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Une imposture du souvenir ? La querelle du Barzaz-Breiz.

Pontcallec romancé.

II. Une imposture du souvenir ? La querelle du Barzaz-Breiz.

Un garde-fou d’autant plus litigieux et contestable que l’authenticité des chants du Barzaz-

Breiz fut l’objet d’une longue controverse qu’il importe de développer ici ; La Villemarqué

fut accusé d’avoir profondément remanié les chants, certains l’accusèrent même de les avoir purement et simplement imaginés628. La complainte de Pontcallec fut une des pièces de la discorde : j’en veux pour preuve ces quelques mots d’Anatole Le Braz, en 1896 :

626

Charles BARTHELEMY, Histoire de la Bretagne ancienne et moderne, Tours, A. Mame, 1854, p. 252. Ces

mots sont en outre quasiment paraphrasés de l’œuvre de PierreCHEVALIER ditPITRE-CHEVALIER, Bretagne et Vendée, Histoire de la Révolution française dans l’Ouest, Paris, W. Coquebert, 1848, p. 84.

627

Alexandre DUMAS, La Régence et Louis XV, Paris, Malmenayde et de Riberolles, 1855, p. 101.

628

Sur la querelle du Barzaz-Breiz voir notamment Charles LE GOFFIC, « La question du Barzaz-Breiz » in.

L’Âme bretonne, Paris, Champion, 1912, troisième édition revue et augmentée, deuxième série, p.52-60, Jean- Yves GUIOMAR, « Le Barzaz-Breiz de Théodore-Hersart de la Villemarqué » in. Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1992, tome III, 2, p. 526-565 et Eva GUILLOREL, « La complainte du marquis de Pontcallec, les gwerzioù bretonnes et l’histoire » in. Joël CORNETTE, Le Marquis et le Régent, op. cit., p. 300- 302.

« On connaît le chant intitulé « Mort de Pontcallec » dans le Barzaz-Breiz. On avait cru longtemps qu’il avait dû être fabriqué de toutes pièces 629

».

En 1890, Joseph Loth distinguait trois sortes de chants dans le Barzaz : les chants inventés, les chants démarqués, les chants arrangés affirmant que « les chants dit historiques rentrent tous à peu près dans la seconde catégorie ; le procédé est des plus simples : au lieu de soldat, vous mettez croisé, et, au lieu d’un chant du XIXe siècle, vous en avez un de l’époque des croisades 630». Une touche de peinture, affirmait le linguiste, et n’importe quel chant contemporain devenait ballade historique. Plus mesuré, Ernest Renan dans un article « La poésie des races celtiques », tout en louant la beauté de l’ouvrage, exprimait ses doutes et ses inquiétudes devant l’abondance et la précision des noms historiques, se demandant « si l’oreille de M. de La Villemarqué ne s’était pas prêtée complaisamment à entendre certains de ces noms 631». Ainsi, notait-il : « M. de la Villemarqué suppose trop volontiers que le peuple répète durant des siècles des chants qu’il ne comprend qu’à moitié. Lorsqu’un chant cesse d’être intelligible, il arrive presque toujours que le peuple l’altère pour le rapprocher de sons familiers à son oreille et qui aient pour lui une signification. N’est-il pas à craindre d’ailleurs que, dans ce cas, l’éditeur, avec la meilleure foi du monde, ne prête au texte quelque inflexion légère afin d’y trouver le sens qu’il désire ou qu’il a dans l’esprit ? 632

». La Villemarqué n’aurait-il pas, par exemple, volontairement instillé à ces textes une connotation patriotique

absente, à proprement parler, des œuvres originelles ? La question est clairement posée, le

soupçon est là, explicite ; il se posa tout particulièrement sur la gwerz Pontkalek, nimbée il est vrai d’un discours politique saillant.

La complainte fit ainsi partie des chants incriminés par la querelle. Certes, on ne saurait accuser La Villemarqué de l’avoir inventée de toutes pièces puisque plusieurs autres collecteurs en rapportèrent des version dès 1891. On lui reprochait néanmoins d’avoir donné une teinte antifrançaise et antibourgeoise à une œuvre qui ne les portaient guère. Parmi ces critiques, signalons la plus virulente, celle de Fañch Gourville dans sa thèse de doctorat parue en 1960633 – la querelle trouva alors son point culminant. Gourville dépeignit le vicomte en

629

Anatole LE BRAZ, « Gwerz Pontcallec/La complainte de Pontcallec », Revue Celtique, tome XVII, 1896, p. 270.

630

Joseph LOTH, Chrestomathie bretonne, Paris, Bouillon, 1890. Cité par Charles LE GOFFIC, « La question du Barzaz-Breiz » in. L’Âme bretonne, op. cit., p.56.

631

Cité par Charles LE GOFFIC, « La question du Barzaz-Breiz » in. L’Âme bretonne, op. cit., p.58.

632

Ernest RENAN, « La poésie des races celtiques » in. Essais de morale et de critique, Paris, M. Lévy, 1859, note p 429.

633

Francis Fañch GOURVILLE, Théodore-Claude Henri Hersart de la Villemarqué et le Barzaz-Breiz, Rennes, Oberthur, 1959, p. 467-473.

authentique faussaire. Par confrontation à l’histoire réelle, il entendit prouver l’inauthenticité du chant, dont la « pureté inaccoutumée 634» avait été, pensait-il, entièrement remodelée par l’écrivain, à tel point que n’aurait subsisté au sein du texte plus rien de la tradition réelle :

« Il s’en faut de beaucoup que Pontcallec ait été le seigneur adoré de ses vassaux, dont les paroissiens de Berné déplorèrent l’arrestation, et qui faisait pleurer les populations sur son passage, encadré par des dragons, émus eux-mêmes malgré la dureté de leur cœur. […] 635»

Et, tout cela posé,

« On imagine mal que la mémoire du marquis ait pu inspirer la composition d’une pièce dans le genre de celle qui lui est consacrée 636».

Puis les enjeux politiques, idéologiques, se sont délayés peu à peu, les controverses méthodiques ou théoriques s’évanouirent ; la querelle s’éteint. Fin des années 1960, début 70, Donatien Laurent se pencha sur le travail de collecteur de La Villemarqué en étudiant les cahiers d’enquête de l’écrivain637

; finalement, il put en conclure que « la provenance populaire des manuscrits ne pouvait faire aucun doute ». Malgré tout, pour la grande majorité des chants, « il y a bien loin du texte recueilli par La Villemarqué à celui qu’il publiera : la langue est épurée, l’action resserrée, les traits jugés choquants sont éliminés et, en général, les noms des personnages historiques sont introduits et le cadre transformé en conséquences 638». Des analyses plus récentes encore, dont celle de Nelly Blanchard639, sur la méthode d’édition des textes de La Villemarqué, insistent sur la nécessité d’une mise en perspective du

Barzaz-Breiz dans le contexte intellectuel et romantique qui prévaut alors au sein des cercles

érudits ; l’œuvre fut conçue par son auteur comme un travail de restauration, de reconstruction, de refiguration des pièces recueillies ; il s’agissait pour La Villemarqué, poète archéologue, de retrouver, en reconstituant les bris fragmentaires, l’œuvre originelle dont ne subsistent plus alors que des tessons brisés par le temps et les transmissions successives. Ainsi se conçoit la probité intellectuelle de La Villemarqué, telle semble avoir été son projet, l’idéologie qui sous-tend sa méthode et son œuvre. La querelle qui s’ensuivit devient

634 Ibid., p. 467. 635 Ibid., p. 469-470. 636 Ibid., p. 469-470. 637

Voir à ce sujet Donatien LAURENT, Aux sources du Barzaz-Breiz : la mémoire d'un peuple, Douarnenez, ArMen, 1989, 335p. et Donatien LAURENT, « Aux origines du Barzaz Breiz : les premières collectes de La Villemarqué (1839-1840) », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, tome CII, 1974, p.173-222.

638

Donatien LAURENT , « Aux origines du Barzaz Breiz : les premières collectes de La Villemarqué (1839- 1840) », op. cit., p.174.

témoignage d’une évolution des techniques, d’un renouvellement de la démarche scientifique, dont François-Marie Luzel se fit l’apôtre, imposant en premier commandement une reproduction des chants aussi proche que possible de la matière brute recueillie640.