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La construction de la masculinité : voies de dégagement et impasses Une question de transmission ?

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ET RÉFLEXIONS THÉORIQUES DE LA DEUXIÈME PARTIE

3.  À LA RECHERCHE DE LA VIRILITÉ PERDUE

3.2.  Que reste‐t‐il de la problématique identificatoire ?

3.2.1.  La construction de la masculinité : voies de dégagement et impasses Une question de transmission ?

Les Trois Temps de la Masculinité, une question de transmission ?  

 

Notre réflexion a été particulièrement influencée par les apports de Sylvia Bleichmar, très pertinents et sans complaisance sur la constitution de la masculinité. L’auteur dénonce l’absence de théorisation psychanalytique approfondie sur la question, évoquant « un parcours pratiquement sans détours, plutôt linéaire où le masculin détient sa zone et son objet depuis le berceau jusqu’à la tombe » (2010, p. 70). Au-delà du caractère incisif voire provocateur de cette assertion, il nous a semblé qu’elle avait le mérite – comme d’autres (André, 2013 ; Roussillon, 1997) – de reposer, de repenser, voire de repanser, la question du masculin dans la mesure où elle sous-entend qu’il ne suffirait pas d’avoir le phallus pour être heureux, comblé, entier et avoir une sexualité a-conflictuelle. Nous partirons tout d’abord de ses propositions pour ensuite revenir et (re)discuter la notion de genre que nous tenterons de mettre en perspective dans le référentiel psychanalytique, ce qui nous permettra, in fine, d’esquisser une hypothèse concernant l’impact du cancer de la prostate sur la problématique identificatoire.

Le premier moment de la construction de la masculinité est celui de la construction de

l’identité de genre. L’autre, le parent, va identifier son enfant comme appartenant à un sexe

déterminé, avec un style vestimentaire, comportemental, etc. Il y a, dans cette identification par l’autre, quelque chose de l’ordre d’une attribution qui se fait pour l’enfant dans la passivité, dans le féminin ; l’enfant étant pénétré de l’attribution de l’adulte. Cette étape correspond à la période prégénitale et est – ce qui est fort important – antérieure à la

découverte de la différence des sexes. Autrement dit, l’attribution de genre précède la différence des sexes.

La deuxième étape est marquée par la découverte de la différence des sexes. Elle est bien sûr fondamentale dans le sens où il ne suffit pas au garçon d’être pourvu d’un pénis pour construire sa masculinité génitale et sa puissance phallique. En effet, ce processus suppose que la puissance génitale soit reçue d’un autre homme – la plupart du temps le père – opération qui implique un fantasme d’incorporation du pénis paternel « qui instaure l’angoisse homosexuelle dominante chez l’homme » (ibid., p. 33). Deuxième partie du processus : « D’un autre côté, la recherche des indices dans le regard de la mère, de la valeur du pénis dont est porteur le ‘‘sujet infantile’’ – articulation complexe provenant chez la femme de la valeur qu’elle donne au pénis de l’homme et de sa relation avec celui du fils, dont les variations sont multiples et déterminent les modes définissant les messages qui

circulent dans la constitution narcissique de la masculinité » (ibid., p. 33 ; souligné par nous).

Cela rend compte du rôle et de l’extrême importance du regard de la mère qui, via le père, autorise ou non l’accès à la masculinité et, de surcroît, à un bon ou mauvais phallus. Cette deuxième étape, où l’on perçoit une intrication du féminin et du masculin, a néanmoins une tonalité profondément passive pour l’enfant. Passive dans l’incorporation du pénis paternel, mais également passive dans ce qui pourrait être les signifiants énigmatiques de la mère à propos de sa représentation du pénis de l’homme : celui de son propre père, celui du père de son fils et, par définition, celui de son fils (avec tout ce qu’elle peut projeter de bienveillant ou d’enfermant sur ce dernier).

Le troisième temps concerne l’identification au père et renvoie au registre des « identifications secondaires qui construisent les instances idéales » (ibid., p. 33). Avec le paradoxe bien connu : être comme le père dans l’identité sexuelle, et ne pas être comme lui en tant qu’amant et possesseur de la mère. Ce serait probablement à ce moment-là que le petit garçon rencontrerait vraiment le registre du masculin.

Ces trois étapes, dans leur complexité non linéaire, vont venir en quelque sorte prédéterminer les lignes de forces et de fragilités qui se dévoileront à l’aune de l’effraction adolescente. À son couronnement, la génitalité du jeune homme épousera les frontières de la géographie libidinale dessinée dans l’enfance et sera frappée du sceau aliénant ou vitalisant des projections parentales.

Étudions maintenant les aléas de la transmission du phallus afin de déterminer si les traitements du cancer de la prostate peuvent réactualiser des failles qui, sans eux seraient

restées silencieuses, camouflées derrière un hyperinvestissement phallique accolé aux idéaux ambiants.

Bon/mauvais pénis.  

Fidèle au modèle kleinien, J. McDougall a introduit dans la clinique des perversions et néosexualités une dichotomie entre un bon pénis symbole de vie et de puissance « idéalisé-et- inatteignable », et un mauvais pénis, « sadique-et-persécuteur », morcelé et dangereux. Puis, elle soutient, ce qui fait particulièrement écho à notre propos, que « derrière le fantasme d’être un homme châtré, assimilé dans l’inconscient à une image aliénante de féminité, se {cacherait} un autre fantasme, plus menaçant pour le sujet, à savoir la conviction d’être muni

d’un mauvais pénis interne – avec la visée de destruction de soi et des autres » (1982, p. 329).

Les traitements médicaux, dans leur réalité externe pourraient, éventuellement, venir rencontrer et réveiller chez le sujet ce type de fantasme dans un après-coup traumatique (cf. J. André, 2010, avec la double valence de trauma et de possible réécriture d’un temps printanier/infantile où le coup s’était engrammé), où le coup porté viendrait bien de l’intérieur. N’ayant bien heureusement aucun caractère systématique, il convient néanmoins de l’avoir en tête avec les patients que nous voyons.

Transmission & mouvement.  

À rebours des représentations communes, M. Schneider essaie de penser le sexe masculin, non plus comme un emblème de pouvoir, mais comme une « fonction de mise en relation » (2005, p. 86), notamment dans le processus de paternité. Elle affirme que la « puissance » masculine n’est pas réductible à la verticalité unidirectionnelle de l’érection. Dans sa potentialité créatrice, le masculin « se trouve tout aussi chargé que le féminin en potentialités bisexuées, potentialités qu’il est amené à intégrer à l’occasion de certains moments de sa trajectoire, sans pour autant avoir à se présenter comme ouvertement féminisé » (ibid., p 91). Pour elle, le masculin de la paternité renvoie moins au fétichisme de l’emblème érigé qu’à un processus de don et de passation. Ainsi, « en deçà d’une structuration fascinée par l’idéalité inhérente à l’opération de mise à plat, une mise en perspective plus dynamique peut se laisser pressentir, trouvant son centre de gravité, non dans l’exhibition de l’avoir, mais dans sa circulation. Ce qui, du masculin, fait l’objet d’un déni

culturel n’a-t-il pas trait à son incorrigible possibilité de mouvement » (ibid., p 92, souligné

patient ? Aux prises avec le cancer de la prostate, brutalement confronté aux conséquences d’une prostatectomie qui le rend non seulement impuissant mais également stérile, impuissant dans sa fertilité (qui n’est autre que le pouvoir de « transmission » de la vie), le sujet pourrait voir ses identifications (au père) ébranlées ou bousculées. Il serait également possible que le rempart de l’angoisse de castration – au regard de l’angoisse de mort – ait également valeur de refuge quant aux représentations d’extinction de la fertilité, portes ouvertes sur la mort. Il serait en effet peut-être plus confortable, moins coûteux psychiquement, d’emprunter le canevas social et bien connu des angoisses de castration en réponse à l’imaginaire viril brandissant les valeurs de puissance et d’endurance. Car celui qui ne peut plus donner la vie, qui ne peut plus se bercer de l’illusion d’éternité que peut procurer la paternité, prend conscience avec amertume de la finitude, de sa propre finitude9. Ce ne serait pas tant l’angoisse d’une mort, comme partenaire complice du cancer qui balaie ses victimes, mais l’angoisse d’une mort synonyme d’inutilité, de stérilité de celui qui ne peut plus assurer une descendance. Même si, bien souvent, tel n’était plus son désir, l’homme savait au fond de lui qu’il pouvait encore procréer. Cela rejoindrait le virage difficile à négocier que représente la ménopause pour les femmes alors qu’il est couramment admis – fût-ce quelque peu illusoire – qu’un homme peut procréer jusqu’à son dernier souffle. Là encore, nous nous situons dans un chiasme subtil entre fantasme et réalité. Et s’occuper de ses petits-enfants de façon oblative ne saurait résoudre pleinement cette question.

La constitution de la masculinité s’étaierait donc sur un processus de transmission paradoxale impliquant une position réceptrice, passive et ô combien féminine dans l’imaginaire collectif, ce qui est un premier point délicat. Par ailleurs, le succès de cette transmission impliquerait d’être, certes, receveur mais également donneur. D’être, certes, passif et récepteur dans une position féminisée, mais également porteur de la polarité désirante et créatrice, fertile et toute puissante en ayant mission de la transmettre à son tour (tout au moins sur un plan fantasmatique) à un autre individu mâle. Sachant cela, nous pourrions envisager que la masculinité, constituée sur un processus de transmission, porte en son sein, par définition, une puissance fragile car temporaire et dépendante d’un autre (le donneur et l’existence du receveur), une puissance fragile peut-être à l’image de l’érection.

      

9 Nonobstant, certains vieux hommes, toujours fertiles, font des enfants à des jeunes femmes condensant alors

une double façon d’exorciser la mort, d’une part en ayant des relations sexuelles avec un(e) partenaire plus jeune, à l’instar du démon de midi (cf. supra et Neau in André, 2011) et d’autre part en faisant des enfants à celle-ci. Cela revient à s’offrir la possibilité illusoire de jouer les prolongations d’une vie en fin de parcours notamment à travers la naissance d’un enfant porteur de promesses d’avenir. 

Nous proposerons que la virilité (qui n’est pas tout à fait la masculinité) serait le processus de constitution de la masculinité, c’est-à-dire le processus de transmission réussi ou, pour le dire autrement, la confirmation par les autres et par la société que cette

transmission est bien réussie, que le sujet est bien porteur de cette force, qu’il l’incarne dans son corps et dans son sexe, jusque dans son attitude, qu’il est porteur de cette polarité

désirante, créatrice et fertile, la fertilité s’exprimant bien évidemment dans la transmission. Etant donnée la part incompressible du regard de l’autre ou plutôt des autres dans la confirmation, la virilité serait, dans cette équation complexe, en partie indissociable de la notion de genre et du facteur social.

Ceci étant posé, essayons de cerner la virilité dans la complexité et l’intrication des différents champs épistémologiques qu’elle convoque.

 

3.2.2. Viril or not viril ? Telle est la question. Le genre ou l’introduction controversée du 

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