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Chapitre II La notion de finalité et la CVS de but

Test 2 La possibilité de relier les deux actions par lái ou qù

Schmidtke-Bode (2009 : 187) conclut, en étudiant les propositions de but dans les langues du monde, que les marqueurs de but ont souvent une origine lexicale et constituent des exemples typiques de grammaticalisation. Les plus courants de ces marqueurs sont issus des expressions indiquant un déplacement ou le bénéficiaire de l’action66

. Le verbe de déplacement lái du chinois illustre bien son affirmation. Lu Peng (2003a : 334) a montré que le verbe lái peut apparaître dans une construction verbale – dont la CVS – pour véhiculer une relation de finalité et que le verbe principal (ce qui est le SV1 dans notre cas de figure) est régi par les deux contraintes de volitivité et non stativité imposées par la relation de finalité :

(II66) 我 点儿 花。

jiē diǎnr shuǐ lái jiāo huā.

66 « Purpose markers, like many other grammatical items, tend to develop from lexical expressions, thus constituting typical examples of grammaticalization in the narrow sense. […] the most common lexical sources of purpose markers are from the domain of directed motion or benefaction, […] » (Schmidtke-Bode 2009 : 187)

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je recevoir un peu eau venir arroser fleur

Je vais chercher un peu d’eau pour arroser les fleurs. (Lu 2003a : 327)

Elle explique que lái, ici non obligatoire, « permet de souligner et d’expliciter l’expression de finalité » (Lu 2003a : 329). La présence de lái en (II66) rend plus évidente la relation de but entre les deux actions « chercher un peu d’eau » et « arroser les fleurs ». Lái provient du verbe de déplacement lái « venir » et est considéré encore comme un verbe par Lü Shuxiang (1980/1999 : 345) dans cet emploi spécifique de connecteur, mais des travaux plus récents comme Ding Jian (2014b) le considèrent comme une conjonction de but.

Chez Dragounov (ou Longguofu, son nom chinois), les deux mots, lái et qù sont considérés comme des marqueurs dénotant un déplacement intentionnel, réel ou imaginaire ; ils servent surtout à introduire un constituant exprimant le but, qu’il appelle 无定式 wúdìng

shì « verbe non fini » (Longguofu 1958 : 110). Voyons les phrases illustrant son propos :

(II67) 我 出门 点儿 东西。(Ibid.)

chū-mén măi diănr dōngxi.

je sortir-porte aller acheter un peu chose Je sors faire quelques courses.

Nous tenons à préciser que dans le premier exemple le verbe « aller » garde son sens d’orientation déictique, alors que dans le deuxième, il n’y a pas de déplacement.

Dans presque la même ligne, Sun Chaofen suggère la possibilité d’ajouter lái ou qù dans la CVS consécutive. « Lái et qù fonctionnent comme des marqueurs de but, qui peuvent apparaître entre les deux SV. Dans ce cas, Le SV qui suit le lái de but (en anglais « purposive

lái ») est le SV sur lequel porte la focalisation et indiquant la cause » (Sun 2006 : 200 ; voir

aussi Stephen Chan 1974 ; Zhang Bojiang 2000).

(II69) 他们 (去/来) 睡觉。

tāmen shàng lóu (qù/lái) shuì-jiào.

ils monter escalier aller/venir dormir-sommeil Ils montent (pour aller/venir) dormir. (Sun 2006 : 200)

Nous recourons tout d’abord ici à l’emploi de lái en tant que marqueur de but (gardant toujours un sens de déplacement dans cet exemple) pour tester si une CVS a une relation finale ou non. On devrait pouvoir insérer lái au sens de « pour » entre les deux SV d’une CVS si le SV2 exprime le but du SV1 (comme la phrase (II66) de Lu Peng plus haut) ; dans le cas contraire, lái ne peut pas apparaître entre les deux SV. Reprenons l’exemple : en ajoutant lái, nous obtiendrons une phrase agrammaticale :

(II63)* 他 下班 家。

(II68) 证明……。(Ibid.)

zhè tiáo lái zhèngmíng…

je citer ce quelques CL exemple venir prouver Je cite ces quelques exemples pour prouver...

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měi tiān xià-bān lái huí jiā.

il chaque jour descendre-poste venir rentrer maison Sens visé : Tous les jours il sort de son travail pour rentrer chez lui.

Ensuite, pour vérifier que qù est aussi porteur d’une relation de finalité, nous reprenons l’exemple de Lu en remplaçant lái par qù entre les deux SV : Il rentre bel et bien dans la phrase pour mettre en évidence la relation de but ; alors que dans une CVS dépourvue d’une telle relation, l’adjonction de qù serait fautive, comme l’illustre l’exemple (II71) :

(II70) 我 点儿 花。

jiē diǎnr shuǐ qù jiāo huā.

je recevoir un peu eau aller arroser fleur Je vais chercher un peu d’eau pour arroser les fleurs. Je prends un peu d’eau pour aller arroser les fleurs.

(II71) *他 下班 家。

měi tiān xià-bān huí jiā.

il chaque jour descendre-poste aller rentrer maison Sens visé : Il sort de son travail pour rentrer chez lui.

Nous pouvons donc en conclure temporairement que l’adjonction de lái et de qù sert l’une comme l’autre de critère permettant de vérifier si une CVS possède une relation de finalité ou non.

Malgré le fait que bon nombre de chercheurs aient établi un lien entre la construction de but et les deux verbes lái et qù et que ceux-ci soient admis dans la CVS à relation finale, nous ne pouvons pas affirmer catégoriquement que ces deux verbes sont dédiés à l’expression de but. A titre d’exemple, ils sont susceptibles de figurer dans la structure suivante :

(II72) 我 非常 高兴 你们 居然 胆量

wǒ fēicháng gāoxìng nĭmen jūrán yŏu dănliàng

je très heureux vous d’une.façon.inattendue avoir audace 挑战 我。(Wei Zheng 2011 : ép. 2)

lái tiăozhàn wǒ.

venir lancer.un.défi je

Je suis très heureuse que vous ayez même l’audace de me lancer un défi.

(II73) 你 妈 地方

yŏu ge dìfāng duŏ

tu maman encore avoir CL endroit aller cacher 清静。(Ying Da 1993 : ép. 62)

qīngjìng.

tranquilité

Ta maman a au moins un endroit pour s’isoler.

La séquence « yŏu + SN + SV », au sens d’ « avoir quelque chose pour faire quelque chose » ou « avoir la confiance de faire quelque chose » dans ces exemples, contient un verbe statique yŏu en position de SV1, ce qui enfreint la règle de volitivité du SV1. Ne relevant pas

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de la CVS à relation finale, elle admet quand même qù/lái pour relier les deux SV.

Test 3 : La possibilité de formuler une interrogation en gànshénme « pour quoi faire » sur le SV2.

Puisque les SV de la CVS en question constituent une chaîne action-but, nous estimons pouvoir faire porter l’interrogation sur le SV2, le but à atteindre, par l’expression interrogative 干什么 gànshénme « pourquoi, pourquoi faire » (ce test est présent chez Zhang Bojiang 2002) sauf si la phrase est déjà elle-même une interrogation. Nous reprenons la phrase (II30) pour former une phrase interrogative de ce type :

(II74) 他 跳到 水里 干什么?

tiào-dao shuǐ-li gànshénme ?

il sauter-arriver eau-dedans pourquoi Pourquoi a-t-il sauté dans l’eau ?

Il est évident que l’interrogation en gànshénme s’applique à la CVS à relation finale pour poser une question sur l’objectif d’une action intentionnelle. En revanche, une CVS dépourvue de relation finale peut-elle accepter une telle interrogation ? Reprenons la phrase (II63) où nous aurions avec ce test la phrase suivante, qui, n’étant pas fausse en soi, ne peut pas non plus être considérée comme une question à laquelle (II63) est susceptible de constituer une réponse, du fait de l’absence de relation finale entre les deux SV :

(II75) 他 每 下班 干什么?

tā měi tiān xià-bān gànshénme ?

il chaque jour descendre-poste pourquoi Pourquoi sort-il de son travail tous les jours ?

Nous précisons que gànshénme doit s’interpréter comme un mot au sens de « pourquoi faire ». Il peut aussi être interprété comme deux mots au sens de « faire quoi ». Dans ce cas, la phrase est correcte et signifie « Qu’est-ce qu’il fait après être sorti de son travail tous les jours ? ».