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Les échos immédiats

I. Les rumeurs de l’actualité.

2. Echos de Bretagne Le 27 mars 1720.

A Paris, à la cour du Régent, l’injustice du sort de Pontcallec et de ses compagnons fit donc naître indulgence et commisération. En l’épicentre du drame, l’écho fut amplifié, bien sûr ; l’abbé Thépault du Breignou305, à Nantes le 26 mars, écrivit que « l’exécution a mis toute la ville en tristesse 306» ; l’huissier Germain y affirma que « la consternation fut grande » – le commissaire-rapporteur de la Chambre de Nantes, Brunet d’Evry, en revenant du lieu de

300

Charles PINOT DUCLOS, Mémoires secrets…, op. cit., p. 276.

301

Renée-Charlotte Victoire de FROULAY DE TESSE, Souvenirs de la marquise de Créquy, publiés par Maurice Cousin de COURCHAMPS, Paris, Fournier, 1834, tome 1, p. 354. A noter, pour l’anecdote, que Jean-Jacques Rousseau disait d’elle qu’elle était « le catholicisme en cornette et la haute-noblesse en déshabillé » (Ibid., p. 2).

302

Ibid., p. 354.

303

Charles PINOT DUCLOS, Mémoires secrets…, op. cit., p. 241.

304

Le témoignage du maréchal duc de Richelieu doit pourtant être saisi avec précautions ; la personnalité du maréchal, embastillé pour son implication dans la conspiration de Cellamare, ne fait tout d’abord pas de lui un témoin très partial ; les circonstances des publications de ses Mémoires incitent à jouer d’une grande prudence avec l’opus. La première publication de ces Mémoires se fit en effet en 1790 par l’abbé Jean-Louis Soulavie qui bénéficia des archives du maréchal ; l’ouvrage qu’il fit publier en neuf tomes à partir de 1790 porte tant sa marque qu’elle lui est désormais attribuée. En 1829, parut une seconde édition, dans la collection « Mémoires secrets et inédits sur les cours de France aux XVe, XVIe

, XVIIe et XVIIIe siècles » ; tout en s’élevant contre les manipulations de Soulavie, l’éditeur reconnaissait avoir travaillé à partir du manuscrit inédit d’un proche de Richelieu et de divers autres documents pour compiler un ouvrage qui n’est là encore, pas entièrement authentique. Enfin, une troisième édition en 1858 par François Barrière se contentera de reproduire l’ouvrage de Soulavie en l’épurant de ses traits d’invention les plus visibles. L’expression que nous avons utilisé ici provient de la seconde édition, que l’on peut supposer la plus authentique aux vues réelles du maréchal ; au reste l’édition de Soulavie répète ce jugement, preuve sans doute de son authenticité. Louis François Armand de VIGNEROT DU

PLESSIS, duc de RICHELIEU, Mémoires historiques et anecdotiques du duc de Richelieu, Paris, Mame et Delaunay Vallée, 1829, tome 2, p. 315.

305

Voir Supra, p. 48, note 160.

306

Lettre du 26 mars 1720 d’Hervé-Nicolas du Breignou à son père Maurice Thépault de Treffaléguen citée par Henri Bourde de LA ROGERIE, « Correspondance de la famille Thépault de Treffaléguen », op. cit., p. 156.

l’exécution, faillit même être lynché par la foule en colère307

; un gentilhomme, enfermé malgré lui dans la ville, exprima ces quelques mots : « Nantes est dans une consternation achevée. De mémoire d’homme, il ne s’y est passé de jour aussi triste que celui d’hier 26 mars 308

». Affliction, indignation dont témoigna également le bénédictin dom Lobineau en 1721 :

« De tous ceux qui ont esté informez de l’exécution qui se fit à Nantes l’année dernière (et dans quel canton du monde n’a pas esté porté le bruit de cet acte sévère de justice ?) il n’y a eu personne, à la réserve d’un seul particulier309, qui n’ait esté touché de commisération pour les

gentilshommes qui ont expié par l’effusion de leur sang le crime de leurs projets chimériques 310».

L’émotion causée par l’exécution sut se répandre telle une trainée de poudre. Sur les registres de baptême, mariage et sépulture de la paroisse de Soudan311, les notes de l’abbé Monnier, recteur de la paroisse, énoncent à côté de l’année 1720, comme un point d’ancrage mémoriel, ces quelques mots :

« 1720. Nota. Triste spectaculum.

Le 26 mars 1720, quatre gentilshommes de la province de Bretaigne (sic), savoir messieurs de Montlouis, de Coëdic, de Talhouët le Moine, le marquis de Pontcalec eurent la teste tranchée sur un échafaut de Nantes, pour avoir, avec un grand nombre d’autres qui se sauvèrent en Espagne, conspiré contre le gouvernement de Philippe de Bourbon duc d’Orléans, régent du royaume… Dieu ait pitié de leurs âmes et veuille leur pardonner leur imprudence téméraire ! 312»

Monnier, attaché au roi comme à sa province313, est une de ces voix anonymes de Bretagne, un anonyme instruit, cultivé certes, influent ; sans lien aucun avec la conspiration, levé du voile de suspicion de rigueur, sa faible voix devient écho d’une province entière : la conspiration, entreprise « téméraire », imprudente, « chimérique », n’a pas, certes, déchaîné

307

« On jette une potée sur la chaise de M. d’Evry à son retour ; elle était vide, il marchait devant à pied avec M. de Mianes. Les porteurs veulent se plaindre ; on leur dit qu’on voudrait avoir haché en pièces celui qui était dedans » Relation manuscrite de l’huissier Germain citée par Pierre BLIARD, « Exécution de Pontcallec et de ses compagnons », op. cit., p. 219.

308

Cité par Arthur deLA BORDERIE, « Histoire de la conspiration de Pontcallec », op. cit., ch. IX, p. 390 d’après une « lettre inédite, déposée aux Archives des Côtes-du-Nord ».

309

Nous reviendrons sur ce particulier dans le chapitre suivant.

310

Dom Gui Alexis LOBINEAU, « Réplique à M. l’abbé de Vertot, ou Réfutation de son Histoire critique de

l’établissement des bretons dans les Gaules (première partie) », préface et notes par Arthur deLA BORDERIE, Revue de Bretagne et de Vendée, tome II, 1857, p. 466.

311

Petite agglomération actuellement en Loire-Atlantique, située près de Chateaubriant.

312

« Journal d’un curé de campagne (1712-1765) » publié par ANTOINE DUPUY ET [S. N.]CHARVOT, Annales de Bretagne, tome V, 1890, p. 386-446.

les passions. Les circonstances qui firent périr les quatre gentilshommes sur le billot du Bouffay, teintées d’injustice et d’horreur, les instituèrent au rang de victimes, de martyrs. « C’est de ce sentiment qu’est née la légende, écrit Barthélémy Pocquet. On plaignit justement les quatre infortunés qui avaient payé pour les autres ; on oublia leurs erreurs et leurs fautes, on ne vit que leur courage et leurs malheurs 314». L’exécution des quatre conjurés fut un événement choc, fondateur, susciteur de souvenir.