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Les métamorphoses.

III. L’anecdote contre l’oubli – 1829-1840.

Une période d’oubli qui s’étend sur une trentaine d’années ; il fallut en effet attendre 1829 pour que la conspiration bretonne commence, en sa province, à intégrer faiblement la culture savante et l’histoire naissante, à s’enfuir des limbes gelées où l’avait confiné les élites du siècle précédent.

Pour autant, l’épisode ne fut pas constitué objet d’étude autonome, son récit se vit intégré au sein d’ouvrages aux objectifs plus vastes dans lesquels sa réminiscence était nécessaire : on pense, en premier lieu, aux histoires de la ville de Nantes qui fleurirent dans le deuxième quart du siècle, aux histoires de la Régence ensuite, qui trouvèrent un écho favorable à Paris sous la Restauration – sous Louis-Philippe notamment, au travers d’un parallèle d’évidence ; aux histoires de Bretagne enfin, dès 1840.

1. 1829 : Le Lycée Armoricain et la redécouverte du complot breton.

En 1829, date charnière pour notre propos, le Lycée Armoricain fit publier la Relation

fidèle… du père carme Nicolas. En introduction au récit du confesseur, ces quelques mots :

« La Revue de l’Ouest a publié une relation de la mort de quatre bretons, issus des plus anciennes familles de notre pays, impliqués dans la conspiration de la Duchesse du Maine et du cardinal Alberoni contre le Régent. La Revue fait connaître la conduite loyale de ces nobles victimes, sacrifiées par un parti qui les livra à la vengeance du Régent après les avoir trompés 456».

La simplicité de l’évocation appelle deux commentaires : le souvenir de la conspiration a effectivement été balayé, du moins chez une certaine élite bretonne ; ensuite les protagonistes de l’affaire ont été clairement oublié, effacé. Pontcallec, on le voit, n’apparaît pas en tête de ces quatre gentilshommes, l’épisode ne lui est aucunement associé. Révélateur, Jean-François Marmontel dans sa Régence du duc d’Orléans, récit terminé en 1788, publié posthumément

en 1805, Pierre Daru dans son Histoire de Bretagne de 1826, évoquant chaque fois brièvement l’épisode, ne donnèrent pas même, au sein de leurs travaux, le nom des quatre exécutés bretons.

La publication du récit d’exécution eut le mérite de jeter une lumière sur l’affaire ; elle présentait un document pittoresque et touchant, anecdotique et symbolique ; les quatre conjurés y étaient représentés, ainsi qu’on a pu le voir, martyrs tragiques, victimes édifiantes. Le Lycée Armoricain, en outre, adjoignait deux lettres alors inédites de Mme de Talhouët, adressées au père carme Nicolas, ainsi que les réponses de ce dernier. Le ton est déchirant, les mots sont émouvants, pathétiques ; perce la douleur d’une veuve ruinée, quatre enfants à charge, infortunée et coupable d’avoir conseillé à son époux la reddition :

« Je perds le plus aimable et le meilleur époux qui ait jamais été, écrit-elle, et cela, par ma faute. Je fus trompée, trompée mon cher père, par des officiers qui le furent eux-mêmes, et je fus assez malheureuse que de les porter à s’aller rendre entre leurs mains, sur la parolle qu’ils m’avoient donnée que c’était un sûr moyen pour obtenir grâce. Il suivit aveuglement tous mes désirs, et par malheur, le plus insupportable pour moy, c’est son amour et le mien qui nous a perdus 457

».

Injustice supplémentaire à mettre au crédit de la tyrannique Chambre Royale… C’est en suivant cette veine « anecdotique », « tragique », que le souvenir intégra l’histoire.

2. Entre anecdotique, vindicatif et pittoresque : les historiens nantais – 1830- 1850458.

Par la suite, ce furent les « annalistes nantais », selon l’expression d’Evariste Colombel459, c’est-à-dire les historiens de la ville de Nantes, qui s’emparèrent de l’épisode ; au sein du corpus en question, le ton, toujours, se fait distant, amusé, vindicatif ; l’évocation de la mort des quatre Bretons suit l’anecdote de l’incendie du Bouffay, précède celle de la construction de l’île Feydeau, entre février et avril 1720. Le « complot de Bretagne » ou « complot

456

« Chroniques bretonnes », Le Lycée Armoricain, vol. 14, 1829, p. 23.

457

Ibid., p. 40.

458

Nous nous appuyons ici sur cinq sources : l’Histoire de la ville de Nantes depuis son origine jusqu’à nos jours, suivie de l’Histoire des guerres de la Vendée par Alfred LESCADIEU et Auguste LAURANT publiée en

1836, l’Histoire de Nantes par Ange GUEPIN éditée trois ans plus tard, enfin l’ouvrage de Georges TOUCHARD- LAFOSSE, La Loire historique, pittoresque et biographique et la notice d’Aristide GUILBERT sur Nantes dans l’Histoire des villes de France, ouvrages publiés tous deux en 1844.

459

Evariste COLOMBEL, « Chronique d’un jour (26 mars 1720) », Revue des Provinces de l’Ouest (Bretagne et Poitou), tome I, 1853, p. 159.

fédéraliste »460 est pensé une fois encore comme une ramification de la conspiration de Cellamare ; la duchesse du Maine est accusée d’avoir trahis les conjurés, d’« avoir lâchement livré leurs noms au Régent 461» menant ainsi à l’échafaud les quatre martyrs. Illustres inconnus, glorieux anonymes, ils sont « les quatre bretons qui avaient eu le malheur de se laisser prendre462 » nous dit Touchard-Lafosse, ils sont, nous dit Ange Guépin, « les moins coupables ; mais les plus recommandables par leurs caractères et leur vertu 463», « hommes pieux, ajoute Aristide Guilbert, ayant plus de confiance dans la justice de Dieu que dans celle des hommes 464». L’histoire de la conspiration est nécessairement rapide, elliptique – seul Ange Guépin rattache l’affaire à un mouvement général de la province, traditionnellement portée nous dit-il « à protester contre les abus de la centralisation 465», à se soulever contre un despotisme d’autant plus ignoble qu’il est le fait de « courtisans dépravés 466

». Mais ceci a peu d’importance ; vient alors le moment fatidique, celui du sacrifice. Alors les détails pleuvent, alors les anecdotes fleurissent, on raconte le bon mot de Pontcallec relativement au chapeau de Montlouis, on plaint les victimes, on met en avant l’injustice de leur situation. L’étude se termine enfin par la relation du père Nicolas telle que référenciée dans le Lycée Armoricain467. Ces quelques évocations de la conspiration sont donc purement anecdotiques, elles recèlent le pittoresque, l’extraordinaire ou le révoltant d’une situation tragique survenue en la ville de Nantes. Certes, le républicain socialiste Ange Guépin va un peu plus loin, affirmant :

« Le complot de Bretagne n’est pas encore bien connu : nous devons à ceux qui périrent victimes de leur dévouement à la cause qu’ils avaient embrassée de les laver du ridicule dans lequel on a voulu les faire tomber 468».

Pourtant cette louable ambition historique s’efface devant le propos et l’ambition générale de l’ouvrage: Pontcallec n’est rien d’autre que le figurant malheureux d’une histoire de la ville de Nantes.

460

Ces deux expressions sont tirées de Ange GUEPIN, Histoire de Nantes, Nantes, P. Sebire, 1839, p. 349 et 350.

461

Alfred LESCADIEU, Auguste LAURANT, Histoire de la ville de Nantes depuis son origine jusqu’à nos jours, suivie de l'histoire des guerres de Vendée, Paris, A. Pougin, Nantes, A. Laurant, tome premier, 1836, p. 307. En cela, Lescadieu et Laurant ne font que répéter un propos initié par Charles Duclos.

462

Georges TOUCHARD-LAFOSSE, La Loire historique, pittoresque et biographique, Nantes, Suireau, 1844, tome

4, p. 150.

463

Ange GUEPIN, Histoire de Nantes, op. cit., p. 351.

464

Aristide GUILBERT (dir.), Histoire des villes de France, Paris, Furne, Perrotin, Fournier, 1844, tome 1, p. 278- 279.

465

Ange GUEPIN, Histoire de Nantes, op. cit., p. 349.

466

Ibid., p. 250.

467

Voir Alfred LESCADIEU, Auguste LAURANT, Histoire de la ville de Nantes, op. cit., p. 309-313 ; Aristide GUILBERT (dir.), Histoire des villes de France, op. cit., p. 278-279 ; Ange GUEPIN, Histoire de Nantes, op. cit., p. 352-364.

3. Evariste Colombel et les historiens nantais.

Cette propension, manifestée par les annalistes nantais, à un anecdotique jugé sentimentaliste et victimaire, un anecdotique débarrassé du carcan théorique de l’historien, fut en 1853 l’objet d’un article d’Evariste Colombel469

paru dans la Revue – républicaine470 – des

Provinces de l’Ouest. Attachons-nous à le décrire, cet article, intitulé « Chronique d’un jour

(26 mars 1720) 471». Il présente une vision fortement dépréciative du complot et un long récit de l’exécution nantaise. Colombel s’en prend aux « appréciations passionnées et souvent erronées de quelques historiens locaux, qui n’ont pas craint d’atténuer, d’excuser en quelque sorte, le soulèvement de la province 472». Si sous sa plume la relation relève encore très certainement de l’anecdote473

, la conjuration change de couleur et de nature. Elle n’est plus cette aventure tragique et pittoresque. Elle est trahison nationale :

« On se sent pris d’un peu moins de colère contre le Régent et d’un peu moins de pitié pour les accusés, quand on songe à ces impardonnables complicités avec l’Espagne 474».

Une fois encore, la conspiration est caractéristique d’une Bretagne qui « a toujours été résistante 475».

« Le vieux duché pardonnait difficilement au pouvoir royal ses empiètements continuels, ses usurpations de tous les jours. L’esprit du passé réagissait fortement contre les progrès de centralisation et d’unité nationale. La province, évoquant les contrats de mariage d’Anne de Bretagne, frémissait à l’idée de l’anéantissement de ses priviléges 476

».

Bretagne réactionnaire et arriérée ; on reconnaît là la voix du républicain nantais ; on sent poindre à demi-mots les rapports tendus entre l’ancienne capitale de duché – dont Colombel

468

Ibid., p. 350.

469

Evariste-Jean-Marie Colombel fut un avocat nantais, puis un maire de la ville entre 1848 et 1852.

470

C’est d’ailleurs contre la Revue des Provinces de l’Ouest, trop républicaine à son gré, que La Borderie créa en 1857 la Revue de Bretagne et de Vendée. Sur la « controverse » entre les deux Revues, voir Jean-Yves GUIOMAR, Le bretonisme. Les historiens bretons au XIXe siècle, Rennes, Société d’Histoire et d’archéologie de Bretagne, 1987, p. 280-283.

471

Evariste COLOMBEL, « Chronique d’un jour (26 mars 1720) », op. cit., p. 149-162.

472

Ibid., p. 159.

473

Evariste Colombel en effet expose durant plus de la moitié de son article les derniers moments des conjurés ce 26 mars 1720, en s’appuyant à son tour sur le récit du confesseur.

474 Ibid., p. 155. 475 Ibid., p. 151. 476 Ibid., p. 151.

fut le maire pendant quatre ans – et sa province-mère ; Nantes la Bleue face à la Bretagne Blanche. L’article est à lui seul l’expression de ce hiatus477

.

Ainsi Colombel reprochait aux annalistes nantais leur légèreté dans l’appréciation d’une affaire qui relève somme toute d’une alliance à l’ennemi, qui est violation du principe d’autorité, insurrection contre une unité nationale instaurée peu à peu sous l’effet de la centralisation. La conspiration se trouvait investie de nouvelles idées force et il me semble voir au sein de cette relecture l’écho traumatique de la chouannerie, un écho proche ou lointain, incessant, discontinu qui ne quittera plus l’appréciation de l’épisode et marquera la mémoire Pontcallec d’une croix blanche ; un écho que l’on pressent chez Evariste Colombel, un écho que l’on verra s’épanouir dans l’historiographie française.