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Les patients dits « résilients » et l’érection inventive 

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ET RÉFLEXIONS THÉORIQUES DE LA DEUXIÈME PARTIE

3.  À LA RECHERCHE DE LA VIRILITÉ PERDUE

3.3.  Vectorisation de la psychosexualité dans la sexualité : dis‐moi comment tu jouis, je te dirai qui tu es

3.3.2.  Les patients dits « résilients » et l’érection inventive 

Pour J. André, « La soi-disant ‘‘nature’’ polygame des hommes n’est pas seulement la conséquence d’une pulsion qui n’a d’autre but que la satisfaction, elle est aussi le corrélat d’une sexualité qui s’évite la rencontre toujours dangereuse avec l’autre sexe. En revanche, ‘‘chez celui qui n’est pas blasé’’ pour qui la durée n’est pas l’adversaire de la nouveauté,

l’érection inventive découvre ce qu’elle a déjà vu mille fois. (…) L’érection inventive n’en a

jamais fini de découvrir le même territoire, d’en approfondir la connaissance, à la différence de celle qui ne bande que pour ce qu’elle connaît et impose, se contentant d’une brève visite en passant. L’une tendue vers ce qu’elle ignore, relation d’inconnu, l’autre ne dépasse par les bornes qu’elle s’est fixées » (2013, p. 54). Nous pourrions ainsi avancer que l’érection inventive (terme emprunté à Michelet par Jacques André) est l’une des expressions de la sexualité objectale. Mais après le cancer de la prostate et ses traitements, comment pourrait s’exprimer celle-ci sans érection inventive ? Il nous semble que le terme « inventive » résume et condense bien toute la créativité de l’infantile et de l’infantilisme de la sexualité (comme le dit J. André), susceptible de pouvoir explorer de nouvelles voies d’accès au plaisir. C’est ce qui se donnerait à voir chez ceux que le Professeur d’Urologie M.-O. Bitker appelle les patients résilients (2007). Il s’agit de patients (de l’ordre de 15 à 20% des patients ayant eu

une prostatectomie radicale) qui, bien qu’ayant perdu leurs érections, arrivent à trouver (à créer ou à recréer ?) une sexualité satisfaisante – encore une fois, sans érection – avec leur partenaire et refusent tout moyen artificiel médicamenteux et/ou mécanique pour pallier la dysfonction érectile. Ils se satisfont d’une sexualité dite adolescente (ou plutôt, préadolescente aujourd’hui), faite essentiellement de préliminaires. Nous pourrions alors repérer chez eux une certaine forme de souplesse du fonctionnement psychique, celui-ci étant capable de revisiter et de continuer à investir une sexualité satisfaisante passant par le réaménagement des rapports au plaisir. Souplesse psychique que ne donnent pas à voir ceux, assez nombreux, qui, à la fois, refusent toute « prothèse », se braquent dans la revendication de ne tolérer aucune aide et interrompent, de manière radicale et sans appel, toutes formes de sexualité, rappelant l’exigence et l’intransigeance narcissique qui ne souffrent aucun compromis entre « le triomphe ou la mort ». En effet, il nous semble que cette sexualité supposerait un Idéal du Moi et un Surmoi souples et bienveillants à l’égard du Moi. En outre, elle demanderait également une certaine tolérance à la régression facilitant l’émergence d’un féminin contenant et réparateur (peut-être un féminin maternel à l’égard de soi), mais aussi l’émergence du féminin dans ce qu’il a de plus débordant, à savoir accepter d’être submergé par l’inconnu et la passivité, par l’excitation et le désir, indépendamment des canons sociaux de la sexualité dite virile (ce serait le féminin érotique au sens de J. Schaeffer : l’introjection pulsionnelle). Cela demanderait, à notre sens, une grande souplesse dans la bisexualité psychique mais également des oscillations identificatoires plutôt fluides, qui permettraient alors une identification à l’autre sexe et à la passivité de celui-ci sans pour autant que le patient ne le vive comme une dévirilisation ou une castration mortifère. Il s’agirait donc d’une sexualité qui se serait en quelque sorte affranchie du primat du génital, renouant avec l’infantile et s’étayant sur la plasticité et la créativité de celui-ci.

Dès lors, nous pourrions proposer l’hypothèse suivante qui semble néanmoins extrêmement difficile à opérationnaliser avec notre seule méthodologie et non vérifiable autrement que dans la cure psychanalytique : le cancer de la prostate ne mobiliserait pas forcément des défenses et une dynamique narcissiques exclusives et intenses chez tout le monde, mais, peut-être spécifiquement, chez les individus qui auraient une sexualité à dominante narcissique. Cela pourrait signifier également que les hommes qui arrivent à trouver un équilibre psychique satisfaisant et stable à l’aide du clivage entre courant tendre et courant sensuel seraient particulièrement fragilisés et déstabilisés par l’épreuve du cancer de la prostate. En effet, cette maladie les priverait aussi de la possibilité de se renarcissiser dans

la rencontre sexuelle. Nous avons vu que la sexualité dite résiliente (cf. M.-O. Bitker) serait plutôt l’apanage de ceux qui auraient une sexualité à dominante objectale.

Synthèse : L’acte sexuel est une mise à l’épreuve majeure pour le narcissisme (Denis, Schaeffer) mais également pour le corps érotique (Dejours). Une des solutions résiderait dans la solidité du corps érotique, la souplesse de la bisexualité psychique articulée à des oscillations fluides dans les positions identificatoires.

Equilibrée et compensée à l’aide du clivage entre courant tendre et courant sensuel, sans lequel le sujet court le risque de l’impuissance psychogène ou du fiasco, la (psycoh)sexualité narcissique aurait pour but d’éviter :

- l’investissement objectal et la dépersonnalisation de ce trop-plein d’excitations mêlées à un trop d’affects qui pourraient entraîner un éclatement du moi ou une crise identitaire. Autrement dit, (d’éviter) ce qui pourrait fragiliser voire effracter les limites de l’appareil psychique et de la géographie du corps érotique ;

- l’identification à l’autre sexe ;

- la mobilisation du pôle génital du moi, l’introjection pulsionnelle et le féminin au sens de Schaeffer (1997).

La dysfonction érectile consécutive au cancer de la prostate et à ses traitements serait beaucoup plus douloureuse et tragique pour les hommes ayant une sexualité narcissique car, avec cette maladie, ce seraient les capacités de jouissance et de réalisation de l’acte sexuel qui seraient entravées. Elle empêcherait de retrouver une illusion de cohésion narcissique à chaque jouissance, et fragiliserait grandement le Moi, en le privant d’un moyen de régulation pulsionnelle et de régulation dans l’économie de la géographie du corps érotique à chaque jouissance. Le sujet se retrouverait alors mis en demeure de trouver en urgence d’autres moyens de régulation pulsionnelle.

L’exercice d’une sexualité objectale, quant à lui, supposerait :

- un investissement objectal sous-tendu par la mobilisation du féminin et du pôle génital du moi, à savoir l’introjection pulsionnelle ;

- l’identification à l’autre qui supporterait l’érotisation de la passivité, celle-ci n’étant pas une passivité-détresse mais une passivité jouissance (cf. Green, 1999)

- un narcissisme suffisamment solide pour ne pas être dépendant de la tyrannie de la « performance » et des injonctions viriles de puissance vis-à-vis de l’autre ; tyrannie et injonctions qui se font d’autant plus bruyantes et se montrent en quelque sorte d’autant plus insatiables à l’aune du vieillissement tant celui-ci éloigne avec force du stéréotype viril et met à l’épreuve le narcissisme masculin.

Les voies d’expression de la sexualité objectale seraient ainsi l’érection inventive et, au décours du cancer de la prostate, la possibilité de réaménager sa sexualité et ses rapports au plaisir de manière créative afin que ceux-ci restent satisfaisants (cf supra les patients dits « résilients »).

Nous pourrions dès lors avancer qu’un des facteurs psychiques fragilisant la traversée de l’épreuve du cancer de la prostate serait l’exercice d’une sexualité narcissique reflétant une psychosexualité narcissique, et qu’à l’inverse, une sexualité (et une psychosexualité) plutôt objectale(s) serai(en)t une ressource pour faire face à ce traumatisme – a priori, de bon aloi pour la suite. Cependant, outre l’exercice viril de la sexualité et ses renforcements identificatoires et narcissiques évidents, le cancer de la prostate et ses traitements altèrent également de façon radicale et pérenne la fertilité du sujet. Cela pourrait être encore plus tabou, ils feraient advenir de manière brutale et inattendue le spectre de l’andropause et de la stérilité, dévoilant alors, là encore, une préfigure de la mort.

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