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Chapitre II La notion de finalité et la CVS de but

2.3 Contraintes générales pesant sur la CVS de but en chinois

2.3.5 Résumé et extension de la section

À partir de l’examen que nous venons d’accomplir, nous pouvons résumer ainsi les conditions nécessaires pour qu’une relation finale s’établisse entre les SV dans une CVS :

1. Le SV1 exprime une action volitionelle ; ainsi l’agent doit-il être animé ; 2. Le SV2 traduit le but, soit un résultat visé de l’agent ;

3. Il faut une compatibilité pragmatique entre les deux SV en question ;

4. Du point de vue de la succession temporelle, l’action dénotée par le SV de but ne peut pas être antérieure à celle dénotée par le SV1.

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Comme nous l’avons indiqué, ces conditions s’appliquent à l’expression du but par la CVS en chinois. Elles ne sont pas forcément obligatoires pour d’autres constructions de but en chinois, et le sont encore moins dans d’autres langues.

Tout d’abord, toujours en chinois, la phrase complexe à subordonnée de but n’est pas soumise aux mêmes contraintes que la CVS. Comme les contraintes imposées à cette dernière ont été majoritairement établies à partir des contraintes établies par Lu Peng (2003b) à propos de la phrase complexe à subordonnée de but, nous reprenons celles-ci sommairement. Selon lui,

1. Le verbe (ou SV) de la proposition principale doit être volitionnel ; 2. L’agent doit être animé ;

3. Ni la proposition principale ni la proposition subordonnée n’accepte de prédicat statif ; 4. « La postériorité temporelle de la subordonnée par rapport à la principale est indispensable au bien-fondé d’une phrase finale ».

Ensuite, sur le plan typologique, nous allons voir s’il existe les mêmes contraintes universelles dans l’expression du but.

1. Concernant le SV de la proposition principale, il n’exprime pas forcément une action volitionnelle, ou carrément, pas une action. Commençons par l’anglais :

Di Eugenio (1992) affirme que dans la plupart des cas, la proposition matrice et celle de but décrivent une action ; dans quelques cas rares, l’une des deux propositions décrit un état :

(II51) To be successfully covered, a wood wall must be flat and smooth.

Mais il n’a pas trouvé de cas où les deux propositions décrivent un état.

Chez Givón (2001 : 337), la proposition principale est active ou agentive dans les cas typiques :

(II52) (a) He went out to look for his boy. (II52) (b) To go there, you must take the train.

(II52) (c) In order to finish on time, she had to cut corners.

Givón indique que cette restriction sémantique sur la proposition principale signifie qu’elle doit impliquer le choix ou le contrôle, plutôt que coder une action. Donc, les propositions exprimant un état peuvent aussi occuper cette position, à condition qu’il soit possible d’inférer le sens de contrôle :

(II53) (a) To do this, you must be brave.

(II53) (b) To play basketball, one had better be tall.

Nous signalons qu’un point commun dans ces exemples anglais est que la proposition décrivant l’état expriment une modalité.

Ensuite voici le cas du français :

Gross et Prandi (2004 : 103) citent les exemples suivants :

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(II54) (b) Les taxis sont jaunes pour qu’on les reconnaisse mieux.

(II54) (c) Ce texte est hermétique pour que les non-initiés ne le comprennent pas.

Ces trois exemples, « tout en admettant une interprétation finale, ne présentent pas une action comme contenu de la proposition principale ». La proposition principale de chaque phrase décrit respectivement : un état du sujet « est à la campagne », une propriété d’un objet

sont jaunes et une propriété d’un objet est hermétique. Mais « les restrictions conceptuelles

sur la finalité ne sont pas démenties ». « Pour pouvoir identifier une relation finale cohérente, nous sommes poussés à réinterpréter le procès principal comme le résultat d’une action intentionnelle » (Ibid. : 103) :

(II55) (a) Anne s’est rendue à la campagne pour reprendre des forces. (II55) (b) Les taxis ont été peints en jaune pour qu’on les reconnaisse mieux.

(II55)(c) Ce texte a été écrit de façon hermétique pour que les non-initiés ne le comprennent pas.

Ainsi, « la présence d’un agent est en tout cas accessible par inférence » (Ibid. : 104).

Nous avons aussi trouvé un exemple authentique dont la proposition principale comporte un agent qui n’agit pas pour la réalisation d’un but :

(II56) Il a laissé cette lampe allumée pour qu’on s’imagine qu’il travaille toujours. (Leroux 1908 : p. 132)

Nous voyons que sur le plan de la forme linguistique, la proposition principale admet des verbes n’exprimant pas une action, mais que sur le plan conceptuel, il est possible d’en déduire d’un agent et d’une action volitionnelle.

2. Concernant le résultat visé, nous avons vu q ue dans la CVS à relation finale en chinois, il s’agit plus précisément d’un résultat positif voulu par l’agent. Cette construction ne peut exprimer un but à éviter, que nous allons montrer dans la section 3.4.6 du Chapitre III.

Pour exprimer un but négatif, le chinois recourt à des marqueurs de but comme yĭmiăn (voir Lu Peng 2003b). Il existe aussi des marqueurs similaires en français, comme de peur

de/que, de crainte que, par crainte que (voir Grevisse et Gousse 2016 : 1622 sur l’expression

du but négatif en français ) :

(II57) Il ne sort jamais la nuit de peur d’être agressé.64

(II58) Il faut agir vite de crainte que la situation ne devienne sérieuse.65

Il est aussi possible de transformer la proposition de pour que en négation pour exprimer le but négatif. Le (II58) devient :

(II59) Il faut agir vite de peur que la situation ne devienne pas sérieuse.

Similairement en anglais, lest permet d’exprimer le but négatif (voir Schmidtke-Bode 2009 : 129-30) :

(II60) Alexei formed a smile as he spoke, lest she detect a hint of the offence in his words. Schmidtke-Bode 2009 : 130) 64 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/peur/60046/locution 65 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/crainte/20149/locution

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Il existe aussi d’autres locutions exprimant le but négatif : so as not to, in order not to, to

avoid (doing something), et in case et for fear, suivis d’une proposition subordonnée

(Berland-Delépine et Duchet 2000 : 476).

(II61) I tiptoed to my room so as not to wake them up / to avoid waking them up. (J’allai dans ma chambre sur la pointe des pieds pour ne pas / pour éviter de les réveiller.) (Ibid. : 476)

(II62) They whispered to each other in order not to be heard. (Ils se parlèrent à voix basse pour ne pas être entendus.) (Ibid. : 476)

Pour notre part, le but à éviter fait également partie du résultat visé, c’est-à-dire que la phrase complexe à subordonnée de but obéit aussi au principe de résultat visé (dans la proposition subordonnée de but).

3. Il faut une compatibilité pragmatique entre les deux SV en question. Nous allons montrer dans la section 3.4.3, Chapitre III, qu’en chinois, la CVS de but et la phrase complexe à subordonnée de but présentent des degrés de compatiblité pragmatique différents. La phrase complexe à subordonnée de but permet de relier deux événements n’ayant en toute apparence aucun lien l’un avec l’autre. Le principe de compatiblité pragmatique est donc un principe d’ordre graduel et il est inapproprié de dire qu’il existe ou non dans une langue.

4. Selon nos connaissances du monde, l’action visée par le but ne peut précéder l’action intentionnelle. Nous disons que le 4e critère s’applique aussi aux autres langues.

Pour conclure les principes présents dans l’expression du but à travers les langues du monde, nous disons que le principe de volitivité n’est pas forcément constaté dans certaines constructions de but de certaines langues et que le reste des principes s’appliquent aux constructions de but sur le plan typologique.

2.4 Les manipulations syntaxiques permettant de tester une CVS à relation finale en