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CVS et subordination dans l’expression du but : degré d’intégration

Chapitre III La CVS à relation finale et la phrase complexe à subordonnée de but : comparaison sémantique et syntaxique comparaison sémantique et syntaxique

3.4.15 CVS et subordination dans l’expression du but : degré d’intégration

En conclusion de cette section, nous nous appuyons sur les résultats de nos observations pour évaluer le degré d’intégration du SV1 et du SV2. Nous exposons d’abord le continuum établi par Lehmann (1988) dans sa discussion sur la subordination (clause linkage) représentant les divers degrés d’intégration syntaxique des propositions, qui montre qu’à l’extrême-gauche se trouve la proposition subordonnée en dehors de la proposition principale, qui présente une intégration très souple, et que vers la droite se trouve la sérialisation verbale, qui se rapproche d’un groupe verbal composé d’un auxiliaire et d’un verbe, voire d’un mot, mais n’est pas encore parvenu à ce stade d’intégration.

Figure IV : continuum of the syntactic level (de Lehmann 1988 : 192)

phrase <---> mot La proposition subordonnée est Formation des prédicats complexes en dehors de la proposition principale en marge de la proposition principale dans la proposition principale dans le SV sérialisation verbale88 périphrase auxiliaire dérivation verbale

Ce modèle n’a pas encore été appliqué aux constructions de but du chinois. Nous avons montré que la CVS à relation finale et la phrase complexe à subordonnée de but sont revêtues de caractéristiques syntaxiques et sémantiques fort différentes, que nous récapitulons dans le tableau I :

Tableau I : Récapitulatif des comparaisons entre la CVS de but et la phrase complexe à subordonnée de but en chinois

la CVS à relation finale la phrase complexe à subordonnée de but

sujet identique identique ou différent

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L’exemple de sérialisation en kobon (Nouvelle-Guinée) fourni par Lehmann, se traduit, selon la traduction anglaise « He stole the string bag », par un verbe composé 偷走 tōu-zŏu voler-aller « voler », que nous excluons de la CVS. Comme nous avons montré dans le Chapitre I que le verbe composé résultatif a une structure interne plus compacte que la CVS, et se rapproche d’une unité d’ordre lexical. Ces verbes composés sont considérés comme des mots par la plupart des travaux publiés hors de Chine (Chao 1968, Li et Thompson 1981, Packard 2000), même si le débat reste ouvert en Chine sur leur statut. Il est probable en revanche que la CVS à relation finale que nous étudions se situe légèrement plus à gauche que la sérialisation verbale sur le continuum.

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partage d’argument-objet (du V1)

obligatoire non obligatoire compatibilité pragmatique petite grande

intervalle de temps laps de temps minimal pas de contrainte

portée de la négation La portée est variable. La portée reste au sein de la proposition où se trouve la négation.

portée de l’adverbe La portée est variable. La portée reste au sein de la proposition où se trouve l’adverbe. temps même cadre spatio-temporel pas de contrainte

aspect Le SV2 accepte -le. but positif : la proposition de but interdit -le.

but négatif : -le est facultatif dans la proposition de but.

interrogation partielle Il est possible d’interroger sur le SV1, le SV2 ou leur objet.

Pas de conclusion définitive.

interrogation

affirmative-négative (en V Nég-V)

Le SV1 porte la forme affirmative-négative.

La principale accepte facilement la forme affirmative-négative si elle suit la subordonnée.

La subordonnée n’accepte pas la forme affirmative-négative. interogation totale en ma Ma se trouve en fin de

phrase.

La proposition de but postposée accepte ma ; en cas de proposition de but préposée, la proposition principale accepte ma.

reprise anaphorique relation synthétique : le SV1

ne peut être repris par

zhèyàng zuò ; mais le SV2

peut être repris par zhèyàng

zuò.

relation analytique : le SV1

peut être repris par zhèyàng

zuò ; mais le SV1 ne peut être repris par zhèyàng zuò. Dans les deux cas, le SV2 ne peut être repris par zhè ge

mùdì.

La principale peut être reprise par

zhèyàng zuò.

La subordonnée peut être reprise par zhè ge mùdì.

topicalisation de l’argument-objet

L’objet du V2 peut être déplacé à gauche, devant ou derrière le sujet.

L’objet de la subordonnée ne peut être déplacé à gauche.

topicalisation de l’action intentionnelle

impossible impossible topicalisation du but impossible possible

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verbes admis dans le SV2

d’une CVS à relation finale ou dans la subordonnée de but

Les verbes d’état, y compris les verbes de modalité, ne sont pas acceptés.

Les verbes modaux sont acceptés dans la subordonnée.

Les verbes d’état susceptibles d’une interprétation dynamique y sont aussi acceptés.

Dans le cas de la phrase complexe à subordonnée de but, la proposition subordonnée, introduite par un marqueur de subordination comme wèile, peut précéder ou suivre la proposition principale. Ces caractéristiques rejoignent la description de Lehmann (1988 : 184), qui considère ces deux positions comme « marginales » (marginal position). Selon lui, il existe donc une certaine relation hiérarchique entre les deux propositions. La proposition subordonnée ne peut ni être enchâssée dans la proposition principale ni avoir une fonction syntaxique au sein de celle-ci. C’est le début d’un déclassement hiérarchique (hierarchical

downgrading) et de la subordination. Mais nous devons ind iquer un point n’étant pas

conforme avec cette description : la proposition introduite par wèile peut, dans certains cas, être enchâssée dans la proposition principale, en position pré-prédicative. Cette position est appelée par Lehmann la position centrale (central position). Au niveau syntaxique, la proposition subordonnée ne fait pas partie de la proposition principale, mais se trouve au même niveau syntaxique que la dernière, soit le niveau phrastique (sentence level).

Selon la description de Lehmann (1988 : 188-189), la sérialisation verbale se trouve en bas du niveau syntaxique (low syntactic level). Il s’agit d’une combinaison d’éléments de type verbal pour former des complexes verbaux sans intervention de connecteur susceptible d’expliciter leur relation89

. Quant à la CVS de but du chinois, nous estimons que les deux SV ne sont ni en relation d’inclusion ni en relation de subordination. En quelque sorte, ils constituent un type de proposition se distinguant de ces deux cas de figure. Nous avons montré dans cette section contrastive que la CVS de but a des comportements assez proches de la phrase mono-verbale. Ce mécanisme est opérationnel au niveau syntaxique, ou dans la composition verbale, qui présente des degrés de lexicalisation intermédiaires variés. Il affirme aussi que le premier élément de la série n’est pas gouverné par le suivant, ni vice versa, et qu’il n’est pas clair qu’il dépende du suivant. Nous voyons qu’il existe, dans le modèle de représentation du continuum d’intégration des SV de Lehmann, des pistes intéressantes qui rejoignent les résultats de nos observations sur la CVS de but90.

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Verb serialization « in general involves the combination of verbals to complex verbals without the intervention of any connectives which might make explicit the relation among them. » (Lehmann 1988 : 186)

90 Nous avons trouvé un continuum similaire sur l’intégration grammaticale chez Payne (1997 : 307) : one clause serial verbs complement clauses adverbial clauses clause chains relative clauses

coordination two separate clauses

high degree of grammatical integration no grammatical integration

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Passons maintenant à l’intégration sémantique (semantic integration). En partant de Givón (1990/2001 : 52691), qui considère que l’intégration sémantique de deux événements consiste en leur intégration spatio-temporelle en un cadre à événement unique, Cristofaro (2003 : 118) affirme que les événements partageant le même cadre temporel qui sont contigus sur le plan spatial, ou les événements partageant des participants (referential integration chez Givón) sont plus intégrés sémantiquement que les événements se déroulant dans des temporalités distinctes et qui ne sont pas contigus sur le plan spatial. Givón (2009) résume les principales caractéristiques sémantiques de l’intégration d’événements (event integration) : intégration référentielle, intégration temporelle et intégration spatiale.

De ce point de vue, la CVS à relation finale, n’acceptant qu’un circonstant de temps, relie deux événements contemporels se déroulant à un emplacement identique ou à deux emplacements contigus, a la caractéristique d’être plus intégrée sémantiquement que la phrase complexe à subordonnée de but, où les deux événements ne sont ni cotemporels – puisqu’ils acceptent deux circonstants de temps différents –, ni contigus sur le plan spatial, puisqu’ils peuvent se dérouler à deux emplacements totalement différents. Il en est de même pour l’intégration référentielle. La CVS à relation finale a au moins un participant partagé, l’agent, et peuvent également partager l’objet, alors que la phrase complexe à subordonnée de but, qui est plus élastique, peut ne présenter aucun partage de sujet ou d’objet.

Dans la section 3.4, nous avons suivi les pistes tracées par Lehmann, Cristofaro et Givón, et nous avons montré que la CVS à relation finale était caractérisée par une intégration plus poussée des deux événements dénotés par les SV qui la composent que la phrase complexe à subordonnée de but, que ce soit sur le plan syntaxique, sémantique ou référentiel. Il serait par conséquent inadéquat de vouloir inclure la CVS à relation finale dans la phrase complexe à subordonnée de but en annulant l’étiquette CVS (voir l’état de l’art en 1.1.3).

Notons pour terminer que cette comparaison confirme la remarque de Schmidtke-Bode (2009 : 94) sur la tendance des expressions de but du type « déplacement en vue d’un but » à présenter un degré plus élevé d’intégration dans la proposition principale.

3.5 Résumé du chapitre

Dans ce chapitre, nous avons d’abord proposé une classification bipartite selon les relations logiques et temporelles entre les deux SV, analytique et synthétique, et une

présentent une intégration grammaticale plus poussée que les propositions adverbiales (adverbial clauses), y compris celles exprimant le but.

91 Selon le site de John Benjamins Publishing Company, cet ouvrage a été publié en 1991, non en 1990. Il contient 554 pages. Cristofaro doit s’être trompée d’année de publication. La version que nous avons consultée, une version rééditée, a été publiée en 2001. Elle contient 406 pages. Voici le lien : https://benjamins.com/catalog/z.syn2

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classification fondée sur le sémantisme du SV1. Dans la section suivante, nous avons d iscuté de l’opérationnalité du principe de séquence temporelle à la CVS à relation finale en partant d’une structure semblable qui consiste en une motivation et qui diffère en fait de la CVS à relation finale. À partir de ces deux structures, nous avons établi une représentation graphique de l’expression du but en précisant les différentes étapes de ce mécanisme. Dans la section 3.3, nous avons étudié plus en détail la CVS à relation finale en matière de négation, d’interrogation, de relativisation, d’aspect, de topicalisation, etc. Dans la section 3.4, nous avons montré les différences entre la CVS à relation finale et la phrase complexe de but à plusieurs niveaux : celui de l’intégration syntaxique et celui de l’intégration sémantique. La CVS de but est plus intégrée syntaxiquement et sémantiquement que la phrase complexe à subordonnée de but. Ces deux structures se distinguent largement l’une de l’autre, en ce qui concerne la coréférence du sujet, le partage d’objet, la compatibilité pragmatique, l’interva lle de temps, l’ordre des événements, la portée de la négation, la portée de l’adverbe, les caractéristiques temporelles et aspectuelles, l’interrogation, la reprise anaphorique, la thématisation, etc., de sorte qu’il serait inadéquat de les mettre sur le même plan.

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