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Nous présentons ici les arguments développés contre l’application de cette notion au chinois.

Le point de vue de Zhang Jing (1984). Zhang a établi une liste de dix sous-types de

CVS à partir des descriptions proposées dans divers ouvrages publiés e n Chine sur la grammaire pour constater que la CVS est en réalité un « salmigondis d’éléments variés » : non seulement la frontière entre les divers sous-types n’est pas claire, mais la CVS n’est pas non plus bien distincte d’autres structures. Nous exposo ns ici les arguments de Zhang pour remettre en cause dix constructions considérées parfois comme des sous-types de CVS. Pour chacune il propose une analyse alternative :

(I41) 出去

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ouvrir porte sortir-aller ouvrir la porte et sortir ; ouvrir la porte pour sortir

Le premier sous-type doit être inclus dans la coordination exprimant la succession (承接复句

chéngjiē fùjù) : il est possible de séparer les deux SV par une virgule, ou d’insérer 一…就… yì…jiù… « dès que…, … ».

(I42) 骑着

qí-zhe shàng shān

monter-DUR cheval monter montagne monter dans la montagne à cheval

Le 2e sous-type doit être considéré comme relevant de la subordination : « circonstant + noyau ». Le SV qí zhe mă répond à la question en 怎么样 zĕnmeyàng « comment » : si 怎么 样上山 « comment monter dans la montagne » relève de la subordination, il doit en aller de même pour 骑着马上山 « monter dans la montagne à cheval ».

(I43)

dào bēi chá

verser CL thé boire verser une tasse de thé pour boire

Le 3e sous-type est ambigu. Si l’agent du verbe hē « boire » est différent de celui du SV dào

bēi chá « verser une tasse de thé », cette phrase doit être considérée comme une phrase

complexe réduite (紧缩复句 jīnsuō fùjù ) ; si l’agent des deux SV est identique, cette phrase doit être incluse dans la coordination comme le premier sous-type.

(I44) 说话 清楚

shuō-huà shuō de hĕn qīngchu

parler-parole parler CPT très clair parler très clairement

Le 4e sous-type relève de la coordination exprimant une relation de répétition.

(I45)

de yíng jiù

combattre CPT gagner donc combattre S’il est possible de gagner, on combattra.

Le 5e sous-type relève de la subordination car il est possible de préciser la relation hypothétique par l’ajout de 如果 rúguŏ « si » devant le V1.

(I46) 跳下 车, 跑了过去。

tiào-xia chē, păo-le-guo-qu.

sauter-descendre voiture courir-ACC-traverser-aller avoir sauté de la voiture et être passé là-bas en courant

Le 6e sous-type relève de la coordination exprimant la succession.

(I47) 喜欢 电影

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aimer regarder film aimer regarder des films

Le 7e sous-type présente une structure de complémentation « verbe + objet ».

(I48) 笑了笑

xiào-le-xiào

rire-ACC-rire avoir un peu ri

Le 8e sous-type résulte du redoublement, un phénomène d’ordre morphologique.

(I49)

(a) 扬州

zài Yángzhōu zhù jiā

à Yangzhou habiter maison habiter à Yangzhou

(b)

yòng xiĕ

utiliser stylo écrire caractère écrire au stylo

Dans les deux exemples du 9e sous-type, zài « à » et yòng « utiliser » sont des prépositions.

(I50) 走过来

zŏu-guo-lai

marcher-traverser-venir venir ici en marchant

Dans le 10e sous-type, zŏu constitue le noyau et guo-lai, son complément, il s’agit de ce que l’on appelle habituellement un verbe suivi de son complément directionnel.

Nous apportons maintenant quelques commentaires. Nous sommes d’accord sur l’exclusion des 2e

, 4e, 5e, 6e, 7e, 8e, 9e et 10e sous-types de CVS remis en cause par Zhang Jing, mais trouvons préférable de garder les 1e et 3e sous-types dans le cadre de la CVS car ils présentent des divergences par rapport à la coordination. Prenons le 1er sous-type par exemple, qui en diffère, entre autres, sur des plans suivants :

La portée de la négation :

(I51) 出去

kāi mén chū-qu

NEG ouvrir porte sortir-aller ne pas ouvrir la porte pour sortir

(I52) 门, 出去

kāi mén, chū-qu

NEG ouvrir porte sortir-aller ne pas ouvrir la porte et sortir

Dans le cas de la CVS, en (I51), la portée de la négation est variable, le constituant dans la portée peut être le SV1, ou le SV2, ou les deux SV en même temps. En revanche, dans le cas de la coordination, dans (I52), en présence de la virgule, le SV chū-qu « sortir » est bel et bien

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hors de la portée de la négation. La modification adverbiale :

(I53)

(a) 慢慢 出去

màn-màn de kāi mén chū-qu

lent-RED ADV ouvrir porte sortir-aller

ouvrir la porte pour sortir lentement ; ouvrir la porte lentement pour sortir

(b) 慢慢 门, 出去

màn-màn de kāi mén, chū-qu

lent-RED ADV ouvrir porte sortir-aller ouvrir la porte lentement et sortir

Dans la CVS, l’adverbial màn-màn peut modifier les deux SV : « ouvrir la porte lentement et sortir lentement », ou seul le SV1 : « ouvrir lentement la porte pour sortir ». Dans la coordination, la modification adverbiale s’effectue seulement sur le SV kāi mén « ouvrir la porte » sans dépasser la virgule. Par ailleurs, il est toujours possible d’ajouter un modifieur comme 飞快地 fēikuài de « vite » devant le SV chū-qu « sortir ». C’est-à-dire que chaque constituant verbal accepte sa propre modification adverbiale. Mais il est difficile d’insérer ce modifieur entre les deux SV.

Ces deux comparaisons suffisent déjà à montrer que les 1er et 3e sous-types de Zhang Jing rentrent difficilement dans la coordination. Nous préférons par conséquent garder l’appellation de CVS pour ces deux sous-types.

Le point de vue de Shen Kaimu (1986). Pour Shen, la CVS est un cas particulier des

phrases exprimant un rapport de coordination.

(I54) 吃了饭 出去。(Shen 1986)

chī-le-fàn chū-qu.

il manger- ACC- repas sortir-aller Il sort après avoir pris son repas.

Shen explique qu’il est possible d’ajouter une virgule entre les deux SV, soit chī-le-fàn et

chū-qu, ce qui transforme la phrase en une phrase de coordination, d’où la proximité entre la

CVS et la coordination.

Le point de vue de Zou Shaohua (1996). La CVS doit, selon Zou, être replacée dans le

cadre de la subordination. Sa suggestion repose sur une enquête, portant sur 15 phrases considérées généralement comme des séries verbales, effectuée auprès de 63 étudiants chinois, dont la plupart considèrent selon leur intuition que le deuxième verbe est majoritairement l’élément central sur le plan sémantique. L’auteur affirme que le contexte permet de déterminer lequel des verbes est central dans la phrase, et énumère quelques cas de figure.

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(I55) 这是 哪儿 呀? 亲戚。(Zou 1996)

zhèshì năr ya? zŏu qīnqi.

tu ici.être aller PM aller marcher parents - Où est-ce que tu vas comme ça ? - Je vais visiter des parents.

Dans cet exemple, c’est avec le contexte précédent que l’on peut affirmer que le centre sémantique tombe sur le SV2 dans la série verbale (qui fait l’objet de la question).

(I56) 扯着 嗓子 祖母 喊: “……”(Ibid.)

chĕ-zhe săngzi duì zŭmŭ hăn : « ... »

elle tirer-DUR gorge envers je grand-mère crier « … » Elle s’égosilla et cria à ma grand-mère : « ... »

Contrairement à la phrase précédente, cette fois-ci le centre sémantique, toujours placé sur le SV2, est conditionné par l’énoncé rapportant les paroles entre guillemets.

(I57) 立即 捂住 低下 来, 不

lìjì wŭ-zhù zuĭ dī-xià tóu lai, ràng

elle tout de suite couvrir bouche baisser-descendre tête venir NEG laisser Elle a tout de suite couvert sa bouche et baissé la tête, pour que sa

祖母 发现 了。

zŭmŭ fāxiàn xiào le.

grand-mère découvrir elle rire CE grand-mère ne la voie pas rire. (Ibid.)

Zou explique que les deux actions, wŭ-zhù zuĭ « couvrir la bouche » et dī-xià tóu « baisser la tête », sont destinées à empêcher que la grand- mère ne la voie rire et qu’il est donc difficile de déterminer un seul SV comme 语义中心 yŭyì zhōngxīn « centre sémantique » : nous avons affaire à un double centre dans ce cas. Sans commenter l’analyse de l’auteur ici, nous préférons traiter cette phrase comme une phrase coordinative, car les relations logiques et de succession temporelle entre les deux SV ne sont pas clairement établies et il est de plus possible d’inverser les deux SV sans porter atteinte au sens de la phrase. Or, chez Gao Zengxia (2005b), le point de vue est tout à fait contraire : tous les deux constituants verbaux de la CVS sont des centres.

L’analyse de Zou est contestable pour plusieurs raiso ns. Premièrement, il n’a pas expliqué ce qu’il entend par centre sémantique dans une série verbale. Deuxièmement, dans certains exemples, l’établissement du centre sémantique en fonction du contexte nous fait penser à la distinction entre information ancienne et information nouvelle contenues dans les deux SV (exemple (I55)). Le SV contenant l’information nouvelle est considéré comme le centre sémantique. Troisièmement, les phrases proposées dans l’enquête sont peu nombreuses, et ne sont pas, de ce fait, assez représentatives de l’ensemble des CVS. Dernièrement, si la suggestion de l’inclusion de la CVS dans la catégorie de la subordination est opérationnelle pour les séries verbales à centre sémantique unique, où allons-nous placer celles à double centre sémantique ? Celles-ci ne relèvent évidemment pas de la subordination.

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Le point de vue de Paul (2008). Dans un article consacré à la validité de l’application

de la CVS au chinois, elle fait remarquer, en se fondant sur la typologie de Li et Thompson (1981), que le terme serial verb construction est employé dans la linguistique chinoise pour toute séquence contenant formellement plus d’un verbe. Elle juge que ce terme est souvent utilisé lorque l’on a besoin d’une étiquette passe-partout pour des structures mal étudiées en chinois. Selon son point de vue, la CVS à deux événements séparés ou plus chez Li et Thompson est une construction coordinative, alors que la CVS dont un SV est le sujet ou l’objet d’un autre est une construction subordinative. La notion de construction repose en principe sur des propriétés syntaxiques et sémantiques communes, alors que sous l’étiquette de CVS sont regroupées chez Li et Thompson des phrases ayant des comportements syntaxiques et sémantiques divergents.

Selon Paul, la CVS chinoise sert simplement de terme générique pour diverses constructions aux propriétés différentes et ne renvoie pas à une construction unique aux propriétés prédictibles. Par conséquent, le terme est trop vague pour être utile (voir aussi Deng Siying 2011 : 181-4 qui se situe dans la même ligne de pensée que Paul).

L’examen des arguments contre l’utilité de la notion de CVS pour l’analyse du chinois nous permet de voir que certains s’attaquent à la seule définition de Li et Thompson (1981), ce qui limite leur force de conviction. À la limite on pourrait dire que le concept de CVS tel qu’il est envisagé par tel ou tel auteur n’est pas valable, mais cela n’invalide pas tous les autres travaux exploitant la notion de CVS.

Cela dit, les multiples points de vue des opposants exposés ci-dessus ne sont pas sans utilité pour notre discussion : ils nous aident à restreindre le périmètre de la CVS et à en éliminer certaines phrases qui lui sont superficiellement semblables.