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Pontcallec romancé.

III. Alexandre Dumas Le héros de tragédie.

En 1844, Alexandre Dumas donna un premier essor à la figure. Son roman, Une fille du

Régent, fut d’abord une pièce de théâtre, un drame en cinq actes resté inédit sous le titre Hélène de Saverny ou Une conspiration sous la Régence. Puis Dumas remodela son texte

pour faire de l’affaire bretonne un récit rocambolesque et pittoresque, situé en partie au « rude pays de Bretagne 543» romantique et tragique toujours à l’image de son héros marquis.

Résumons l’histoire : un certain Gaston de Chanlay est chargé par les conjurés bretons, menés par Pontcallec, d’aller à Paris assassiner le Régent. La veille du départ il vient dire adieu à sa bien-aimée, Hélène de Chaverny, au couvent de Clisson. Coïncidence, elle doit elle aussi se rendre à Paris, retrouver sa famille qu’elle ne connaît pas, rejoindre son père inconnu – qui se révèle être le Régent. Hélène et Gaston font la route ensemble tandis que l’abbé Dubois, averti du complot, se prête à un long jeu de manipulations. Finalement Gaston, s’apprêtant à assassiner le Régent, se rend compte que ce dernier est le père d’Hélène. Philippe d’Orléans, débonnaire, lui pardonne et le marie à sa fille, et Gaston, qui veut sauver ses amis et complices, obtient de lui leur grâce au dépens de Dubois. Mais l’abbé, plus rapide, les fait exécuter à Nantes, place du Bouffay, où Gaston arrive trop tard ; la tête de Talhouët roule déjà sur l’échafaud. « Alors, noble cœur qu’il est, il comprend que, puisqu’un seul est mort, tous doivent mourir ; que nul n’acceptera une grâce arrivée trop tard d’une tête 544». Par honneur, il décide à son tour et sans mot dire de monter sur l’échafaud ; cinq têtes au lieu de quatre ; cinq corps aussi ; dans une des cinq mains un petit papier froissé – la grâce des quatre autres. Hélène repart quant à elle au couvent de Clisson où elle mourra de chagrin un an plus tard545.

543

Alexandre DUMAS, Une fille du Régent, Paris, M. Levy, 1862 (1ère ed. 1844), p. 205. A noter, dès 1842, « Pont-Callet » était apparu sous la plume de Dumas, au simple détour d’une phrase sur le soulèvement breton, dans un roman dédié à la conspiration de Cellamare (Alexandre DUMAS, Le chevalier d’Harmental, Paris, M.

Levy, 1850 (1ère ed. 1842), p. 35).

544

Alexandre DUMAS, Une fille du Régent, op. cit., p. 347

545

A noter : après la rédaction du roman, Dumas retravailla sa pièce Hélène de Saverny… pour la présenter en 1846 au Théâtre français sous le même titre que le roman ; l’histoire est semblable, à la différence près que les quatre conjurés et Gaston sont effectivement graciés au final et échappent au supplice.

Au sein du roman, la conspiration est très largement grossie et exagérée : les Bretons se font instrument d’un complot qui vise à éliminer le Régent – « Pontcallec se figura que tuer le Régent était chose possible 546» – à instaurer une République bretonne sous l’égide de Philippe V. Le complot est décrit par Dumas sous les affres de la métaphore organique :

« La tête, c’était le conseil des légitimés, le roi d’Espagne et son imbécile agent, le prince de Cellamare ; le corps, c’étaient ces hommes, braves et spirituels, qui peuplaient alors la Bastille547. Mais ce qu’on ne tenait pas encore, c’était la queue qui s’agitait dans le rude pays de Bretagne, alors comme aujourd’hui si peu habitué aux aventures de cour, alors comme aujourd’hui si difficile à dompter 548

».

Les chefs bretons, nous dit Dumas, « renouvelaient alors le chevalier de Rohan sous Louis XIV » c’est-à-dire qu’ils envisageaient une République aristocratique, comme celle qui germa de la conspiration normande de 1674549, de ses généreuses armées de souffrance. Pontcallec,

546

Alexandre DUMAS, Une fille du Régent, op. cit., p. 209.

547

Allusion aux conspirateurs de Cellamare, dont le maréchal de Richelieu, qui payèrent d’un embastillement leur adhésion à la conspiration parisienne.

548

Ibid., p. 205.

549

Joël CORNETTE, Le Marquis et le Régent, op. cit., p. 257-259.

Le marquis de Pontcallec (à terre) arrête Gaston dans un bois breton près de Clisson. Gravure sans indication reproduite dans Alexandre DUMAS, Une fille du Régent, Paris, Beauval, 1969, p. 48.

« homme de cœur et d’exécution 550» est le meneur de Bretagne. Il est un « franc et rude Breton 551», comploteur obstiné, intrépide et sans peur. Le personnage est rude mais attachant ; sa mort est épique, tragique. Certes il n’est pas le grand héros que fera apparaître le

Barzaz-Breiz ou La Borderie ; néanmoins il est ici figure noble et imposante, qui inspire de sa

force, de son courage, une réelle sympathie. Le Régent du roman, toujours réticent à faire couler le sang, ne le gracie-t-il pas ? Il faudra toutes les manœuvres pernicieuses du machiavélique Dubois pour que le supplice ait lieu malgré tout.

Un chapitre entier est consacré au récit étrange de la rencontre de Pontcallec avec la « sorcière de Savenay 552» qui prédit l’avenir et affirme à Pontcallec qu’il mourra par la mer – Bretagne superstitieuse toujours, toujours un peu païenne dans sa chrétienté même. Jusqu’au dernier jour, jusqu’au supplice, Pontcallec reste alors confiant, sachant pertinemment qu’il ne

pouvait être exécuté ; il ne prit pas la peine de quitter Nantes où les quatre gentilshommes

furent pourtant prévenus qu’on les recherchait ; lors du procès, puis à la lecture du jugement, il n’émit aucun signe d’inquiétudes, fier et obstiné toujours, il rassura même ses compagnons – « la mer, que diable ! Messieurs, vous oubliez toujours que je ne dois périr que par la mer 553». Lors des derniers instants, Pontcallec fit ainsi preuve « d’un sang-froid dont jamais [l’exécuteur] n’avait vu d’exemple 554

».

Mais, alors que les quatre gentilshommes s’apprêtent à rejoindre l’échafaud, Pontcallec refuse d’y aller les mains liées ; l’exécuteur se tourne alors vers son chef :

« - Eh ! maître Lamer, cria l’exécuteur, voulez-vous passer de ce côté ? Il y a un de ces Messieurs qui vous demande.

La foudre tombant au milieu des quatre condamnés n’eût pas produit un effet plus terrible que ce nom.

- Que dites-vous ? s’écria Pontcalec palpitant de terreur ; comment avez-vous dit ? quel nom avez-vous prononcé ?

- Lamer, Monsieur ; c’est notre chef.

Pontcalec, pâle et glacé, tomba sur une chaise, en attachant un indicible regard sur ses compagnons atterrés 555». 550 Ibid., p. 208. 551 Ibid., p. 39. 552 Ibid., p. 211. 553 Ibid., p. 338. 554 Ibid., p. 341. 555 Ibid., p. 342.

Mais bientôt Pontcallec devait se reprendre et faire montre, lors de son exécution, une fois encore, d’une constance héroïque.

Intrigue que l’on dirait sortie d’une tragédie shakespearienne, elle s’incarne parfaitement dans la figure de Pontcallec tel que dessinée par Dumas : dans une Bretagne sauvage et propice au complot, il est érigé héros romantique et tragique, noble et obstiné, courageux sur l’échafaud, s’avançant vaillamment vers la mort quand l’exécution imprévue de Gaston eût pu l’y faire échapper. Pontcallec est figure de tragédie aux faux-airs de Mac Beth. Le roi d’Ecosse chercha à échapper aux prédictions des trois sorcières en assassinant ses rivaux potentiels ; hybris infâme, cela ne fit qu’entraîner sa chute, accomplir ce destin qui, manipulateur, avait inclus dans son système les propres réactions d’angoisse du personnage ; de même Pontcallec souhaita échapper à sa fortune en ne quittant pas sa terre, en se gardant de risquer la fatalité éventée. Mais le destin rattrape toujours, il accomplit son œuvre ; le personnage ne peut qu’y assister, impuissant. L’homme non-né d’une femme vaincra Mac Beth, malgré l’aberration d’une telle affirmation, la forêt marchera sur lui propre ; Pontcallec, sans quitter la terre, mourra de Lamer.

Voilà en quels termes se conçoit ici la figure de tragédie : souhaitant échapper à son destin, Pontcallec ne fait que le précipiter, entraînant ses complices dans sa chute aux fragrances mortuaires.