prison après Thermidor432.

Bien que Soulavie s’appuyât sur les papiers du maréchal, qu’il débutât la rédaction « sous ses yeux 433», l’impact et l’influence réels de l’éditeur sont tels que ces Mémoires, publiés

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Voir le portrait que dresse de Richelieu la Princesse Palatine dans une lettre du 27 avril 1719, alors que le duc vient d’être arrêté pour sa participation au complot de Cellamare : « Le duc de Richelieu est un archidébauché, un vaurien, un poltron qui nonobstant ne croit ni à Dieu ni à sa parole. De sa vie il n’a rien valu et ne vaudra jamais rien, il est faux et menteur, ambitieux avec cela comme le diable […] Il n’a pas 24 ans […] La première fois on l’a mis à la Bastille parce qu’il s’était faussement vanté d’avoir couché avec Mme la dauphine [la duchesse de Bourgogne] et toutes ses jeunes dames ; la seconde fois il y est allé parce qu’il a fait savoir lui- même que le chevalier de Bavière voulait se battre avec lui. Or enfin cette fois-ci le coup qu’il a fait « couronne l’œuvre », comme on a coutume de dire ». (Elisabeth Charlotte de BAVIERE, duchesse d’ORLEANS, Lettres de Madame duchesse d'Orléans née Princesse Palatine. 1672-1722, publié par Olivier AMIEL, op. cit., p. 570).

432

Voir la « préface de l’éditeur » in. Louis François Armand de VIGNEROT DU PLESSIS, duc de RICHELIEU,

Mémoires historiques et anecdotiques du duc de Richelieu, Paris, Mame et Delaunay Vallée, 1829, tome 1, p. i- xii, ainsi que l’article dédié à Soulavie dans Jean SGARD (dir.), Dictionnaire des journalistes 1600-1789, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, vol. 1, p. 183-184 et le site internet

http://www.medarus.org/Ardeche/07celebr/07celTex/soulavie_jl.htm.

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entre 1790 et 1793, lui sont aujourd’hui attribués à titre d’œuvre. Le maréchal de Richelieu, narrateur, y est représenté, comme le dit la préface d’une réédition des Mémoires du

maréchal, « en déclamateur jacobin, en contempteur des rois, en défenseur des droits du

peuple 434» ; l’ouvrage général se fait « libelle sanglant contre l’ancienne monarchie 435». Dans un chapitre rédigé entre 1785 et 1787436, Soulavie s’empare du complot breton et de sa sanglante conclusion nantaise, pour les ériger en symbole de l’horreur du despotisme monarchique.

Au sein du propos de Soulavie437, la Bretagne est représentée en province « ardente et courageuse dans le maintien de ses privilèges 438» ; la noblesse de 1718 ne fit que des « représentations raisonnables et soumises », ce furent « les ministres » qui envenimèrent l’affaire en les traitant indûment, ces représentations, de « manifeste hostile 439

». Ceux qui se levèrent contre le Régent, contre son gouvernement despotique, nous dit Soulavie, furent « dignes de lauriers et de palmes 440».

Lorsque la conspiration se mit en branle, notons que les conjurés ne firent preuve d’aucun crime, d’aucun délit :

« On ignoroit en France quel étoit le crime des Bretons ; on disoit seulement qu’ils avoient entendu les Espagnols ; il falloit donc leur faire grace, ou faire le procès à toute la France qui avoit écouté leurs suggestions 441».

Mais bientôt, pour contrer les oppositions fantômes, le gouvernement fit appel à une « Commission ministérielle » faites de maîtres de requêtes, de conseillers d’Etat – tous « suppôts du ministère et du despotisme ». C’est cette commission qui intéresse l’éditeur, c’est elle qui incarne l’arbitraire ; symbolique, Soulavie commence par en nommer tous les commissaires afin, dit-il, de « déshonorer leur mémoire aux yeux de la postérité 442».

434

Ces mots sont issus de la « préface de l’éditeur » in. Louis François Armand de VIGNEROT DU PLESSIS, duc de RICHELIEU, Mémoires historiques et anecdotiques du duc de Richelieu, op. cit., 1829, tome 1, p. iii.

435

Ceci est écrit en 1829. Ibid., p. iii.

436

C’est en 1785 que le maréchal de Richelieu lui ouvre ses archives ; une note en cours de texte signale que ce récit fut écrit avant 1787.

437

Ce texte est intégralement reproduit en Annexe 2.

438

Jean-Louis SOULAVIE, Mémoires du maréchal duc de Richelieu, tome 3, Londres, J. de Boffe, Marseille,

Mossy, Paris, Buisson, 1790, p. 189.

439 Ibid., p. 191. 440 Ibid., p. 191. 441 Ibid., p. 193. 442 Ibid., p. 192.

Cette commission est le visage du despotisme – elle exécute Pontcallec quand elle lui avait promis la grâce contre des aveux complets –, elle est figure de l’injustice qui s’abat sur les quatre victimes alors qu’on en épargnait d’autres plus coupables – « on disait, à Nantes, que c’étoit la prérogative des Commissions 443

» –, elle est tyrannique et cruelle – les conjurés n’eurent que quelques heures avant de mourir sur l’échafaud.

Tout cela est d’autant plus choquant, une fois encore, que les conjurés bretons furent innocents de tout crime – ce dont avaient conscience, au reste, les ministres et les commissaires. Mais – c’est leur nature sans doute – eux-mêmes étaient déterminés à faire couler le sang :

« Vainement, à la veille de ce jugement, avoit-on représenté à la Commission qu’il n’existoit aucun crime réel ; que les Bretons n’avoient jamais levé l’étendard de la révolte ; que quand même ils auroient consenti de reconnoître Philippe V pour Régent, au préjudice de Philippe d’Orléans, ils pouvoient répondre qu’ils suivoient en cela la loi constitutionnelle de l’Etat, qui préfére le petit-fils d’un Roi, au parent collatéral, et qu’en fait de Régence, la Province, plutôt qu’un Parlement, avoit droit de l’adjuger : toutes ces remontrances étoient vaines 444

».

Puisque l’on ne trouva pas de crime, l’on jugea sur les projets ; « l’appareil de la boucherie fut horrible 445», « le moment du supplice […] fut accompagné de toutes les cruautés qu’une Commission peut seule se permettre 446». Mauvais jusqu’au bout, les commissaires interdirent même aux pères carmes de faire un service solennel en l’honneur des quatre condamnés. Le ministère, ce dragon immonde, fut pour un temps « désaltéré et repu 447».

Au cœur de ces affirmations on sent poindre les accents déjà jacobins de Soulavie dans cette haine pathologique du despotisme ministériel ; Pontcallec y est décrit en innocente victime d’une commission cruelle448

.

Mais ce n’est pas tout ; au sein du récit, Pontcallec est dépeint avec une relative précision, dessiné en chef proclamé de la « fermentation » qui étreignait la province, une fermentation dont le projet était « de mettre la Bretagne, surchargée d’impôts, dans une manière de liberté

443 Ibid., p. 197. 444 Ibid., p. 195. 445 Ibid., p. 200. 446 Ibid., p. 197. 447 Ibid., p. 202. 448

C’est la morale du récit de Soulavie, puisque le complot de Bretagne est par lui résumé comme « l’histoire effroyable [d’une] sanguinaire Commission ». Ibid., p. 204.

républicaine 449». Notons le terme liberté qui prend sous la plume de Soulavie un sens fort ; Pontcallec se fait champion des libertés contre le despotisme, adversaire des velléités arbitraires du gouvernement. En cela, la figure s’inscrit dans le mouvement général de sa province « qui depuis des siècles ne cessoit de se tourmenter pour réprimer la marche tyrannique du pouvoir 450», il est martyr de cette cause inscrite depuis toujours sur le gonfanon breton.

Pour un temps alors, la Bretagne est la province de la juste révolte contre l’arbitraire, Pontcallec est une figure de la lutte pour la liberté, contre le despotisme, contre la tyrannie ; une figure capable de cristalliser les mécontentements contre les excès de la monarchie absolue ; une figure précocement Bleue en somme, apte à capter les échos et les faveurs de la Révolution sur le point d’éclater. Et il les captera en effet ; une étrange aventure, en décembre 1793, le prouve assez.