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Centration sur l’enveloppe pour masquer ses failles GROUPE CANCER DE LA PROSTATE

ANALYSE DES RÉSULTATS

GROUPE CONTRÔLE

1.2.  Centration sur l’enveloppe pour masquer ses failles GROUPE CANCER DE LA PROSTATE

Il s’agit alors de centrer le regard de l’autre sur la périphérie pour masquer ses propres lacunes à répondre à la consigne ou bien à masquer la pauvreté associative face au matériel. Les patients se sont appuyés sur un surinvestissement du sensoriel passant par une description minutieuse de la seconde peau que constitue la fourrure, ou bien les poils, ou les plumes. Nous avons noté une sensibilité à l’estompage, mais aussi un appui sur des références personnelles visant à détourner l’excitation pour mieux la maîtriser avec quelque chose de

centripète, mais aussi à fasciner un peu l’interlocuteur par son expérience et sa culture. Il en va de même pour la sensibilité à la couleur blanche (C’).

a) Surinvestissement du sensoriel, fourrure, estompage 

Le surinvestissement du périphérique dans sa dimension sensorielle permet d’éloigner autrement des profondeurs psychiques et affectives. Il s’agit alors de rester en surface, par exemple en commentant une sensibilité à l’estompage à travers la seconde peau épaisse que serait la fourrure. Elle a été plusieurs fois repérée planche VI, connue pour solliciter des représentations sexuelles, qui a désorganisé la plupart des sujets du groupe cancer de la prostate. C’est une des planches les plus refusées, avec la IX. Il est assez intéressant de voir qu’elle est spontanément mise en lien avec la planche IV de la puissance phallique, également assez anxiogène. La centration sur l’enveloppe et particulièrement sur le sensoriel permet ainsi d’éviter le traitement de la sollicitation latente qui, elle, est moins reconnue ou en tout cas assumée :

« J’ai toujours l’impression d’une peau. Là encore plus que tout à l’heure, mais la peau plus d’un animal à fourrure vue la texture alors que dans l’autre. C’était plus un animal à poils. » (Norbert post

PR, VI)

« Ah là aussi c’est toujours la peau même euh même euh mais une peau un peu plus… plus petite avec un poil plus doux. L’autre c’était peut-être une peau de zébu et puis là c’est un animal à fourrure avec un poil plus doux celui-là. » (Norbert + 1 an, VI)

« Mais euh (rit) comment c’est déjà les personnages de science fiction là, les trolls (rit), les trolls. Par contre, pour le troll, je laisserais la queue avec les… bon les pattes de chaque côté et des moignons de bras, la tête poilue. Surtout la forme mais c’est vrai que les nuances de gris font un pelage de bête noire quoi. » (Tristan, IV)

« Un chat, c’est tout. C’est les poils il est sur le dos, il me regarde. » (Guillaume, VI)

Nous voyons bien, dans ces différents exemples comment la sensibilité aux estompages de texture renvoie à une dimension sensorielle potentiellement régressive, mais également à la quête d’un contenant pouvant amortir les éclats de stimulations ressenties avec trop d’acuité. Notons qu’elles apparaissent essentiellement planches IV et VI mobilisant une forte charge pulsionnelle. Pour Guillaume, le surinvestissement de l’estompage ayant pour fonction de faire enveloppe et d’amortir les éléments anxiogènes échoue partiellement. En effet, la conscience d’interpréter vacille quelque peu dans une légère tonalité de persécution (« il me

regarde ») comme si les excitations étaient trop débordantes.

Autre exemple : « C’est un peu plus confus ça, c’est confus, c’est massif euh y a un côté fourrure, une

peau, moui de la peau d’animal dépecé dans les tonalités… Moins d’élégance que dans les autres dessins par exemple, c’est pour ça que je dis c’est plus massif. C’est pas moins élégant car on peut trouver ça beau aussi après tout, mais c’est disons moins de stylisation, moins de raffinement, c’est plus massif sans qu’il y ait forcément de connotations péjoratives. C’est bien l’ordinateur aussi pour

prendre des notes ! Moi j’arrive plus à faire ça, je ne pourrais plus écrire à la main comme ça. Le fait qu’il y ait des différences de tonalités, dans les nuances de gris qui font, je sais qu’aujourd’hui les nuances de gris, ça a une connotation sexuelle (?) Bah oui le bouquin (cf. 50 nuances de Grey). »

(Frédéric, IV)

Ici, nous pouvons noter l’attaque ou plutôt la dévalorisation de la puissance phallique qui passe par une centration sur le périphérique à travers les qualités sensorielles et esthétiques de la planche. Par ailleurs, le surinvestissement des limites, porté par une sensibilité à l’estompage de texture, ne remplit pas sa fonction de contention pulsionnelle et de protection dans la mesure où c’est « la peau d’un animal dépecé » avec une connotation assez morbide. Nous pouvons également noter la légère attaque de notre façon d’écrire, dévoilant un peu d’envie et une reconnaissance de la castration (« moi j’arrive plus à faire ça, je ne pourrais

plus écrire à la main »). Enfin, la reconnaissance de la dimension sexuelle et érotisée est

déplacée à travers une pirouette intellectualisée et se rejoue dans l’hic et nunc de la relation transférentielle, car peut-être ne pouvant être élaborée dans le traitement de la planche.

Autre exemple de sensibilité à l’estompage de texture : « Là c’est plutôt un peu comique, une chauve-

souris plutôt ça évoque des choses sympathiques et positives. Mais euh en même temps c’est une espèce d’animal hybride parce qu’il y a des petits pilons de poulet en bas. Une tête de lapin vue de derrière en haut. Donc c’est comme un petit animal hybride qui prend son envol. Au fond là c’est une image contrairement à la précédente d’un personnage qui me tourne le dos et qui prend son envol à partir de moi alors que l’autre se dressait face à moi. Je vais dire qu’il s’éloigne. Contrairement à l’autre qui se dressait un peu comme un rempart. Et là, la matière des ailes me semble plutôt agréable comme un peu des plumes ou du coton pas du tout comme la précédente. » (Thomas, V)

Ici, la centration sur le sensoriel et le périphérique donnée en fin de planche, (« Et là, la

matière des ailes me semble plutôt agréable comme un peu des plumes ou du coton pas du tout comme la précédente ») a du mal à combler les failles narcissiques dévoilées à travers

cette représentation animale hybride qui rend compte de la difficulté à se représenter une image de soi unie et unifiée dans la cohérence que requiert un objet total (« animal hybride

avec des petits pilons de poulet en bas, une tête de lapin vue de derrière »). Par ailleurs, la

tonalité antidépressive (« Là c’est plutôt un peu comique, une chauve-souris plutôt ça évoque

des choses sympathiques et positives ») peut signifier également une forme de dérision qui

pourrait s’inscrire dans le contre-investissement d’une représentation de soi atteinte, altérée voire devenue étrangère à elle-même, comme si rien de cohérent et d’unifié ne pouvait partir (ou naître ? n’être ?) de Thomas. En effet, ce nouveau vacillement des limites entre lui et la planche (déjà observé planche IV), dans un fantasme d’engendrement renvoie à quelque chose de biscornu, de profondément altéré et peut-être mélancolique dans la mesure où l’identité au sens strict n’est ici pas possible. Par ailleurs, il est frappant de noter que la planche de la puissance phallique le renvoie à un ressenti de « ça me barre la route » alors que celle dite de « la représentation de soi » lui évoque un ressenti de « ça me tourne le dos et

prend son envol à partir de moi » comme dans une résonnance troublante avec la réalité d’un

deuil difficile et narcissiquement blessant de sa puissance phallique investie dans les érections.

Mais la centration sur le sensoriel peut laisser apparaître un mélange des règnes confinant à l’irréel, nous indiquant alors des fragilités identitaires patentes, comme ici, pour Tristan à travers l’évocation d’un papillon qui aurait des plumes :

« Mais ça peut être un papillon puisqu’il y a les deux là euh les deux enfin les plumes à l’arrière enfin pas les plumes, mais au niveau des ailes y a des papillons qui ont des grandes euh… (inspire fortement) je sais pas comment on appelle ça là, les queues… Moui, papillon oui, la tête, elle est quand même là. » (II) 

b) Références personnelles associées à une réponse ou à un surinvestissement du  périphérique 

Les références personnelles, très fréquentes dans les « protocoles narcissiques », ont pour fonction d’impulser au discours un mouvement centripète qui vise à réinvestir le sujet pour consolider son enveloppe, mais également à sauvegarder les apparences en tentant de fasciner l’autre. Catherine Chabert (1987/2012 p.92) le définit ainsi : « Le sujet a recours, dans ses

commentaires et dans ses réponses, à des références uniquement rapportées à lui-même : ce qu’il éprouve, ce qu’il ressent, sa manière de voir les choses, ses souvenirs, les fragments de sa biographie. La situation est exploitée dans un sens unique – centripète – comme lieu de déploiement d’une subjectivité omniprésente qui à la fois s’étaie sur le regard de l’autre et le nie ». Nous avons pu repérer très fréquemment des références personnelles souvent adossées à

une autre défense narcissique qui, elle, a pu rater comme ici :

« Ou un parchemin, un parchemin vraiment très abîmé comme en généalogie, des traces d’usure, de décrépitude du temps là qui se forment sur les pages. Non c’est tout. Ça donne cet aspect déchiré, déchiqueté, vraiment mal en point, donc ça pourrait être une partie d’une feuille qui a été récupérée. Là c’est le généalogiste qui parle (rit). » (Tristan, VII)

Mais parfois cela se tient un peu plus comme ici, à travers le surinvestissement des contours donné dans une réponse « géographie » suivant directement une « réponse peau ». Les considérations de « marin » sont là pour étoffer une réponse et masquer les failles d’un discours déstabilisé par la sollicitation latente :

« Il y a un sens ? V Alors là, il y a toujours le papillon dans l’autre sens qui est toujours là. ^ Mais là on dirait une peau… vous savez une peau d’un animal. C’est pas un ours mais ça ressemble plutôt à une tête de castor ou je sais pas quoi. Voilà c’est ce que je vois. Sinon, ça pourrait être en réflexion si je considère qu’une moitié, ça c’est, vous savez je vais en mer hein de, donc je vois aussi une carte,

donc ça ressemble un peu à la Nouvelle Ecosse. (rit) enfin cette partie là en tout cas donc euh… »

(Yann, IV)

Au premier abord, nous pouvons noter l’appel au clinicien et la demande d’étayage par rapport à une planche qui semble d’emblée anxiogène comme le suggère la persévération du papillon qui, par ailleurs, échappe au contrôle formel. Puis, Yann donne une réponse peau désincarnée et hybride, mélangeant deux espèces ce qui peut renvoyer à une fragilité de la représentation de soi. Puis, sous couvert de références personnelles permettant une centration narcissique, il donne une réponse « géographie » avec une découpe rare et extrêmement précise surinvestissant les contours, avec une inversion figure/fond sur laquelle il peine à s’appuyer totalement, comme nous pouvons le voir ici à l’enquête :

« Mais c’est marrant, là, je ne vois pas ça, je le vois en inverse, je me concentre sur le noir alors que quand je vois la carte on dirait l’embouchure du St Laurent (…) mais il faut que je mette en avant le blanc, les contours, si je mets en avant le noir… je vous dis c’est l’habitude de regarder des carte ».

Cela condense une conduite active fortement intellectualisée qui a une double fonction de réassurance narcissique et de fascination de l’autre. Cela permet alors à Yann de mettre à distance la sollicitation latente de la planche, qu’il ne semble reconnaître que dans la dimension dépressive face à une imago maternelle archaïque, comme en témoignent la centration sur ce qui manque associée à un contenu anobjectal, mais aussi la localisation de l’embouchure du St Laurent, située « entre les jambes » du personnage qui est donné habituellement. Ainsi peut-être que le recours au Dbl19 est aussi à entendre à cette planche de la puissance phallique comme une reconnaissance de la castration, dans la mesure où il investit une localisation très rare juste à côté de ce qui est fréquemment donné et/ou contre- investi comme l’appendice génital d’une figure imposante. Notons par ailleurs les résonnances réceptrices et féminines de l’embouchure.

Les références personnelles, nombreuses, ont régulièrement été au service de la non- élaboration du conflit et de la problématique de la planche, avec néanmoins une volonté voire une nécessité psychique de sauver les apparences aux yeux de l’interlocuteur, ou peut-être à ses propres yeux dans l’impression de soi que l’on donne à voir à l’autre dans une dynamique réflexive. Il s’agissait coûte que coûte de contre-investir les failles narcissiques afin que celles-ci ne soient pas repérables par l’autre. Les commentaires personnels pouvaient être au service d’une non-élaboration de la problématique de castration (planche 1 du TAT), dénotant alors une fragilité narcissique.

« Ça c’est d’abord ça me plaît parce que d’abord c’est la musique et j’aime beaucoup la musique. Euh donc c’est un morph… un enfant qui travaille la musique et il a pas l’air, de contrairement aux

      

19

Dbl, « on désigne ainsi les réponses portant sur les lacunes intramaculaires ou extramaculaires, le sujet opérant ainsi une « inversion figure/fond » (Chabert, p. 109, 1997)

enfants en général, il a pas l’air de détester, il a un visage concentré, il n’a pas l’air de ne pas aimer ce qu’il fait il a l’air d’être très concentré sur son étude. C’est tout, c’est pas une histoire vraiment mais voilà c’est un jeune, il a du mérite, le violon, mais ma fille, j’ai une fille qui a fait du violon, je peux vous dire que c’est dur pour les parents. Elle a fait ça 10 ans, j’ai jamais entendu une note juste. » (Yann, 1)

Ici, nous pouvons noter l’esquisse d’un conflit intrapsychique donné sous couvert d’une dégénation (A2-3) (« il a pas l’air de détester, il a pas l’air de ne pas aimer »), sans pour autant que puisse se déployer un conflit interpersonnel ou même une reconnaissance assumée de l’immaturité fonctionnelle qui est alors déplacée sur sa propre fille à l’aide d’une référence personnelles (« mais ma fille je peux vous dire (…) j’ai jamais entendu une note juste »). L’immaturité fonctionnelle se repère également dans sa façon de (ne pas) répondre à l’exercice (« ce n’est pas une histoire vraiment »). Et les défenses narcissiques mobilisées peuvent nous indiquer des fragilités narcissiques face à la problématique de castration.

Autre exemple de référence personnelle adossée à un autre procédé défensif : « alors… euh… J’y vois

l’éducation et l’enseignement de mes propres enfants, où j’ai le sentiment parfois d’avoir été très dur avec eux, très exigeant, de trop, de trop. Voilà. » (Jacques, 1)

Ici, sous couvert d’une référence personnelle (CN-1) appuyant un retournement de la passivité en activité, Jacques ne s’identifie pas au garçon en proie à l’immaturité fonctionnelle, mais bien au père de celui-ci qui est actif et lui impose exigence et dureté dans l’éducation. Cela lui permet de ne pas traiter la sollicitation latente proposée par la planche et nous pouvons la comprendre comme une lutte contre la passivité. Nous pouvons noter l’accent très narcissique, voire un peu mégalomane, de se positionner implicitement comme seul référent de l’éducation de l’enfant.

Pour d’autres patients, les références personnelles (CN-1) ont pu être adossées à une mise en tableau (CN-3), double défense narcissique qui permet, ici, à Roger de ne pas élaborer la sollicitation latente de la planche, qui renvoie à une forme de solitude plus ou moins dépressive :

« Ah ça c’est de belles photos. je sais pas dans quel pays c’est pris mais j’ai pris des photos à peu près dans le même style quand j’étais au Vietnam et que j’ai visité les cases qu’ils construisent en pleine montagne. » (Roger, 13B)

Autre exemple : « Une affiche de film enfin une affiche de film des années 50, c’est un film américain

des années 50. Alors là, roman d’amour et euh je peux pas bien en parler parce que j’irai pas voir le film, + ça me… l’affiche ne m’inspire pas donc euh malgré le soin et puis la beauté des personnages si c’est une affiche de film, ça ne m’intéresse pas et je passe mon chemin, donc euh je me mets dans l’histoire, c’est possible, oui enfin, entre parenthèses je m’inclus dans l’histoire. » (Tristan, 4)

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