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Une mémoire dérangeante aux élites Le Journal de Robien 412

Les métamorphoses.

I. Une mémoire subversive – 1720-1793.

3. Une mémoire dérangeante aux élites Le Journal de Robien 412

officiel et se soldèrent tous deux par un échec408.

Il est intéressant de constater que ces déconvenues furent en partie attribuées, comme le résume Jean Quéniart, à la « méfiance du pouvoir central envers une province où Pontcallec avait suscité à ces yeux trop de sympathies 409».

« Le sang des quatre gentilshommes était encore chaud, nous dit Closmadeuc, auteur d’un article sur le président de Robien. On se défiait des Bretons, et toute velléité de les réunir, même sous un prétexte littéraire, était suspecte 410».

Ce que confirme aujourd’hui Gauthier Aubert :

« Les historiens bretons du XIXe siècle ont souligné combien, selon eux, l’échec de la tentative de 1727 devait être lue en se souvenant que l’on était juste après l’affaire Pontcallec et qu’en conséquence, il fallait voir là une nouvelle marque de défiance du pouvoir royal envers les Bretons. Débarrassé de la dimension polémique et politique qui animait ces auteurs, l’argument reste quand même recevable 411».

3. Une mémoire dérangeante aux élites. Le Journal de Robien412.

Dans les années 1750, ce même Robien entreprit une relation de l’affaire. Grâce à un « jeune homme de Rennes 413», le président obtint une quarantaine de lettres du maréchal de Montesquiou, restées inédites, et retrouvées dans des circonstances singulières414 ; elles

408

Sur ces « tentations et tentatives académiques » voir Gauthier AUBERT, Le président de Robien. Gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières, op. cit., p. 259-268 et, du même auteur,« Les échecs du président de

Robien sont-ils révélateurs ? Ou les déboires culturels d'une capitale provinciale au XVIIIe siècle » Histoire, économie et société. Echec et magistrature, Septembre 2006, p. 355-369.

409

Jean QUENIART, La Bretagne au XVIIIe siècle (1675-1789), op. cit., p. 616.

410

Gustave-Thomas DE CLOSMADEUC ,« Le président de Robien, archéologue », Bulletin de la société polymathique du Morbihan, 1882, p. 25-60, p. 29.

411

Gauthier AUBERT,« Les échecs du président de Robien sont-ils révélateurs ?... », op. cit., p. 361.

412

Voir sur ce texte les analyses de Gauthier AUBERT, Le président de Robien.., op. cit., p. 114-115 et 319-320 ainsi que Joël CORNETTE, Le Marquis et le Régent, op. cit., p. 226-232.

413

Christophe-Paul de ROBIEN, Journal historique de tout ce qui s’est passé en Bretagne…, op. cit., vers 1753, fol. 1.

414

« On sera sans doute surpris, écrit Robien, que j’ay cité icy les lettres originales du feu maréchal de Montesquiou, dont on trouvera les copies fidelles dans le corps de cet ouvrage. Voicy le fait, et comme elles me sont parvenües, et comment on en trouve icy des copies. Il faut savoir que ce maréchal écrivoit extrémement mal et si peu lisiblement, que la plus part du tems, pour les affaires les plus secrettes, il étoit obligé de se servir de la main d’un secrétaire qui avoit le talent de deviner son gribouage ; pour cet effet, il lui donnoit toutes les minuttes de ses lettres ; bien persuadé que la difficulté de les lire, les rendroit inutiles à tout autre qu’à lui. Ce secrétaire avoit gardé les minutes, et après que ce maréchal fut parti de la province, où ce même secrétaire s’étoit établi, ce même secrétaire ayant été appelé pour quelque autre employ dans la patrie, regardant ces minutes désormais inutiles, les jetta confusément dans une cheminée[.] [A]près avoir fait[, et sans les effacer] et ayant oublié d’y

émaillèrent son propos. Les informations qui y étaient contenues furent confrontées à divers documents d’archives, aux témoignages de quelques acteurs de la conspiration et à deux Mémoires contemporains des faits – la Vie du duc d’Orléans d’Yves de la Motte et les

Mémoires de la Régence attribués au chevalier de Piossens. Tout ceci permit à Robien de

composer son Journal historique de tout ce qui s’est passé en Bretagne pendant les premières

années de l’administration de Philippe, duc d’Orléans, régent du Royaume.

Si pour Robien l’ambition première, on l’a vu, était de justifier l’action de son beau-père et cousin le comte de Kerambourg, alors considéré par les conjurés comme l’un des principaux délateurs de l’affaire415, cet écrit fait également office de révélateur d’un état de l’opinion, du moins de celle de l’élite éclairée. Dans son introduction, Robien écrit avoir « seulement recueilli les faits les plus intéressants et les plus propres à faire connoistre l’aveuglement et la frénésie de projets aussi dépourvus de bon sens 416». Il dénonce la violence des conjurés, il relève les aspects burlesques voire grotesques de la conjuration (on pense par exemple à « cette fameuse assemblée générale de Lanvaux, où ceux des conférés qui y vinrent étoient déguisés avec des nez postiches ou des moustaches afin de n’être pas reconnus 417

», on pense aux méthodes employées par les conjurés pour faire signer l’Acte d’union aux autres gentilshommes : « ils avoient fait souscrire les uns par crainte et par menaces, les autres par séduction et par yvresse, (il y en a même eu qui ont signés jusqu’à quatre fois) 418

») ; Robien, enfin, parle d’une « malheureuse 419», d’une « misérable affaire 420

».

Pour autant la condamnation n’est pas sans appel. La Bretagne était « épuisée comme tout le reste du Royaume à la mort de Louis XIV 421». Robien s’en prend aux financiers, à la politique du Régent notamment en matière économique ; il fustige les maladresses du souverain envers la Bretagne – la dissolution des états de 1717 est par exemple qualifiée de « coup d’authorité aussi marqué que l’abolition du plus beau des privilèges de la Province 422». La conspiration est expliquée, contextualisée ; elle n’est en aucun cas légitimée.

mettre le feu, un jeune homme de Rennes, ancien ami de son épouse, étant venu en prendre congé, voyant cet amas de papiers, eut la curiosité d’en lire quelqu’uns, et trouvant l’écriture difficile, il la lui montra, et elle lui dit que c’étoit de l’écriture du feu maréchal, ce qui excitant sa curiosité, il les lui demanda, et elle les lui laissa emporter. C’est de lui que j’ai eû ces copies. » Ibid., fol. 1.

415

Gauthier AUBERT, Le président de Robien.., op. cit., p. 114.

416

Christophe-Paul de ROBIEN, Journal historique de tout ce qui s’est passé en Bretagne…, op. cit., fol. 2.

417 Ibid., fol. 34. 418 Ibid., fol. 34. 419 Ibid., fol. 1. 420 Ibid., fol. 130. 421 Ibid., fol. 2. 422 Ibid., fol. 10.

Le président souhaitait que sa relation soit publiée, il l’envoya à dom Taillandier, espérant que ce dernier, à la recherche de manuscrits inédits, pourrait l’intégrer dans son Histoire de

Bretagne. Il n’est pas inintéressant de voir la réponse du père mauriste :

« Monsieur, […]

J’ai lu toute votre relation de l’affaire de 1720. Elle est très bien faite mais je pense comme vous qu’il seroit dangereux de la donner telle qu’elle est. Les faits qu’elle renferme sont encore trop récents et nombre de personnes vivantes intéressées à l’affaire. Ce seroit, dans les circonstances critiques où se trouve la province réveiller des idées peu favorables à sa gloire. Il vaudra mieux extraire de votre relation ce qui peut faire connoître en gros les principes et la suite de cette malheureuse affaire, sans compromettre personne. Je suis trop votre serviteur pour faire imprimer cette relation sous votre nom. Je connois un peu les Bretons ; ils ne vous sçauroient point gré d’avoir si bien développé une affaire qui ne leur fait point honneur 423

».

Robien se le tint pour dit ; le Journal ne fut jamais publié.

On le voit, la mémoire du complot drainait en son sein des échos subversifs – le temps de latence, de recul nécessaire à l’absorption des faits ne s’était pas encore entièrement écoulé. Le souvenir était dérangeant aux élites, l’affaire jugée incommodante, « déshonorante ». Il est vrai qu’un souvenir tel risquait de ranimer des pensées peu propices à la détente dans le contexte d’alors, marqué par un imperturbable regain des tensions entre la Bretagne et l’Etat royal424.