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Le temps du héros.

II. Arthur de La Borderie et la conspiration de Pontcallec.

7. Arrestation, jugement et supplice.

Le Régent de 1719 excita, par les menaces, la délation, et forma une Chambre Royale de justice, « instrument ordinaire du despotisme 737». Les magistrats qui y présidaient étaient des outils aux mains du souverain et de Dubois – au reste davantage absorbés à leurs intrigues et à leurs débauches qu’inquiets du sort des conjurés. Finalement, justice fut faite, expéditive et arbitraire : les derniers chefs actifs de la conjuration furent condamnés à mort, devenant des

732

Arthur deLA BORDERIE, « Histoire de la conspiration de Pontcallec », op. cit., ch. VII, p. 167.

733 Ibid., ch. VII, p. 168.. 734 Ibid., ch. VII §2, p. 169. 735 Voir Supra, p. 40-41. 736

victimes glorieuses de la cause bretonne. La Borderie présente en détail, bien sûr, les circonstances du supplice, la mort des quatre héros, l’indignation qui secoua alors la Bretagne. Ce troisième moment s’inscrit clairement dans l’héritage idéologique et formel des Aurélien de Courson, des Pitre-Chevalier. Ce dernier moment, celui du supplice, a une importance capitale pour l’historien – comme le dit La Borderie, « c’est la mort qui juge la vie 738

». La grandeur de ces quatre Bretons « immolés au ressentiment d’un ombrageux despotisme 739» est tout entière contenue en ce dernier événement, qui permet d’assurer, a posteriori une sorte de caution morale au complot. Pour l’évoquer, quoi de mieux que d’en appeler, une fois encore, au récit du père carme Nicolas740, retravaillé par l’historien « sur plusieurs exemplaires manuscrits », « purg[é] de toutes fautes et de toutes lacunes 741», et à son saisissant tableau de « la pompe funèbre des quatre derniers martyrs de la liberté bretonne 742

». Martyrs, mais aussi « héros », « victimes 743», les quatre condamnés ont les honneurs de l’historien.

Après la pompe, vient l’oraison funèbre ; l’étude se termine, bien sûr, par la gwerz

Pontkalek du Barzaz-Breiz744 en laquelle se reconnaît « vibrante et toute frémissante comme la trompette du jugement dernier, la grande voix de la Bretagne 745» – « Vox populi, vox dei

746» clame l’historien. « Sous le nom de Pontcallec, [ce chant] s’applique très-visiblement à

tout le mouvement dont ce gentilhomme resta le dernier chef et la principale victime 747». Seulement c’est lui qui est aux premières lignes, c’est à lui que l’élégie est dédiée, comme au reste lui est adressée l’étude de La Borderie, « conspiration de Pontcallec » – titre aujourd’hui encore admis par l’historiographie pour désigner l’affaire.

8. La conspiration de Pontcallec.

Ce titre, érigé par La Borderie au sommet de son étude, est, sinon une invention de l’historien, du moins une nouveauté en ce XIXe siècle. Aucun auteur jusque là, penché sur le complot, n’avait évoqué ce nom ; on le retrouve simplement, au détour d’une phrase, dans un

737

Arthur deLA BORDERIE, « Histoire de la conspiration de Pontcallec », op. cit., ch. VIII, p. 30.

738 Ibid., ch. IX, p. 369. 739 Ibid., ch. IX, p. 369. 740 Ibid., ch. IX, p . 370-389. 741 Ibid., ch. IX, p. 370. 742 Ibid., p. 369. 743 Ibid., p. 369. 744

Reproduite dans Ibid., ch. X, p. 466-468.

745 Ibid., ch. X, p. 468. 746 Ibid., ch. X, p. 468. 747 Ibid., ch. X, p. 465.

article de Louis de Carné de 1832 sur « la Bretagne et son histoire », une simple et unique allusion à « la conspiration de Pontcallec sous Louis XV 748». On peut supposer que bien avant que l’écrit ne s’en empare, la mémoire orale avait investi l’affaire de ce nom, effigie pratique qui rattachait le complot à son protagoniste le plus célèbre ; on l’a vu, dès le XVIIIe siècle, Pontcallec sut susciter la mémoire ; pour parler de l’affaire qui l’avait fait connaître, il n’y a certes rien d’étonnant à ce que la mémoire ait associé son nom. Un nom, de plus, qui résonne d’échos vifs et puissants, rappelant la forêt traversée du Scorff, figurant du même nom le château, dernier bastion de la résistance, où se joua un temps ce que d’aucuns nommèrent « la guerre du Pontcallec 749», nom rayonnant et riche, où persiste, comme un dernier écho, les fragrances arides de terres sauvages et poétiques750.

Plusieurs indices me semblent témoigner d’une transmission orale du nom « conspiration de Pontcallec » avant sa fixation à l’écrit par La Borderie. Tout d’abord, Louis de Carné évoque le nom comme une chose sûre et avérée, comme une dénomination claire, évidente. L’auteur, originaire de Cornouaille, y avait dû sans doute entendre l’expression. Enfin, La Borderie, loin de se revendiquer l’auteur de la formule, affirma en son introduction avoir « cru devoir maintenir en tête de récit le nom de Conspiration de Pontcallec, passé en usage 751». Un usage que les traces écrites et publiées n’ont pas su retranscrire – mais que l’on devine en creux, en traces de mémoire implicites.

Si La Borderie accorde à Pontcallec la place centrale par le titre de son récit, notons qu’il est loin d’en être de même au sein de ce dernier ; au reste, l’historien, en introduction, nous avait prévenu : « Pontcallec ne [se] montrera que fort tard et seulement presque à la veille de son sacrifice 752». Le marquis n’y est en effet guère cité à plus de trente reprises – si l’on excepte, on le fera, le texte du confesseur. La première intervention du personnage ne se fait qu’au chapitre VII §2 de l’étude – c'est-à-dire aux environs de la page 130753

– sa description couvre dix-huit lignes754. Ses participations au sein de l’affaire, à l’exception peut-être des derniers moments où il se fit effectivement meneur, sont quasi négligeables, sans réel impact ;

748

Louis deCARNE, « De la Bretagne et de son Histoire », Revue européenne, tome V, 1832, p. 248-274, p. 260.

749

L’expression vient probablement de l’interrogatoire de Mme de Montlouis, cité par Barthélémy POCQUET DU

HAUT-JUSSE,Histoire de Bretagne, op. cit., p. 75 et 76 n. 1.

750

S’interrogeant sur l’expression « conspiration de Pontcallec », Philippe Le Moing-Kerrand en arrive à cette conclusion : « L’expression sûrement parut commode et bien « sonnante » ». Philippe LE MOING-KERRAND, Pontcallec : la passionnante histoire d’un grand domaine breton, Plougoumelen, P. Le Moing-Kerrand, 1997, note p. 76.

751

Arthur deLA BORDERIE, « Histoire de la conspiration de Pontcallec », op. cit., Introduction, p. 4.

752

Ibid., Introduction, p. 4.

753

Rappelons que le récit de La Borderie fait 220 pages.

754

seulement La Borderie évoque-t-il l’étendue de ses biens, la richesse de ses terres755. Le reste des informations sur le personnage dont dispose l’historien provient exclusivement de deux sources : le récit du confesseur qui décrit Pontcallec en pieux et glorieux martyr ; et la gwerz, que suit La Borderie, affirmant, avec elle, que le marquis mourut à vingt-deux ans et qu’il fut dénoncé par un gueux de la ville.

Il y a donc dissymétrie entre le Pontcallec d’effigie, qui donne son titre au récit, et le réel conspirateur, dont le rôle semble mineur. Etrange expression que cette « conspiration de Pontcallec » dont La Borderie lui-même reconnaît les limites :

« Ce fut bien plus qu’une conspiration, et la conspiration même ne fut, à vrai dire, que le dernier acte d’une lutte plus haute, longtemps soutenue au grand jour, sur le terrain légal, par une province que d’odieuses violences et de perfides provocations livrèrent enfin aux conseils du désespoir […] Le marquis de Pontcallec ne fut ni le seul ni le premier chef du complot, et ne parut même pas dans la lutte légale 756».

Titre donc « fort inexact », comme La Borderie le répètera en 1893 à l’occasion de ses cours à la faculté d’histoire de Rennes – « le titre qui conviendrait le mieux […] serait : Association

bretonne de 1718 pour la défense des libertés de la Bretagne 757». Alors quoi ? Pourquoi avoir conserver ce titre « resté en usage » quand l’étude attentive de l’affaire démontre l’inanité d’un tel « frontispice » ? Hiatus béant entre la tradition mémorielle – où Pontcallec occupe une place de choix – et le discours érudit – donnant au personnage le rôle secondaire qu’il joua réellement. Les héros de l’histoire, dit-on, ne sont pas ceux du peuple758 ; mais l’histoire bretonne était alors conciliante. Il faut voir, me semble-t-il, par cette conservation de l’effigie Pontcallec, un tribut offert par La Borderie à la tradition mémorielle ; la place de notre figure, au sommet du récit, en allusive représentation de l’affaire, se fait d’essence symbolique et mémorielle :

« Le marquis de Pontcallec ne fut ni le seul ni le premier chef du complot, et ne parut pas même dans la lutte légale. Mais sur l’échafaud il parut le premier, – le premier par la naissance, la

755 Ibid., ch. VII § 2, p. 163 756 Ibid., Introduction, p. 4. 757

Arthur de LA BORDERIE, La Bretagne aux temps modernes, 1491-1789. Résumé du cours d'histoire professé à

la Faculté des lettres de Rennes en 1893-1894, Rennes, J. Plihon et L. Hervé, 1895, p. 166.

758

« Les célébrités du peuple sont rarement celles de l’histoire, et quand les bruits des siècles reculés nous sont arrivés par deux canaux, l’un populaire, l’autre historique, il est rare que les deux formes de la tradition soient pleinement d’accord l’une avec l’autre. » Ernest RENAN, « La poésie des races celtiques » in. Essais de morale et de critique, Paris, M. Lévy, 1859, note p 429.

fortune et la jeunesse, – et de son sang bravement versé il acheta l’honneur de donner son nom à la tragédie. Qui oserait contester son droit ? 759»