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SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ET RÉFLEXIONS THÉORIQUES DE LA DEUXIÈME PARTIE

3.  À LA RECHERCHE DE LA VIRILITÉ PERDUE

3.2.  Que reste‐t‐il de la problématique identificatoire ?

3.2.4.  Virilité secondaire : névrotique ou narcissique

Avant de définir les caractéristiques de ces deux virilités secondaires, nous allons tenter de reconstruire leur anamnèse. Nous situons le point charnière, le carrefour de ces deux destins à l’articulation des deuxième et troisième temps de la construction de la virilité. Autrement dit, entre, d’une part, l’incorporation du pénis paternel, porteur de transmission de puissance via une pénétration fantasmée, et d’autre part, l’identification au père, ou plutôt, à la puissance de celui-ci. Autrement dit encore, au moment charnière où le fantasme du corps à corps, où l’in-corps-poration, peut évoluer en identification, celle-ci permettant justement de s’affranchir de ce corps à corps incestueux. Ce qui permettrait de différencier les deux

virilités secondaires, se situerait dans le passage, réussi ou non ; de l’incorporation à l’introjection du pénis paternel. In fine, tout le défi psychique serait dans l’introjection réussie qui va autoriser une identification stable et rassurante.

Il est intéressant de reconsidérer ce qui précède à la lumière des travaux de S. Bleichmar : « La voie de l’introjection identificatoire a toujours posé à la psychanalyse le problème de la zone et de l’objet. Le prototype de toute identification est le sein qui est support libidinal de l’appropriation dans l’échange avec le semblable. Comment l’enfant pourrait-il recevoir le pénis d’un homme qui le rendrait sexuellement puissant si ce n’est grâce à son incorporation ? Incorporation introjective qui rend la masculinité livrée pour

toujours au fantasme paradoxal de l’homosexualité » (ibid., p 38 ; c’est elle qui souligne).

L’auteur prend pour exemple un patient gravement obsessionnel : « chaque fois qu’il a des relations sexuelles avec une femme, ‘‘un autre’’ le pénètre analement avec son pénis, lui donnant la puissance nécessaire pour exercer sa génitalité. Sujet masculin/féminin simultanément, cela s’incarne chez lui brutalement dans des fantasmes de passivité homosexuelle comme unique façon de faire fonctionner dans l’instant la génitalité masculine et de se montrer actif avec l’objet » (ibid.). C’est aussi le stratagème fantasmatique utilisé par Jacques Rénier dans Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable de Romain Gary.

Nous pourrions dès lors avancer qu’une identification masculine défaillante résulterait d’impasses dans l’incorporation introjective de la puissance paternelle incarnée dans le pénis en érection. Nous pensons précisément à l’impasse d’une incorporation du pénis qui ne pourrait aller jusqu’à l’introjection, qui ne pourrait se défaire du prototype corporel de l’incorporation et ne pourrait, dès lors, soutenir une identification stable et rassurante à la puissance du père. Cela pourrait expliquer en partie ces hommes qui ne peuvent concevoir la virilité en dehors du pénis en érection, et qui, prisonniers de la perception, de la sensation, ne peuvent jouir de la créativité et de l’émancipation de la représentation. Cela pourrait éventuellement nous aider à comprendre les refus de traitements et à saisir pourquoi certains hommes ne peuvent consentir à sacrifier la partie (les érections) pour sauver le tout (leur vie). Nous pourrions envisager que cela dépasse la simple difficulté d’élaboration du renoncement et en tenir compte dans les modalités des thérapeutiques proposées aux patients.

Il nous reste par ailleurs à nous demander ce qui pourrait entraver le passage de l’incorporation du pénis paternel à l’identification au père. Nous pensons avec S. Bleichmar que c’est la qualité du regard maternel résultant d’une condensation complexe et contrastée

(entre le regard qu’elle pose sur le pénis de son mari – le père de son enfant –, et sur celui de son propre père) qui va pouvoir ou non autoriser cette transmission. Nous parlons du regard, à la fois dans sa dimension scopique, tant « phallique » que « tactile », dans un en deçà du langage qui englobe les réactions corporelles, les fantasmes inconscients, les éventuels regards portés sur certains types virilités ou sur les relations homosexuelles etc. Nous pourrions également avancer, conformément aux apports de la métapsychologie du corps de C. Dejours, que le passage de l’incorporation à l’introjection nécessiterait une subversion libidinale sans trop d’impasses et d’échec sur cette zone bien précise, en sachant qu’une subversion « réussie » impliquerait également une bienveillance quant au processus de construction de la masculinité sur le fantasme paradoxal de l’homosexualité.

De fait, la virilité que nous qualifierions de névrotique s’appuierait sur l’introjection de la puissance du père qui permettrait une identification stable et rassurante à celui-ci. Le sujet pourrait alors, même en cas de défaillance érectile, s’identifier à la puissance du père, s’appuyer sur la représentation de l’érection comme prototype corporel symbolique de la virilité sans en être dépendant, voire sans en être l’esclave.

Mais, a contrario, si l’incorporation n’arrivait pas à tendre vers l’introjection ou ce que S. Bleichmar appelle une incorporation introjective suffisamment détachée du corporel, nous serions dans une virilité plutôt narcissique. Celle-ci serait dépendante de l’incorporation du pénis paternel, dépendante de la vision de l’érection et donc de sa perception. La virilité serait réduite à l’incorporation de l’objet partiel phallique et tout puissant attribué aux imagos parentales. La dysfonction érectile pourrait alors être vécue sur un plan fantasmatique comme une défaillance de l’« Autre » dévoilant peut-être l’apparition du mauvais père abandonnique, si ce n’est de la mauvaise mère – s’il s’agissait, dans la construction du sujet, de l’incorporation du pénis maternel dans une indifférenciation floue. Cela pourrait alors ouvrir la question du fétichisme dans le cadre de laquelle la virilité nous semble particulièrement fragile.

L’incorporation du pénis paternel serait donc extrêmement complexe car elle condenserait différents aspects prégénitaux. Elle porterait, en elle, le principe de l’oralité, à savoir le fait de faire passer de l’extérieur à l’intérieur du corps ; elle se concentrerait sur la zone anale et aboutirait, dans le meilleur des cas, à un renforcement de l’identité masculine par introjection puis identification à la puissance du père. Cela viendrait consolider le phallique et soutenir la génitalité incarnée de celui qui sera bientôt un homme. Comme le souligne avec pertinence S. Bleichmar, « le fait que toute identification renvoie à une

introjection, celle-ci sur un mode d’appropriation symbolique, bien sûr, mais en réalité d’un objet fantasmatique dont l’autre est porteur, nous indique le caractère hautement conflictuel de la constitution de la sexualité masculine – bien au delà de la simplicité à laquelle on a voulu la réduire par la présence du pénis comme organe réel » (2010, p. 37).

Nous pouvons à présent proposer une modélisation de l’impact identificatoire supposé du cancer de la prostate chez les patients.

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