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Le point de vue adopté dans ce travail concernant la CVS en chinois

Comme nous l’avons vu dans la section précédente, la notion de CVS fait encore aujourd’hui l’objet de vives discussions : faut-il garder ce concept, est-il opérationnel, ou vaudrait- il mieux l’abandonner ? Chez ses partisans, la validité de la CVS tient principalement à sa singularité syntaxique : « les relations qu’entretiennent les deux parties de la CVS ne sont pas celles de prédication, ni celles de rection, de complémentation ou de détermination. Elle n’appartient à aucune structure syntaxique existante » (Zhu Dexi 1999 : 55). D’ailleurs, « il est difficile de déterminer lequel des constituants de la CVS typique est

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l’élément principal ou l’élément subordonné » (Lü Shuxiang 1979 : 83).

Song Yuzhu (1978) fait partie de ceux qui admettent l’existence de la CVS en chinois. Pour lui, si la CVS n’existait pas et n’était qu’une notion purement fabriquée, il faudrait effectivement impérativement s’en débarrasser ; mais si la CVS est présente en chinois, elle existe quelle que soit la dénomination que l’on décide de lui attribuer.

Liu Danqing (2015), lui, est contre l’idée de traiter inconditionnellement la CVS comme relevant soit d’une relation de subordination soit d’une relation de complémentation. Par exemple, dans le cas de CVS composée d’actions successives en particulier, il n’est ni opérationnel ni convaincant d’établir une relation de subordination entre les SV. Il affirme que les relations sémantiques de but, de cause-à-effet, etc., entre les SV de la CVS, sont engendrées par les particularités des relations syntaxiques entre les SV en question et que les séries verbales présentent une relation syntaxique et sémantique qui leur est propre.

Si les opposants proposent d’abandonner cette étiquette, c’est en particulier parce que la définition de la CVS chez certains linguistes s’avère peu claire et qu’il en résulte un chevauchement entre la CVS et d’autres constructions. Le statut de la CVS en tant que construction autonome est sans cesse remise en cause par ceux qui ont essayé d’y englober d’autres structures. Cependant, ces opposants n’ont jamais réussi à l’éradiquer du domaine de linguistique chinoise (Lü 1979 : 83) et cette notion continue à apparaître dans les manuels de chinois, les grammaires, les dictionnaires ou les travaux de recherche plus strictement scientifiques (par ex. Gao Zengxia 2006 ; Liu Haiyan 2008a ; Zhang Bin 2010). Dans les programmes sur l’enseignement du chinois, elle est considérée comme une construction qu’il faut enseigner aux apprenants (par ex. Wang Huan 1995 : 131-2 ; Liu Yinglin 1996 : 53).

S’il est indipensable que la CVS comprenne au moins deux verbes ou syntagmes verbaux, il s’en faut de beaucoup que toutes les séquences à deux verbes soient considérées comme des CVS par tous. Comme l’a souligné Sebba (1987 : 1), certains auteurs vont jusqu’à traiter comme des verbes en série toute séquence verbe- verbe tant que le second verbe n’est pas marqué comme infinitif à l’évidence. Nous avons vu qu’en ce qui concerne le chinois, certains linguistes comme Li et Thompson adoptent une conception maximaliste pour tenter d’englober autant de sous-types que possible sous l’étiquette de CVS, ce qui conduit d’autres à proposer de renoncer totalement à l’usage de cette notion dans l’analyse syntaxique du chinois. D’où la nécessité de restreindre les périmètres de la CVS, comme le propose Shi Cunzhi (1986). Les travaux plus récents (Chen Changlai 2000 ; Gao Zengxia 2006 ; Liu Haiyan 2008 ; Peyraube et Xiong 2010) sont parvenus à proposer une définition plus restrictive par rapport aux travaux antérieurs (Zhu Dexi 1982 ; Li et Thompson 1978, 1981). Gao Zengxia (2006 : 35) fait remarquer que la littérature récente adopte souvent une

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définition combinant la forme et le sens. Du point de vue formel, la CVS ne contient ni pause orale ni mot de liaison ; elle se distingue des constructions de rection, de coordination, etc.

Notre point de vue est plus proche de ces travaux récents sus- mentionnés. Seuren (1991 : 194) préconise dans une optique typologique d’adopter une définition restrictive de la CVS, sinon le nombre de langues à séries verbales serait trop important. Notre souci reste plutôt dans le cadre du chinois : une définition restrictive évite l’inclusion de phrases formellement semblables à la CVS mais qui s’en distinguent sémantiquement et syntaxiquement. Nous estimons que la CVS doit être définie suivant une conception plutôt minimaliste pour délimiter son périmètre. Nous jugeons que cette notion s’applique au chinois et sa raison d’être tient premièrement au fait que certains types de phrases ne peuvent être analysés par aucune des constructions déjà existantes. Ainsi proposons- nous ici une liste de critères définitoires pour bien circonscrire la CVS et en exclure un grand nombre de « pseudo-CVS ».

1.2.1 Les critères permettant d’identifier une CVS

Comme le dit Lord (1993 : 1), « définir les constructions à verbes en série est quelque

chose d’épineux18

». Dans cette section nous proposons, en dialogue avec la littérature sur la CVS, une définition de la CVS valable pour le présent travail, c’est-à-dire qui nous permet de décrire et d’analyser les CVS à relation finale.

On propose d’abord dans cette section une série de six critères établissant les caractéristiques principales des séries, dans le but de distinguer les constructions sérielles des autres types de constructions similaires.

Nous tenons à signaler aussi que selon notre point de vue, il serait inapproprié de vouloir généraliser les caractéristiques que la CVS présente dans une langue à d’autres langues : la CVS peut présenter une diversité de structures d’une langue à une autre. Ceci est mentionné dans par exemple Lord (1993 : 1) et Haspelmath (2016), celui-ci considère naturel le manque d’unanimité dans la définition de la CVS en typologie, en ce sens que chaque langue possède ses propres catégories grammaticales et constructions, et que les définitions de celles-ci ne sont typiquement pas applicables à d’autres langues. Similairement, Manente (2015) a aussi affirmé que « les CVS ne sont […] pas présentées comme un concept absolument stable et comparable dans toutes les langues, mais davantage comme un outil pratique pour décrire des réalités proches ».

Il serait donc inopérable de procéder à une définition universelle qui viserait à s’appliquer à toutes les langues sérielles ; il est par ailleurs légitime que certains critères

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définitoires de la CVS dans certaines langues ne fonctionnent pas en chinois. Nous revenons plus bas sur certains de ces critères inopérants en chinois.