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SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS THÉORIQUES DE LA TROISIÈME PARTIE

HYPOTHÈSE 3, NARCISSISME ET PROBLÉMATIQUE DÉPRESSIVE

3/A. Les patients du groupe « cancer du rein » seraient davantage en mesure de s’approprier consciemment leur angoisse de mort et de la verbaliser, celle-ci pouvant être prise en charge et liée par des éléments dépressifs ou une dépressivité que nous ne retrouverons pas chez les patients atteints d’un cancer de la prostate.

- En effet, comme nous le soutenons via l’hypothèse 1, ces derniers mobilisent une haine de la passivité en réponse à l’effroi suscité par le traumatisme viril, sexuel et psychosexuel que n’endurent pas les patients atteints d’un cancer du rein. - Eléments dépressifs que nous ne retrouverons pas non plus dans le groupe

dépistage, car les patients ne sont pas travaillés de manière brutale et traumatique par l’angoisse de mort comme le sont ceux atteints d’un cancer du rein.

- La clinique de la passation ne sera pas érotisée pour les patients du groupe cancer du rein, du fait de la problématique dépressive.

- Elle pourra l’être pour les patients du groupe « dépistage » ; mais la séduction alors mobilisée sera qualitativement beaucoup moins narcissique que dans le groupe cancer de la prostate, car l’objet et son désir sont beaucoup moins menaçants pour les patients du groupe dépistage.

3/B Cette situation de détresse mobiliserait, chez les patients atteints d’un cancer de la prostate, quelle que soit leur organisation psychopathologique, un mouvement mélancolique (au sens de traitement narcissique de la perte) insupportable à assumer et qui serait contre-investi par un mouvement masculin hypomane, à comprendre comme un retournement de la passivité en activité contre l’être pénétré (par la maladie, les explorations médicales), l’être traversé (par l’angoisse, le temps qui passe) et l’être excité (par l’autre et par son désir).

MÉTHODE  

Démarche comparative  

Après nous être focalisée, à l’occasion d’une première recherche, sur les patients traités par hormonothérapie brève à visée curatrice (protocole expérimental dans le service, qui revient à un blocage androgénique total, temporaire et réversible, c’est-à-dire une castration chimique), nous avons entrepris, lors d’une seconde recherche, une comparaison entre deux traitements, curateurs mais castrateurs (chirurgie vs hormonothérapie), en essayant d’en dégager les différents effets psychiques pour les sujets (avec en travail la question du lien entre la testostérone, le désir et la pulsion sexuelle). En opposition à un discours manifeste plutôt banalisant, voire même étonnant, de leur part (« même pas mal, même pas peur, même pas triste »), ces hommes se sont révélés être en fait particulièrement malmenés sur les plans de l’image du corps et de leur sentiment subjectif de virilité, mais également au niveau de leur représentation de soi et de leur façon d’investir la relation à autrui suite à cette épreuve ; ceci ayant été dégagé pour les deux groupes cliniques.

Or, trois facteurs nous ont semblé apparaître comme susceptibles de représenter une « castration » et de jouer un rôle différent mais potentiellement cumulatif dans l’intensité de la douleur psychique : l’avènement d’une pathologie touchant la prostate, le fait que cette pathologie soit un cancer, et enfin le fait que cela s’inscrive dans la dynamique d’un processus tout à la fois commun, naturel mais indubitablement marqué par l’expérience de perte, le

vieillissement. Aussi avons-nous décidé de mettre en œuvre un dispositif méthodologique comportant deux groupes cliniques et un groupe témoin :

‐ Un groupe d’hommes atteints d’un cancer de la prostate,

‐ Un groupe d’hommes atteints d’un cancer du rein, permettant de « contrôler » la variable cancer et de nous centrer sur les effets psychiques d’une atteinte réelle sur un organe engagé dans la sexualité et investi par le psychosexuel (la prostate), vs le rein qui ne l’est pas, tout en maintenant une proximité somatique car le rein et la prostate appartiennent tous deux à l’appareil uro-génital,

‐ Un groupe « contrôle » constitué d’hommes du même âge venant consulter en urologie simplement pour un dépistage du cancer de la prostate, mais qui ne sont pas porteurs de cette maladie, et n’ont donc ni à vivre l’annonce du diagnostic ni les traitements ni a fortiori les symptômes et leurs prodromes.

Population clinique 

Des hommes atteints d’un cancer de la prostate ou du rein peu avancé (sans extension métastatique), pris en charge dans le service d’urologie du groupe hospitalier de la Pitié- Salpêtrière, ainsi que des hommes qui consultent pour un dépistage du cancer de la prostate sans en être atteints :

- ayant a priori une vie conjugale/sexuelle active ;

- ne présentant pas de troubles psychiatriques avérés et décompensés ; discrimination à l’appui de données médicales rigoureuses présentes dans le dossier hospitalier du patient. Nous ne retenons donc pas les patients sous traitement neuroleptique ou hospitalisés en psychiatrie, les patients ayant des antécédents d’épisode dépressif majeur ou de troubles graves de la personnalité ;

- ne présentant pas de troubles cognitifs inscrits dans une dégénérescence cérébrale liée à un vieillissement pathologique ; discrimination à l’appui de données médicales rigoureuses présentes dans le dossier hospitalier du patient

- ni d’autres affections organiques pouvant interférer de manière significative dans l’économie fantasmatique et somatique du sujet (tels un autre cancer, une transplantation d’organe, une sclérose en plaque ou toute pathologie chronique pouvant avoir des répercussions sur la qualité de vie et la représentation que le patient a de son propre corps somatique, mais également de son corps dans le sens où il est engagé dans la relation à l’autre). Nous intégrons par contre les personnes présentant

des pathologies communes avec l’âge comme l’hypertension artérielle ou l’hypercholestérolémie, dès lors qu’elles n’ont pas d’incidence majeure sur la sensibilité du sujet à la vulnérabilité de son propre corps, ni sur le corps dans sa dimension érotique. Nous n’éliminons pas les patients qui ont des antécédents familiaux en lien avec la maladie (parents atteints ou décédés d’un cancer), mais nous veillerons à en tenir compte dans l’analyse des résultats.

- et ayant signé le formulaire de consentement éclairé.

Difficultés de recrutement  

Au regard de la rigueur scientifique qu’il nous importe de garantir concernant le recrutement, nous avons renoncé à inclure une bonne quinzaine de sujets (groupe prostatectomie), principalement en raison d’autres pathologies somatiques. Quatre sujets ont par ailleurs refusé de participer à notre recherche : l’un parce qu’il avait extrêmement mal vécu l’opération et les suites ; les autres principalement en raison de l’épouse qui avait posé son veto.

Groupes cliniques  

Idéalement, nous aurions aimé nous inscrire dans une démarche comparative constituant trois groupes de dix hommes chacun.

‐ 10 patients (50-70 ans) opérés d’un cancer de la prostate,

‐ 10 patients (50-70 ans) opérés d’un cancer du rein (tumorectomie rénale/chirurgie partielle ou néphrectomie élargie/ablation totale du rein),

‐ 10 patients (50-70 ans) consultant pour un simple dépistage du cancer de la prostate qui s’est avéré négatif.

Mais il s’est avéré très difficile de recruter des hommes atteints d’un cancer du rein. D’une part c’est une pathologie rare, dont l’épidémiologie ne correspond pas à celle du cancer de la prostate, d’autre part les hommes sont plutôt plus jeunes que ceux atteints d’un cancer de la prostate, ce qui nous a posé de sérieux problèmes de recrutement. Enfin, les patients atteints d’un cancer du rein, beaucoup plus animés par l’angoisse de mort quasi effractante et d’emblée présente dans le discours conscient, ne voyaient pas l’intérêt de participer à la recherche et n’avaient, à ce moment précis du diagnostic, aucune envie d’en parler. Il se trouve qu’après l’opération, les patients préfèrent ne pas revenir à l’hôpital, ne pas revenir psychiquement sur cet événement qui a sonné comme un pseudo-couperet dans leur vie, et ils se hâtent de reprendre une activité professionnelle et de fuir un service qui ne leur rappelle

qu’annonce et angoisse bien qu’ils soient guéris. Aussi nous n’avons pu inclure le nombre de patients souhaités et n’avons pu rencontrer que deux patients.

Par ailleurs, les patients consultant pour un simple dépistage voyaient difficilement l’intérêt d’une rencontre de recherche.

Pour les patients atteints d’un cancer du rein ainsi que ceux venant pour un dépistage, nous leur avons présenté notre recherche de manière transparente et son objet, à savoir l’étude de vécu des hommes traités pour un cancer de la prostate, étude qui nécessitait par ailleurs des groupes contrastés et de contrôle (groupe patients atteints d’un cancer du rein, groupe patients venant pour un dépistage). Nous avons répondu aux questions concernant la recherche et n’avons donc pas eu la volonté de cacher quoi que ce soit, assumant alors l’éventualité que des sujets puissent refuser de ne faire partie « que » d’un groupe contrôle qui pourrait avoir fantasmatiquement des valeurs de « faire valoir ». Pour ce faire, nous avons adossé notre réflexion aux articles 47 et 48 du code de déontologie des psychologues.

Article 47 : Préalablement à leur participation à la recherche, les personnes sollicitées doivent exprimer leur consentement libre et éclairé. L’information doit être faite de façon intelligible et porter sur les objectifs et la procédure de la recherche et sur tous les aspects susceptibles d’influencer leur consentement.

Article 48 : Si, pour des motifs de validité scientifique et de stricte nécessité méthodologique, la personne ne peut être entièrement informée des objectifs de la recherche, il est admis que son information préalable soit incomplète ou comporte des éléments volontairement erronés. Cette exception à la règle du consentement éclairé doit être strictement réservée aux situations dans lesquelles une information complète risquerait de fausser les résultats et de ce fait de remettre en cause la recherche. Les informations cachées ou erronées ne doivent jamais porter sur des aspects qui seraient susceptibles d’influencer l’acceptation à participer. Au terme de la recherche, une information complète devra être fournie à la personne qui pourra alors décider de se retirer de la recherche et exiger que les données la concernant soient détruites.

Loin de nos premières exigences, nous avons dû revoir notre recrutement à la baisse avec la population effective suivante :

‐ 2 patients dans le groupe contrôle ‐ 2 patients dans le groupe cancer du rein

‐ 17 patients dans le groupe cancer de la prostate, dont trois ont été vus dans un « après- coup » et dont un a été vu à deux reprises, à un an d’intervalle.  

Dimension longitudinale et après‐coup :  

Nous aurions également pu adopter une dimension longitudinale et revoir les patients un an voire deux ans après, pour répondre à la question de la stabilité ou non des fragilités narcissiques engendrées par le cancer de la prostate et de ses traitements. Revoir les patients aurait demandé une implication à plein temps dans le service et une année de plus pour le recrutement. Cependant, nous inscrivant néanmoins pleinement dans une démarche exploratoire, nous avons cependant pu voir trois patients dans un « après-coup » de l’intervention, quelques années après. Cela nous a permis de voir dans quelle mesure les conséquences du cancer de la prostate et de ses traitements, délétères pour le narcissisme, étaient encore tangibles et aussi aiguës qu’au moment « t » du diagnostic et de l’intervention, mais également d’esquisser des premières réponses sur les modalités de réorganisation du sujet en intégrant ou non et dans quelle mesure la temporalité psychique.

Procédure  

Prise dans les aléas d’une étude exploratoire, ne pouvant bénéficier de l’expérience d’un psychologue familier de cette clinique, et dépendante des conditions matérielles du terrain, nous avons réajusté au fur et à mesure la procédure. Ainsi, l’idée de départ était d’avoir deux entretiens, un avant le geste médical et un après suivi d’une passation de tests projectifs, afin de pouvoir étudier l’éventuel effet avant/après, nous l’avons finalement abandonnée car trop contraignante et déstabilisante pour les patients. En effet, le patient est bien plus disponible psychiquement après le geste médical. Tout d’abord en amont de celui-ci, il est très angoissé par rapport aux pratiques médicales et à leurs effets secondaires qu’il a du mal à se représenter et qui le préoccupent massivement, et par rapport au pronostic vital, même si ce n’est pas ce qui est dominant dans son discours. Il est donc peu disponible à un questionnement dont il ne voit guère l’intérêt et qu’il peut même ressentir comme intrusif étant donné, encore une fois, le caractère sidérant et traumatique de l’annonce diagnostique et des perspectives qui, bien que curatrices, lui apparaissent d’abord « mutilantes ».

Au sortir d’une consultation d’annonce diagnostique (à laquelle nous participons aux côtés du chef de service, dans ce qui avait été mis en place comme un « dispositif d’annonce » particulier où l’urologue était accompagné d’un psychologue), où le geste médical a été décidé, nous expliquons au sujet notre recherche, lui indiquant bien que sa participation est libre. S’il est d’accord nous lui proposons un rendez-vous (entretien et tests projectifs) après l’opération. Autre possibilité de recrutement, au sortir d’une consultation de contrôle qui a

lieu six semaines après la prostatectomie, à l’exception des cas où le patient travaille et doit demander une journée pour revenir, des cas où il habite très loin et où il préfère nous parler et nous rencontrer sur le moment car il a du temps libre, nous lui proposons de le revoir à distance (deux semaines après en général), afin qu’il puisse avoir un temps d’anticipation et qu’il ne soit pas pris au dépourvu d’une rencontre qui, prenant grosso modo deux heures, pourrait être abrégée de son propre fait.

Entretien semi‐directif  

Il se déroule en face à face et est enregistré. Après avoir énoncé une consigne très ouverte (« Comment avez-vous vécu la maladie ?»), nous laissons parler le sujet par associations libres, en le relançant, reformulant ses propos ou lui demandant des précisions quand nous l’estimons nécessaire. Nous avons certes en tête les axes thématiques à aborder avec lui (anamnèse, vécu de la retraite, vie affective/conjugale, investissement de la sexualité de manière générale, répercussions de la maladie sur celle-ci, image de la virilité, dégagement par des voies sublimatoires…), mais il s’agit d’un entretien clinique en tant que tel, ne pouvant par définition être reproductible entre tous les patients et s’attachant à explorer le sujet dans sa complexité et sa dimension foncièrement singulière. Il s’agit alors de comprendre comment un sujet, à un moment donné de sa vie, porteur de fragilités mais aussi de ressources, rencontre, et dans quelles conditions, l’évènement cancer de la prostate et comment il va se réorganiser, se réinventer avec, à travers et malgré cette épreuve. C’est aussi le sujet qui exprime et donne une tonalité particulière à ce qui se joue pour lui, ce qui va se répercuter dans la tonalité, le rythme et le mouvement de l’entretien. Ce n’est que dans un deuxième temps que nous avons étudié ce matériel dans une visée de recherche.

Tests projectifs  

Pour la passation du Rorschach et du TAT, nous nous référons à la méthodologie de l’Ecole de Paris, telle qu’indiquée dans les ouvrages de Brelet-Foulard et Chabert pour le TAT (2003) et de Chabert (1997) pour le Rorschach et enseignée dans le cadre du Diplôme Universitaire de Psychologie Projective de Paris Descartes. Nous nous sommes juste permis de rappeler à chaque sujet qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse afin de ne pas exacerber l’implicite de performance immanquablement attaché au mot « test ». En outre, l’utilisation des épreuves projectives comme médiation et tiers dans la relation (Benfredj, 1998 ; Neau 2005) nous est apparue judicieuse, car elle peut potentiellement nous donner accès, en peu de temps somme toute, à des modalités du fonctionnement psychique que l’entretien ne permet pas toujours de saisir.

Après la rencontre clinique, nous avons proposé à chacun des patients, s’ils le souhaitaient, de nous recontacter quelques semaines plus tard, pour une restitution. Alors que la plupart des patients se montraient demandeurs dans un premier temps, aucun d’entre eux n’a donné suite à cette proposition. Nous l’avons compris comme une façon de ne pas avoir de retour sur ce qu’ils se sont employés à cacher, comme une façon, pour eux, de rester dans l’illusion donnée à voir à l’autre du « même pas peur, même pas triste, même pas mal ». Nous en proposons une lecture encore une fois performative. Ainsi, le fait de s’être montré viril, dans et malgré l’épreuve, quitte à surjouer pour masquer les failles, leur a peut-être permis de

se sentir viril dans le regard de l’autre, leur procurant alors une confirmation rétroactive de

cette virilité. Il eût été peut-être alors déstabilisant ou malvenu de confronter celle-ci à une analyse psychologique qui eût pu venir mettre à mal cet édifice défensif, que nous pensons, dans ce contexte, trophique et étayant, fût-il coûteux.

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