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Chapitre III La CVS à relation finale et la phrase complexe à subordonnée de but : comparaison sémantique et syntaxique comparaison sémantique et syntaxique

3.3 Une étude syntaxique de la CVS à relation finale

3.3.6 La CVS à relation finale et les marques d’aspect et de temps

3.3.6.4 Le redoublement verbal

Nous examinons ici la possibilité de redoubler le verbe de l’un des SV de la CVS à relation finale.

Le redoublement (ou réduplication) du verbe est généralement considéré comme un procédé marquant l’aspect : Chao Yuen-Ren (1968 : 204-205) parle de « tentative aspect » (action faite « à l’essai ») ; Lǚ Shuxiang (1980/1999 : 16) parle d’ « aspect de courte durée » (même appellation chez Dai Yaojing 1997 : 67) et de « tentative aspect »80 (action faite à l’essai, pour voir) pour le redoublement verbal, sans aller plus loin sur sa fonction. Li et Thompson utilisent le terme « aspect délimitatif » (delimitative aspect), qui revient à faire quelque chose « un peu » ou pendant une courte période (1981 : 232). Pour Zhu Dexi (1982 : 66), le redoublement verbal exprime une action effectuée en petite quantité ou sur une courte durée (cette fonction est aussi mentionnée chez Liu et al. 2001 : 161), qui permet dans une phrase impérative d’adoucir le ton. Pour une synthèse des divers emplois du redoublement verbal, voir Li Shan (2003 : ch 3). Les travaux sur le redoublement précisent également qu’il n’est attesté que pour une partie des verbes : de manière générale, le verbe doit être un verbe d’action présentant le trait volitionnel pour pouvoir être redoublé (Chao Yuen-Ren 1968 : 204-205 ; Li et Thompson 1981 : 23481 ; Zhu Dexi 1981 : 235, Liu Yuehua 1984 ; Liu et al. 2001 : 165).

Maintenant nous passons en revue ce qui a été dit à propos de la CVS et du redoublement. D’après l’étude de Liu Yuehua (1984) sur le redoublement du verbe, le verbe d’un SV2 d’une CVS de but peut être redoublé :

(III121) 喝了 烧酒 壮壮 胆子。

wǒ jiù hē-le liăng kŏu shāojiŭ zhuàng-zhuang dănzi.

je donc boire-ACC deux bouchée eau-de-vie fort-RED courage Donc j’ai pris quelques gorgées d’eau-de-vie pour me donner du courage.

Dans son livre sur la syntaxe chinoise, Li Ziyun (1991 : 271) affirme qu’il existe des cas de CVS où le V1 est une forme redoublée. Nous avons relevé deux phrases qui font l’objet de notre étude :

(III122) 摆摆手 大家 致意。

80

短时态 duănshítài « aspect de courte durée » et 尝试态 chángshìtài « tentative aspect ».

81

Pour eux, le verbe doit être 1) un verbe d’activité (activity verb), qui peut soit dénoter une action soit impliquer une activité d’un certain type ; 2) un verbe volitionnel (volitional verb).

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băi-bai-shŏu xiàng dàjiā zhìyì.

il secouer-RED-main vers tout le monde saluer Il secoue la main pour faire signe à tout le monde.

(III123) 大爷 点点头 表示 许诺。

Yáo dàye diăn-dian-tóu biăoshì xŭnuò.

Yao papi hocher-RED-tête exprimer promettre Papi Yao hoche la tête en signe d’approbation.

Nous pouvons déjà faire quelques remarques sur ces deux exemples. Ceux-ci relèvent tous les deux de la finalité analytique : les deux actions exprimées par les SV se déroulent concomitamment. Les SV2 sont atéliques et n’exercent donc pas de contrainte de télicité sur le SV1. Ces verbes en position de SV1, employés tout seuls, acceptent le redoublement. C’est pourquoi ils l’acceptent aussi dans la CVS à relation finale. Un autre dénominateur commun de ces deux verbes est qu’ils sont sémelfactifs, qu’ils expriment une action ponctuelle susceptible d’être réitérée et dont le sémantisme se prête au redoublement.

Pour Li Shan (2003 : 138), le redoublement du V1 est acceptable dans la CVS. Nous citons ici trois des cinq phrases fournies par Li qui sont susceptibles de recevoir une interprétation finale. Elle précise que dans ces ca s, le verbe redoublé ne peut passer à la forme nue et que le redoublement est une condition nécessaire pour que le SV1 puisse rentrer dans la CVS.

(III124) 你 乏 了, 坐坐 吧。82

(4/6)

le, zuò-zuo chī chá ba.

tu fatigué CE s’asseoir-RED manger thé PM Tu es fatigué, assieds-toi pour prendre du thé.

(III125) 歇歇 信儿。83

(5/6)

xiān xiē-xie tīng xìn’r.

tu d’abord se reposer-RED écouter message Assieds-toi d’abord et écoute les nouvelles.

(III126) 要是 补补 用,

zhè ge yàoshi bŭ-bu yòng, hái néng

ce quelques CL si réparer-RED utiliser encore pouvoir Si on répare encore ceux-ci, ça peut

使。84

(5/6)

dĭng ge xīn de shĭ.

remplacer CL nouveau NOM utiliser

82

Cet exemple est tiré du roman Hong Lou Meng, écrit au 18e siècle. CAO Xueqin 曹雪芹, GAO E 高鹗 (1982). Hóng

Lóu Mèng 红楼梦 [Le Rêve dans le pavillon rouge]. Beijing : Rénmín wénxué Chūbănshè 人民文学出版社, p. 1074. La

traduction anglaise donnée dans l’édition bilingue publiée aux Foreign Language Press à Pékin (A Dream of Red Manshions, 1999) est « You must be tired out, Auntie. Take a rest and have some tea. » (p. 2509), qui peut s’interpréter aussi comme une simple coordination.

83

Ibid., p. 1357.

84

HAO, Ran 浩然 (1973). Chūn gē jí 春歌集 [Recueil de chansons sur le printemps]. Tianjin : Tiānjīn rénmín Chūbănshè 天津人民出版社, p. 341.

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encore passer pour un nouveau.

Les deux premiers exemples sont tirés d’un roman écrit au XVIIIe siècle, qui, nous paraît- il, ne peuvent pas réellement refléter l’usage d’aujourd’hui, comme le montrent les réticences de nos informateurs. Quant au 3e exemple, nous préférerions, pour notre part, insérer l’adverbe 再 zài « avant de, et seulement ensuite » entre les SV bŭ-bu et yòng.

De plus, nous signalons que le redoublement est très sensible au mode. Les deux premiers exemples sont des phrases impératives et le troisième concerne une proposition conditionnelle. Cela correspond aux remarques de Dai Yaojing (1993) : le redoublement verbal figure souvent dans une phrase impérative ou dans une proposition conditionnelle, pour exprimer des événements futurs. Si les trois phrases de Li Shan contiennent un V1

redoublé, c’est peut-être qu’elles sont soit des phrases impératives, soit des propositions conditionnelles, qui facilitent l’emploi du redoublement (voir aussi Paris 2006).

Hédelin estime que seul le V2 peut être redoublé : « Lorsque la phrase comporte deux ou plusieurs verbes, c’est le dernier verbe – principal – qui est redoublé » (Hédelin 2008 : 116). Il a cité deux exemples qui rentrent parfaitement dans le cadre de la CVS à relation finale.

(III127) 打算 图书馆 看看 书。

dăsuàn dào túshūguǎn kàn-kan shū.

je compter arriver bibliothèque regarder-RED livre J’ai l’intention d’aller lire un peu à la bibliothèque.

(III128) 下午 八达岭 转转。

xiàwŭ xiăng Bādálĭng zhuàn-zhuan.

après-midi je vouloir aller la Grande Muraille faire un tour-RED Cet après-midi je pense aller faire un tour à la Grande Muraille.

Ces deux exemples contiennent des verbes de modalité dăsuàn « compter, avoir l’intention de » et xiăng « vouloir, avoir envie de », qui expriment une intention portant sur des événements futurs. Dai Yaojing (1993) a constaté que le redoublement apparaît souvent dans des phrases exprimant des événements futurs et qu’il est compatible avec des verbes de modalité (得 děi « devoir » et 要 yào « devoir » cités chez Dai) et des verbes auxiliaires impliquant un événement futur. Il est donc to ut à fait normal que le redoublement du V2

puisse apparaître dans ces deux phrases contenant des verbes de modalité déontique.

Zhang Wangxi (2016 : 83) a constaté que le trait irréel du redoublement est souvent présent dans le séquence « verbe de déplacement + redoublement verbal » :

(III129) 我们 厂子 反映反映。(Zhang 2016 : 83)

shuō wŏmen shàng chăngzi gĕi fănyìng-fănyìng.

je dire nous monter usine BEN tu rapporter-RED J’ai dit que nous allions aller à l’usine faire un rapport pour toi.

Cet exemple relève de la CVS à relation finale. En réalité, le redoublement n’est pas limité à la séquence « verbe de déplacement + redoublement verbal » : il apparaît aussi dans des CVS

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à relation finale dont le SV1 n’exprime pas le déplacement. Résumons nos observations sur le redoublement du V2 :

--- Le SV2 de la CVS à relation finale est volitionnel (voir Chapitre II, section 2.3.1), ce qui rejoint une des conditions du redoublement.

--- Le caractère irréel du redoublement correspond bien au caractère irréel du but, exprimé par le SV2 de la CVS.

Passons maintenant au redoublement du V1.

Dans la CVS à relation de finalité analytique, le V1 peut être redoublé s’il n’est pas intrinsèquement télique et que le SV2 ne l’est pas non plus (voir les deux exemples de Li Ziyun 1991 : 271 précités).

Liu Haiyan (2008b) énumère, quand le V1 est redoublé (c’est-à-dire qu’elle admet que le V1 accepte le redoublement), quatre formes possibles et une forme impossible pour le verbe occupant la position du SV2 :

SV1 SV2

verbe redoublé

verbe nu

verbe suivi de son objet

verbe composé résultatif ou directionnel verbe suivi d’une particule aspectuelle * verbe redoublé

Nous avons fait un tri parmi ses exemples et citons une CVS à relation finale :

(III130) 煮煮 吃。(Liu 2008b : 51)

zhŭ-zhu chī.

tu cuire à l’eau-RED manger Fais-le bouillir (pour le manger).

Si le SV1 est atélique et que le SV2 est télique, le V1 ne peut quand même être redoublé en raison du bornage entraîné par le SV2 :

(III131) * 他 坐坐 学校。

tā zuò-zuo chē xuéxiào.

il prendre-RED voiture aller école Sens visé : Il prend le bus pour aller à l’école.

Dans la CVS à relation de finalité synthétique, le redoublement du V1 est interdit en général.

Une autre question se pose aussi : si le V2 d’une CVS est redoublé, la phrase reçoit-elle forcément une interprétation finale ? Il est bel et bien reconnu par tous que la CVS à relation finale accepte le redoublement verbal pour le V2, mais est-ce le cas pour les CVS d’autres relations ? Examinons quelques exemples d’autres types de CVS.

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tāmen tīng-le zhè ge xiāoxi tiào-tiao.

ils écouter-ACC ce CL nouvelle sauter-RED Sens visé : Ils sautent un peu après avoir entendu cette nouvelle.

(III133) * 床上 看看 书。

zhèng tăng zài chuáng-shang kàn-kan shū.

il PRG se coucher à lit-sur lire-RED livre Sens visé : Allongé sur le lit, il est en train de lire un peu.

(III134) 时间 看看 书。(4/6)

yŏu shíjiān kàn-kan shū.

je avoir temps lire-RED livre J’ai le temps de lire un peu.

(III135) 吃完 晚饭 散散步。

mĕi tiān chī-wán wănfàn sàn-san-bù.

il chaque jour manger-finir dîner se promener-RED Tous les jours il fait une promenade après avoir fini de dîner.

L’exemple (III132), de relation de cause-à-effet, exprimerait par le SV2 tiào-tiao la conséquence d’avoir entendu la nouvelle. Comme la conséquence est souvent exprimée comme accomplie, la forme redoublée AA est incompatible avec cette relation. Néanmoins, il est possible d’utiliser 跳 了 跳 tiào-le-tiao (sauter-ACC-RED), qui exprime une action accomplie.

Dans l’exemple (III133), le SV1, tăng zài chuáng-shang « être couché sur le lit », exprime la circonstance (position du lecteur) dans laquelle se passe la deuxième action

kàn-kan-shū. Si nous affirmons que le SV1 ne signifie pas « se coucher sur le lit », c’est en raison de la présence du marqueur du progressif zhèng, qui exclut cette possibilité. Le redoublement du SV2 n’est pas admis dans cet exemple. Dans l’exemple suivant, le marqueur

zhèng étant remplacé par un verbe modal xiăng, le sens de « s’allonger sur le lit » est

déclenché :

(III133)(a) 他 床上 看看 书。

xiăng tăng zài chuáng-shang kàn-kan shū.

il vouloir se coucher à lit-sur lire-RED livre Il a l’intention de s’allonger sur le lit pour lire un peu.

L’exemple (III134), qui signifie « avoir le temps de lire », accepte le redoublement du SV2.

L’exemple (III135), qui exprime purement une relation de séquence temporelle, n’est pas incompatible avec le redoublement verbal. Le SV2 exprime une action contrôlable et n’est suivi d’aucun suffixe verbal ; il est susceptible du redoublement.

A travers ces quatre exemples, nous voyons que le redoublement verbal peut aussi apparaître dans la CVS de succession temporelle et la CVS en yŏu mais qu’il est interdit dans les CVS d’autres relations.

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Concernant le type de CVS à relation finale où l’argument-objet est partagé, le redoublement du V2 est très délicat. Nous le discutons ultérieurement, dans le Chapitre V consacré à ce sous-type de CVS de but.

Pour résumer, le V2 de la CVS à relation finale accepte facilement le redoublement car le but est doté des traits irréel et volitionnel, qui correspondent aux traits sémantiques associés au redoublement. Quant au redoublement du V1, il faut distinguer les deux cas suivants : dans la relation analytique, le V1 accepte d’être redoublé s’il n’est pas borné lui- même ou s’il ne le devient pas à cause du SV2 télique. Dans la relation synthétique, le V1 ne se prête pas au redoublement.

3.3.6.5 Les marques d’aspect progressif

Dans cette partie nous nous intéressons aux marqueurs du progressif 在 zài, 正在

zhèngzài et 正 zhèng, qui se traduisent tous souvent par « être en train de », dans la CVS à

relation finale.

Lǚ Shuxiang (1999 : 672) considère que les adverbes zhèng, zài et zhèngzài expriment une action en cours ou un état qui dure. Pour Li et Thompson (1981 : 218), zài indique l’aspect duratif, mais n’est compatible qu’avec des verbes d’activité (les deux autres marqueurs ne sont pas mentionnés). Nous considérons qu’il marque l’aspect progressif. Chez Liu et al. (2001 : 232), zài ou zhèngzài exprime le déroulement en cours d’une action.

Avant de passer à la CVS, nous présentons les différences entre ces trois marqueurs établies par Poizat-Xie et Wyss (2010 : 238-42). Ils sont « interchangeables lorsqu’ils marquent une action en cours ». Mais « il existe des nuances selon le mot qui est choisi ». Zài « mettra l’accent sur le processus du verbe », zhèng « sur le temps du verbe » et zhèngzài « marquera ces deux aspects en même temps ». Voici les précisions principales :

1). « Lorsqu’il s’agit d’une action qui intervient alors qu’une autre est en cours, seuls

zhèng et zhèngzài sont possibles ». Ils « indiquent alors le temps précis (au moment où) de

l’action dans les deux parties du discours ».

(III136) 时候, 我们 正/正在/*在 他。

lái de shíhou, wŏmen zhèng/zhèngzài/*zài shuō tā.

il venir DET moment nous PRG parler il

Quand il est arrivé, nous étions justement en train de par ler de lui. (Poizat-Xie et Wyss 2010 : 239)

2). « Lorsqu’il s’agit d’une action répétée et qui s’inscrit dans une durée, et lorsqu’il y a une indication de la durée, […], seul zài est alors possible. Cela démontre bien que zài marque le processus de l’action et non le temps durant lequel l’action se réalise ».