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Proposition d’une modélisation de l’impact identificatoire du cancer de la prostate

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ET RÉFLEXIONS THÉORIQUES DE LA DEUXIÈME PARTIE

3.  À LA RECHERCHE DE LA VIRILITÉ PERDUE

3.2.  Que reste‐t‐il de la problématique identificatoire ?

3.2.5.   Proposition d’une modélisation de l’impact identificatoire du cancer de la prostate

Nous allons expliciter le modèle suivant : 1/ Féminin primaire

2/ Défense par le masculin primaire mais mal étayée par la virilité secondaire

Comme tous les traumatismes, le cancer de la prostate fait effraction dans le tissu subjectif du sujet, saturant son système défensif de problématiques existentielles (la mort, le vieillissement, la sexualité) jusqu’à la sidération. Comme tous les traumatismes, le cancer de la prostate passive le sujet et lui fait potentiellement revivre, dans un premier temps, la passivité originaire, voire l’Hilflösigkeit freudienne, autrement dit, la détresse la plus totale. Nous pourrions avancer que le noyau du féminin primaire est alors violemment bousculé. Puis, de manière défensive, le sujet tenterait de se récupérer par le mouvement, par l’activité et la tentative de faire face ou de rester debout, à savoir de s’ériger en tant que sujet (c’est ce que nous avons appelé plus haut le masculin primaire). Ce mouvement salvateur pourrait alors être consolidé grâce à un « accrochage » aux caractéristiques secondaires pour tenter de « tenir » et de rassembler l’unité sur un plan identificatoire.

Mais, à la différence d’autres traumatismes qui, à l’image du cancer du rein, ne touchent pas spécifiquement à la virilité, le cancer de la prostate atteindrait la virilité secondaire – fût-elle narcissique ou névrotique d’ailleurs – via la dysfonction érectile iatrogène. Il serait donc difficile pour le sujet d’y trouver un étayage solide au moins temporairement. Il serait inconfortable de s’appuyer sur les caractéristiques sociales de « se durcir pour être et rester un homme » pour soi et peut-être, avant tout, dans le regard des autres. Car, en effet, l’identité est non seulement ce qui est le plus intime et le plus personnel

mais aussi, ce qui, paradoxalement, s’est nécessairement construit à l’aide de l’Autre à force d’identifications et d’intériorisations. Comme nous le rappelle A. Green, « l’identité n’est pas un état, c’est une quête du Moi qui ne peut recevoir sa réponse réfléchie que par l’objet et la réalité qui le réfléchissent » (1983, p. 44). De là, cela pourrait nous permettre de paraphraser en le revisitant l’aphorisme de Simone de Beauvoir : on ne naît pas homme, on le devient et – aurions-nous envie d’ajouter –, parfois, on tente de le rester. Être et rester un homme dans le

regard de l’autre, telle est la question qui tenaillerait l’homme touché par le cancer de la

prostate et qui pourrait le fragiliser de par la prise de conscience violente d’une forme de dépendance au regard d’autrui.

Il va de soi que la prostate est un organe caché, à l’intérieur, peut-être même obscur, à peine palpable, et le plus souvent silencieux – sauf pour ceux qui pratiquent la sodomie passive, et nous pourrions même lui conférer une certaine dimension féminine de par tous ces attributs. L’érection, quant à elle, véritable chantre de la logique phallique, se voit, s’exhibe, se mesure, se montre, se donne à voir, s’offre aussi parfois ; mais peut s’avérer défaillante et bruyante dans ses manquements, car toute offerte également au regard de l’autre. C’est aussi pour ces raisons que la scopophilie (et son pendant, l’exhibitionnisme) est beaucoup plus investie chez l’homme que chez la femme. Mais si la prostate n’a pas la même valence attractive des organes qui se voient, se mesurent, se comparent, se modifient et éprouvent du plaisir comme la verge et les testicules, si la plupart des hommes ignorent qu’elle secrète un liquide alcalin dont le but est de protéger les spermatozoïdes des sécrétions acides du vagin, ce qui n’est pas à banaliser sur le plan fantasmatique, ils l’investissent pour la constitution du sperme. En effet, le volume et la force du jet de celui-ci ne sont pas sans témoigner de la force, de la vigueur, du pouvoir pénétrant (lié certes à la qualité des mécanismes éjaculatoires) et fécondant, ce qui est important comme prétention au masculin, notamment au regard du rôle parfois central des éjaculations dans les représentations pornographiques.

Nous ne pouvons par conséquent exclure le rôle important du regard de l’épouse – ou du partenaire dans les couples homosexuels13 –, dans l’impact identificatoire du cancer de la prostate. Il pourrait y avoir une collusion fantasmatique avec le regard de la mère (avec tout ce qu’il a pu recéler d’ambivalence, de bienveillance, d’agressivité, etc.), puis un éventuel abandon du père puisque le phallus ne serait plus disponible dans toutes ses dimensions       

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Bien que cela ne soit pas le même rôle, à moins que le partenaire soit exclusivement pénétré et attende tout de son conjoint malade, et encore.

(puissance, fertilité, symbolique d’idéal, identitaire…). Il ne serait plus convocable lors de la réactivation inconsciente du fantasme de scène primitive, lui-même adossé à un acte sexuel incarné. L’objet témoin de cette débandade, de ce fiasco, de cette retraite, pourrait alors devenir dangereux, persécuteur et mobiliser chez le sujet un repli narcissique ayant une double fonction : un repli unitaire par rapport au traumatisme et un retrait par rapport à la menace d’un objet au regard possiblement/fantasmatiquement persécuteur/castrateur.

Autrement dit, ce serait peut-être moins grave si ce n’était pas vu par une femme. Quand l’autre ne le voit pas, ne le parle pas, ça n’existe pas, comme peuvent en témoigner les croyances infantiles mâtinées de pensée magique. Outre le potentiel jugement de valeur porté, le regard de l’autre ferait courir le risque de la désapprobation, le risque du regard malveillant, le risque de la désacralisation, de la revanche. Le regard de l’autre pourrait également être le miroir de l’impuissance ou de la faillite. Il ne serait dès lors pas étonnant que beaucoup d’hommes arrêtent leur sexualité ou mettent un terme à une relation récente. Quand on les interroge, ce n’est pas du fait de leur partenaire. Au delà de l’échec, nous le comprenons comme une façon de se soustraire au regard de l’autre, pour que personne ne soit témoin de ce qu’ils vivent comme une défaite. Quand il n’y a plus de spectateur, il n’y a plus de spectacle. Ainsi, la sexualité agie et fantasmée pourrait être une représentation de notre théâtre privé parfois le plus inconscient. Après le rêve et le transfert, la sexualité serait même pour R. Roussillon (dans la post face du livre de Cournut (op.cit.)) la troisième voie royale d’accès à l’inconscient. Que dit de nous, parfois à notre insu, notre sexualité ?

3.3. Vectorisation de la psychosexualité dans la sexualité : dis‐moi 

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