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Que reste-t-il de leurs amours ? : étude exploratoire, clinique et projective de patients traités pour un cancer de la prostate

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02278365

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02278365

Submitted on 4 Sep 2019

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Que reste-t-il de leurs amours ? : étude exploratoire,

clinique et projective de patients traités pour un cancer

de la prostate

Anne-Sophie van Doren

To cite this version:

Anne-Sophie van Doren. Que reste-t-il de leurs amours ? : étude exploratoire, clinique et projective de patients traités pour un cancer de la prostate. Psychologie. Université Sorbonne Paris Cité, 2017. Français. �NNT : 2017USPCB202�. �tel-02278365�

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Ecole doctorale : cognitions, comportements, conduites humaines – ED 261 Laboratoire : Psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse – EA 4056

Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Psychologie

Présentée et soutenue publiquement par Anne-Sophie Van Doren

Le 14 novembre 2017

QUE RESTE-T-IL DE LEURS AMOURS ?

ÉTUDE EXPLORATOIRE, CLINIQUE ET

PROJECTIVE DE PATIENTS TRAITÉS POUR UN

CANCER DE LA PROSTATE

Thèse dirigée par Monsieur le Professeur Benoît Verdon

JURY

Madame le Professeur Magali Ravit, Lyon II - Rapporteur

Madame Nathalie de Kernier, MCU-HDR, Paris 10 – Rapporteur Monsieur le Professeur Benoît Verdon, Paris Descartes – Directeur

Monsieur le Professeur Christophe Dejours, Paris Descartes, C.N.A.M. – Examinateur Monsieur le Professeur Karl-Léo Swchering, Paris 13 – Examinateur

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REMERCIEMENTS  

 

 

À mon Directeur, Monsieur le Professeur Benoît Verdon pour m’avoir accompagnée durant ces six années, du master 1 au doctorat. Je tiens à le remercier particulièrement pour sa grande patience, son profond respect, son écoute et sa bienveillance envers les idées que je pouvais proposer, mais aussi pour son exigence et la constance de ses appuis, tant humains que pédagogiques. Je le remercie ainsi d’avoir toujours su se montrer présent et disponible, y compris quand je l’étais moins, en raison de mon activité clinique à temps plein à l’hôpital, et de m’avoir toujours accueillie dans les meilleures conditions possibles au séminaire, malgré mes contraintes personnelles. Qu’il trouve là un témoignage de mon immense reconnaissance, de mon respect et de mon admiration.

À Monsieur le Professeur Marc-Olivier Bitker, pour la confiance qu’il m’a témoignée pendant quatre ans. Sans lui, ce travail n’aurait jamais vu le jour. Je lui exprime à nouveau toute ma gratitude pour m’avoir initiée aux enjeux cliniques et si profondément humains de l'urologie et pour m’avoir sensibilisée à des dimensions que j’ignorais. Je le remercie également pour son amour de la vie et son enthousiasme contagieux qui ont indubitablement enrichi ma façon d’appréhender les choses, y compris la maladie et la précarité de l’existence. Qu’il soit bien persuadé de ma profonde reconnaissance, et qu’il trouve au travers de ce travail une concrétisation de notre précieuse et riche collaboration.

À Monsieur le Professeur Christophe Dejours, pour m’avoir très généreusement invitée à son séminaire en 2013, pour la finesse de ses conseils et pour la pertinence et l’originalité de son regard qui m’ont ouvert de nouvelles perspectives. Qu’il trouve ici un témoignage de mon entière gratitude et de mon admiration pour sa pensée et ses écrits.

À Madame le Professeur Magali Ravit, pour avoir accepté d’être rapporteur de ma thèse, pour vos commentaires et remarques, ainsi que pour me faire l’honneur de bien vouloir juger ce travail. Qu’elle soit assurée de mon profond respect ainsi que de ma sincère reconnaissance.

À Madame Nathalie de Kernier, pour ses commentaires pertinents, pour sa disponibilité ainsi que pour me faire l’honneur d’avoir accepté d’être rapporteur de ma thèse, qu’elle trouve ici un témoignage de ma profonde gratitude.

À Monsieur le Professeur Karl-Léo Schwering, pour me faire l’honneur de participer au jury, qu’il trouve là une marque de ma reconnaissance et de toute mon admiration pour ses écrits.

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À mes correctrices sans faille : Peggy, Bénédicte, Clara et Séverine qui ont diagnostiqué avec bienveillance une « dyslexie de la virgule » évolutive et réfractaire. Elles comprendront.

À Marie-Hélène et Guillaume pour les traductions en anglais, les résumés, les power-points et autres réjouissances que je maîtrise mal.

À mes amis qui comptent tant, Peggy, Isabelle, Camille, Guillaume, Marie-Hélène, Chantal, Marie-Madeleine, Philippe et Anne-Claire, François et Claire, Thibault et Estella, Bénédicte, Sophie, Caroline, Olivia pour m’avoir soutenue. Merci pour tous ces moments partagés, entre bulle de champagne et bouffée d’oxygène, bien plus nécessaires que superflus, tout au long de l’épique et douloureuse gestation de « Dame-Nation », petit surnom que j’avais fini par utiliser pour désigner cette thèse.

À ma famille, à mes parents, à mes frères et sœurs.

À Stéphanie, ma grande sœur qui me manque encore beaucoup et qui est partie trop vite.

À ma mère, pour sa présence en toute circonstance, pour sa disponibilité sans faille, pour sa compréhension, son amour inconditionnel, et son précieux soutien.

À Séverine, mon Irremplaçable, mon Inespérée, mon Inattendue, plus qu’hier moins que demain, pour sa présence, pour son indéfectible soutien, pour danser ma vie jour après jour, pour son amour et tout ce que les mots ne peuvent ni traduire ni exprimer.

À Eléanore, notre fille, entre soleil et éclat de rire, pile au milieu ; pour tout ce qu’elle est, pour tout ce qu’elle m’apporte jour après jour, et pour avoir courageusement et adorablement partagé sa « Ma-Maman » avec « Dame Nation » pendant près de quatre années.

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À Bénédicte, pour son humour décalé un peu solaire et pour son enthousiasme contagieux, pour le savoureux « petit scarabée », pour avoir oxygéné une clinique éprouvante, marquée par l’irreprésentable et l’enfermement, et pour m’avoir soutenue et encouragée dans cette aventure.

À tous mes collègues du service d’Hématologie-immunologie de l’hôpital Robert Debré.

À mes collègues psychologues de Robert Debré, plus particulièrement à Sophie, Marie-Armelle, Emilie, Sabrina, Violaine, les deux Véronique et Morgane pour leur soutien et leur bonne humeur.

À ma collègue Céline Rousseau de l’hôpital Trousseau qui m’a beaucoup soutenue également.

À « Dame-Nation », pour ces quatre années passées ensemble, pour les moments d’exaltation, les moments de doute, pour avoir hanté quelques nuits et ambiancé quelques soirées, pour les moqueries que nous avons essuyées et pour les questions incongrues, pour cette belle et éprouvante aventure, et parce qu’il faut bien se séparer à la fin du chemin. En espérant avoir été « à la hauteur », et réussir à nous quitter en bonnes amies !

À tous les patients ainsi qu’à leurs familles, présents dans cette thèse, et sans qui ce travail n’aurait pas été possible, et à tous les autres, pour leur confiance et tout ce qu’ils m’ont appris.

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Table des matières 

REMERCIEMENTS... 3  INTRODUCTION ...11  PARTIE THÉORIQUE...19  1. LE CANCER DE LA PROSTATE, RENCONTRE DU TROISIEME TYPE ENTRE FANTASME ET  REALITE. ...19  1.1. Le cancer de la prostate en tant que réalité médicale brute ...20  1.2.  La clinique du cancer de la prostate, vectrice de réalités fantasmatiques polymorphes :  castration, narcissisme et traumatisme....22  1.2.1. Une maladie de l’homme mûr, le désaveu au milieu de l’accomplissement... 22  1.2.2. Rester debout pour être un homme jusqu’au bout ! L’investissement phallique narcissique  comme squelette psychique quand « tout fout le camp »... 25  1.2.3. Les refus de traitements. Qui refusent et pourquoi ? ... 34  1.2.4. Phobie ou angoisse de castration ? Angoisse de castration de vie ou de mort ?... 35  SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS THÉORIQUES DE LA PREMIÈRE PARTIE ...40  1. Angoisse de castration, angoisse de mort, phobie ... 40  2. Place fondamentale du phallus et de l’érection dans la constitution du narcissisme masculin 41  2. LE CANCER DE LA PROSTATE, RÉVOLUTION DANS L’ÉCONOMIE LIBIDINALE...42  2.1. Éléments pour une métapsychologie du corps...43  2.1.1. Le primat de l’Autre, la subversion libidinale & l’affect... 43  2.1.2. Impasses & échecs. ... 45  2.2. Le désir et la pulsion sexuelle. Dans quelle mesure le corps a‐t‐il voix au chapitre ? ...50  2.3. Que reste‐t‐il de la pulsion sexuelle ? Réflexions épistémologiques...51  2.3.1. La pulsatilité du fonctionnement psychique. Pulsions & narcissisme... 52  2.3.2. Narcissisme & vulnérabilité (psycho)somatique ... 60  2.4. Éros chahuté et acculé par le cancer de la prostate ...66  2.4.1. Déstabilisation de la pulsatilité de la pulsion ... 66  2.4.2. Centralité et qualité du narcissisme érigé dans le cancer de la prostate. ... 70  2.4.3. La pulsion anarchiste comme articulation entre narcissismes de vie et de mort ... 71  2.4.4. L’hypothèse d’un masculin hypomane, une solution contre la dépression ?... 73  2.5. Que reste‐t‐il de l’organisation pulsionnelle génitale ? ...81  2.5.1. Le primat du phallus et sa théorie sexuelle infantile, organisateur ou désorganisateur  psychique ?... 81 

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2.5.2. Du primat du phallique narcissique au primat du génital, la rencontre de la castration ... 83  2.5.3. Cancer de la prostate et régression dans l’organisation pulsionnelle... 86  SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ET RÉFLEXIONS THÉORIQUES DE LA DEUXIÈME PARTIE. ....89  1/ Pulsatilité de la pulsion, désintrication pulsionnelle, pulsion anarchiste et narcissisme de mort ... 89  2/ Masculin hypomane... 89  3/ Primat du phallus, angoisse de castration de vie/de mort, organisations pulsionnelles génitale  et phallique narcissique... 90  3. À LA RECHERCHE DE LA VIRILITÉ PERDUE…...92  3.1. Virilité et domination masculine, l’envers d’un décor qui fascine ...92  3.2. Que reste‐t‐il de la problématique identificatoire ? ...99  3.2.1. La construction de la masculinité : voies de dégagement et impasses. Une question de  transmission ? ...100  3.2.2. Viril or not viril ? Telle est la question. Le genre ou l’introduction controversée du facteur  social. ...104  3.2.3. Bisexualité psychique. Masculin primaire et virilité secondaire...118  3.2.4. Virilité secondaire : névrotique ou narcissique. ...122  3.2.5.  Proposition d’une modélisation de l’impact identificatoire du cancer de la prostate ...125  3.3. Vectorisation de la psychosexualité dans la sexualité : dis‐moi comment tu jouis, je te dirai  qui tu es. ...127  3.3.1. Sexualités narcissique et objectale ...128  3.3.2. Les patients dits « résilients » et l’érection inventive...131  3.4. Les tabous de la castration : féminin et infertilité...134  3.4.1. La castration blanche de l’infertilité...134  3.4.2. Le comble du cancer de la prostate : une mobilisation du féminin ...136  3.5. Du glissement de l’identification narcissique salvatrice à l’identification mélancolique  menaçante...139  SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS THÉORIQUES  DE LA TROISIÈME PARTIE. .144  1/ Domination masculine, peur des femmes et hantise de la castration ...144  2/La virilité, à l’entrecroisement du sexe, de l’identité sexuelle et du genre...144  3/ Solutions psychiques pulsionnelles et sociales contradictoires...145  4/ Virilités névrotique et narcissique ...146  5/ Facteurs psychiques fragilisant le patient face à la traversée conjointe du vieillissement et du  cancer de la prostate : ...146  6/ Proposition de modélisation de l’impact identificatoire du cancer de la prostate : ...146 

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HYPOTHÈSES...148  HYPOTHÈSE 1. NARCISSISME BLESSÉ ET PROBLÉMATIQUE IDENTIFICATOIRE...148  HYPOTHÈSE 2, NARCISSISME­RESSOURCE ET PULSION DE MORT...149  HYPOTHÈSE 3, NARCISSISME ET PROBLÉMATIQUE DÉPRESSIVE ...149  MÉTHODE ...150  OPÉRATIONNALISATION DES HYPOTHÈSES. ...156  HYPOTHÈSE 1, NARCISSISME BLESSÉ ET PROBLÉMATIQUE IDENTIFICATOIRE...157  HYPOTHÈSE 2, NARCISSISME­RESSOURCE ET PULSION DE MORT...166 

2/B. C’est la qualité de la pulsion de mort qui deviendrait différenciatrice des authentiques organisations narcissiques ou bien des organisations névrotiques masquées par le poids des défenses narcissiques...169 

Préambule (préliminaires) épistémologique(s) sur la pulsion de mort...169 

HYPOTHÈSE 3, NARCISSISME ET PROBLÉMATIQUE DÉPRESSIVE ...172  ÉTHIQUE ET CONFIDENTIALITÉ ...176  ACCÈS AUX RÉSULTATS DE LA RECHERCHE ET AUX DONNÉES...177  CASTRATIONS MÉTONYMIQUE ET PERFORMATIVE. RÉFLEXIONS ÉTHIQUES ...177  1. « Castration(s) » performative(s) éventuelle(s) de la recherche en elle­même ...177  2. Nos propres complexes de castration et les positions éthiques qu’ils impliquent ...180  3. Complexes de castration théorique, épistémologique et métonymiques...180  4. De la nécessité d’une autocastration et autres renoncements...181  ANALYSE DES RÉSULTATS...184  HYPOTHÈSE 1. NARCISSISME BLESSÉ ET PROBLÉMATIQUE IDENTIFICATOIRE...184  1. Défendre le tissu psychique et subjectif de la virilité blessée : « non non rien n’a changé ! »...184  1.1 Centration sur l’enveloppe pour pallier l’effraction traumatique ...185  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...185  GROUPE CANCER DU REIN ...192  GROUPE CONTRÔLE ...192  1.2. Centration sur l’enveloppe pour masquer ses failles ...194  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...194  a)  Surinvestissement du sensoriel, fourrure, estompage ...195  GROUPE CANCER DU REIN ...201  GROUPE CONTRÔLE ...202  2. La virilité performative cachant un besoin de réassurance narcissique par et dans la relation :  entretien et clinique de la passation...204 

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2.1. Transfert pendant l’entretien, séduction narcissique mais aussi « paternelle » de celui qui  sait et nous « apprend » ...204  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...204  GROUPE CANCER DU REIN ...214  GROUPE CONTRÔLE ...214  2.2. Clinique de la passation et styles transférentiels ...216  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...216  GROUPE CANCER DU REIN, ...230  GROUPE CONTRÔLE. ...232  2.3. Problématique identificatoire pendant les entretiens ...237  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...237  GROUPE CANCER DU REIN ...272  GROUPE CONTRÔLE ...274  3. L’envers du décor : problématique identificatoire et menace d’une identification narcissique à la  femme passivée ...280  3.1 Le masculin à l’épreuve de l’incomplétude ...280  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...280  GROUPE CANCER DU REIN ...302  GROUPE CONTRÔLE ...303  3.2. Le féminin, l’archaïque et le menaçant...306  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...306  GROUPE CANCER DU REIN ...315  GROUPE CONTRÔLE ...317  3.3.  Le neutre ...319  CANCER DE LA PROSTATE, DÉSARROI FACE À LA PLANCHE VI ...319  HYPOTHESE 2. NARCISSISME‐RESSOURCE ET PULSION DE MORT ...322  1. Une mise à mort de la pulsion sexuelle ou comment tuer l’homme pulsionnel en soi ...322  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...323  1.1. Figer le mouvement et le temps ...323  1.2. Figer la relation, ...328  1.3. Nier la pulsion...338  GROUPE CANCER DU REIN ...346  GROUPE CONTRÔLE ...348  2. La pulsion anarchiste comme ressource, étude qualitative de certaines planches ­ efficacité,  qualité, perméabilité, radicalité des défenses narcissiques ...350  2.1. Planches pastels :...351 

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GROUPE CANCER DU REIN ET SENSIBILITÉ SENSORIELLE ...357  GROUPE CONTRÔLE ...359  2.2. TAT, planches 1, 2, 4, 6BM, 7BM, 8BM, 10, 13MF ...360  HYPOTHESE 3. NARCISSISME ET PROBLEMATIQUE DEPRESSIVE ...368  1. Le masculin hypomane pendant les entretiens : « même pas mal ! même pas peur ! même pas  triste ! » ou un rapport viril à la dépression...368  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE ...368  GROUPE CONTRÔLE...387  2. Traitement et élaboration de la perte dans les projectifs à mi­chemin entre hypomanie et refus ...396  GROUPE CANCER DE LA PROSTATE...396  2.1. La perte au TAT aux planches évoquant la solitude (3BM, 12BG, 13B, 16) ...397  2.2. La perte au TAT aux planches relationnelles dites de « couple » : 4 ; 10 ; 13MF ...410  2.4. Tonalité dysphorique au Rorschach associée au narcissisme (Planche I et V) : sensibilité aux  couleurs achromatiques (C’)...415  GROUPE CANCER DU REIN...418  GROUPE CONTRÔLE...422  DISCUSSION...431  A propos des modalités de présentation des résultats à visée de compréhension à l’appui d’une  démarche comparative :...431  a) Remarques épistémologiques et méthodologiques ...431  b) L’engagement complexe voire paradoxal du narcissisme...432  c) Précisions sur le masculin hypomane et sur la condition narcissique sine qua non...434  La clinique de la passation comme espace transitionnel et potentiellement thérapeutique ...437  a) Virilité performative et clinique de la passation...437  b) Précisions sur la qualité de l’autre, esquisse de propositions cliniques ...439  Déplacement des frontières entre le normal et le pathologique...442  Crise transitoire ou remaniement pérenne ?...443  Etiopathogénie...445  L’homosexualité ...447  CONCLUSION ...448  BIBLIOGRAPHIE...453   

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INTRODUCTION 

Piazza Novona J'étais là très tôt ce matin Je te cherchais A vive allure, le passé nous rattrape Je me demande si j'ai eu raison Et me voici à Rome, Devant chez toi L'escalier monte à sa chambre, et dans Ce froid de gueux L'enfant du roi fou En bras de chemise légère, dans

Son âme, tous nos mystères, De Berlin, de Moscou Des photos d'un ado sombre accrochées Au mur là, devant lui, Il se voit, est-ce lui ? Est-ce lui ? Je t'ai attendu dans ce rade triste, Il était trop tôt pour ma défaite. L'escalier monte à sa chambre, Et dans le froid de décembre, Son accent français le trahit En bras de chemise légère, Dans ses yeux, tous nos mystères, De Marseille à Paris Des photos d'un ado sombre, Accrochées au mur, devant lui, Est-ce moi ? Est-ce lui ? Comme le héros d'un livre, Qui ne souffrirait plus du froid, L'homme qui marche devant moi, Est-ce moi ? Comme le héros d'un livre, Qui ne s'ouvrirait plus qu'une fois, L'homme qui marche devant moi, Est-ce toi ? Etienne Daho – L’homme qui marche

« Il était trop tôt pour ma défaite (…) Comme le héros d'un livre, Qui ne souffrirait plus du froid, L'homme qui marche devant moi, Est-ce moi ? Comme le héros d'un livre, Qui ne s'ouvrirait plus qu'une fois, L'homme qui marche devant moi, Est-ce toi ? » Ces paroles de

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chanson pourraient être celles des patients que nous avons rencontrés dans le cadre de notre étude. Elles sont aussi mystérieuses qu’ambiguës dans la mesure où nous ne savons pas si l’auteur s’adresse à un autre qu’il aime et poursuit, ou bien à lui, ou plus encore, à cet étranger en lui-même qu’il fuit et ne reconnaît plus. A maints égards, elles nous évoquent les méandres psychiques des patients traités pour un cancer de la prostate. Ces derniers se retrouvent en proie à un dialogue intérieur avec eux-mêmes, les certitudes et repères sur lesquels ils se sont construits, deviennent friables ou précaires ; cependant, ces hommes se sont montrés aussi prêts à tout pour essayer de se sortir de ce qu’ils vivent comme une impasse subjective. En effet, pour survivre psychiquement au diagnostic du cancer de la prostate et à ce qu’il implique en termes de renoncement, il leur a fallu se couper de la partie peut-être la plus humaine d’eux-mêmes : la part affective et passive, profondément pulsionnelle, celle qui

souffre et éprouve, celle qui vibre, désire mais aussi bouleverse et étaie l’individu dans la

mesure où elle le fait se sentir et se ressentir tout à la fois délicieusement et violemment vivant et existant. Aujourd’hui encore, les hommes ne sont censés ni chuter ni se plaindre. Ainsi, pour ne pas s’effondrer, les patients traités pour un cancer de la prostate ont dû se montrer voire parfois se ressentir insensibles, armés d’un cœur de pierre ou de glace (« comme le héros d’un livre qui ne souffrirait plus du froid »). Nous avons retrouvé cette dynamique très phallique/narcissique chez tous nos patients, ceux-ci cachant aux yeux de l’autre ce cœur pleurant de l’intérieur d’une voix sourde et étouffée, se sentant peut être « le

héros d’un livre, qu’{ils} n’ouvriraient plus qu’une fois ».

Par ailleurs, la référence implicite à la sculpture de Giacometti nous a paru poétique et judicieuse dans la mesure où elle représente un homme très grand, nu et fragile comme on peut se sentir face à la maladie, à la silhouette fine et frêle comme un roseau, les bras épousant le mouvement du balancier qu’on devine chez ce marcheur qui ne voudra ni s’arrêter ni s’interrompre. Il continuera coûte que coûte, nous rappelant encore une fois la trajectoire de nos patients, qui n’ont eu de cesse de nous montrer et de clamer à cor et à cri, qu’ils restaient et resteraient debout dans l’épreuve quoi qu’il arrive, comme s’il était déshonorant, honteux ou « dévirilisant » de susciter de la compassion ou de concéder que cette épreuve est difficile. « Même pas mal ! même pas triste ! même pas peur ! », nous ont-ils dit, chacun à leur façon, de manière plus ou moins nuancée. Si l’homme de Giacometti est assurément tendu vers son avenir et peut-être suspendu à la précarité de celui-ci – toutes les interprétations sont possibles –, ses pieds surdimensionnés semblent englués dans la glaise, collés au socle, entravant quelque peu l’idée de cette marche ininterrompue. Nous pourrions également y voir un

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colosse aux pieds d’argile ou la fragilité de l’être humain face à son existence. Quoi qu’il en soit, chez beaucoup de nos patients, nous avons cru retrouver un homme qui marche, assurément debout, regardant au loin pour ne pas s’apitoyer sur son sort, pour ne pas pleurer, ni s’arrêter ou poser un genou à terre. Et pourtant, chez beaucoup d’entre eux, mais dans des modalités singulières qui leur appartiennent à chacun, nous avons aussi cru entendre le désarroi face à la maladie dont parle Virginia Woolf dans De la maladie : « la stupéfaction que nous cause, en cas de santé déclinante, la découverte de contrées jusqu’alors inexplorées, (…) les chênes antiques et inflexibles déracinés en nous sous l’effet d’une indisposition, la façon dont nous sombrons dans l’abîme de la mort et sentons les eaux de l’anéantissement se refermer juste au-dessus de nos têtes. (…) Alors nous cessons d’appartenir à l’armée des gens d’aplomb : nous devenons des déserteurs. Eux marchent au combat. Quant à nous, nous flottons avec les bouts de bois au gré du courant – pêle-mêle avec les feuilles mortes sur la pelouse, irresponsables, indifférents et en mesure, peut-être pour la première fois depuis des années, de regarder autour de nous, de regarder en l’air, de regarder, par exemple, le ciel. (…) Nous sommes condamnés à nous tortiller tout le temps que nous restons accrochés au bout de l’hameçon de la vie » (1930, p. 23, 37 et 43). C’est aussi contre ce désarroi, et face à

une lente dépossession d’eux-mêmes, que luttaient les hommes que nous avons rencontrés. Ils s’efforçaient de se montrer encore debout et de prouver – à nous mais surtout à eux-mêmes – qu’ils n’étaient pas ces déserteurs dont parle Woolf, rappelant encore une fois la chanson de Daho : « il était trop tôt pour ma défaite ! ».

Dans la vie d’un homme, il est des évènements initiatiques qui scandent les étapes et renforcent l’individu. Mais il est aussi des virages difficiles à négocier, où l’on se sent profondément seul car la détresse est non seulement indicible mais aussi interdite. La traversée du cancer de la prostate est de ces virages-là, à mi-chemin entre épreuve traumatique, prise de conscience aiguë, et rendez-vous douloureux avec soi-même à l’heure du vieillissement qui intime à chacun de changer, tout en restant le même et en faisant chaque jour plus de place à l’idée de la mort. Et nous verrons qu’il ne s’agit pas seulement de mort somatique en tant que terme de la vie, mais aussi de mort narcissique ou encore de mort

narcissique virile. En cela, il nous semble que le cancer de la prostate est un rendez-vous

amer et précipité avec soi-même où certains ont pu se demander : « l’homme que j’ai devant

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Étudier la façon dont les hommes vivent et traversent l’épreuve conjointe du vieillissement et du cancer de la prostate s’est avéré audacieux et périlleux dans la mesure où nous avons dû nécessairement nous heurter aux idéaux ambiants ainsi qu’aux cultes du corps, du jeunisme et de la performance, mais également à une forme de tabou touchant tout autant les patients, et d’une autre façon, leurs compagnes, les soignants et mêmes les chercheurs. Aujourd’hui encore, très de peu de recherches en psychanalyse ont été menées sur le sujet alors que le cancer du sein, que l’on peut considérer comme le pendant du cancer de la prostate chez la femme, a déjà fait couler beaucoup d’encre dans la communauté scientifique. Nous ne pouvons que déplorer cette même asymétrie dans les media ; des émissions radiophoniques aux magazines féminins les plus futiles, les campagnes de prévention du cancer du sein sont présentes, explicites voire pressantes et, pour certaines, oppressantes alors que le cancer de la prostate a plutôt mauvaise presse. Ce n’est que très récemment (2013) que le mouvement movember1, qui vise à ce que les hommes se sentent plus concernés par la prévention et cessent de se soustraire au dépistage, a vu le jour. Qu’on se le tienne pour dit : le sujet de ce travail est subversif, à contre-courant des idéaux ambiants et non politiquement correct. Sachant que d’aucuns aiment à confronter sciences dures et sciences molles, on pourra en outre nous opposer qu’il s’agit d’une thèse molle, peu glamour, qui plus est, qualitative et peu performante dans la mesure où elle porte sur un petit échantillon pour lequel nous n’avons pu faire de statistique. De fait, rappelons qu’il s’agit d’une démarche exploratoire, pour laquelle il nous a importé de saisir toute la complexité de la thématique à travers le prisme de la singularité de chaque homme que nous avons rencontré. De la même façon que les individus ne sont pas interchangeables, leurs histoires de vie ne sont en rien superposables et ne sauraient être sacrifiées sur l’autel de la standardisation. Comment pourrions-nous prétendre que celui qui vient d’être licencié, celui qui est marié et à la retraite, celui qui a toujours eu une double vie, ou encore, celui qui vient de divorcer – et la liste est bien évidemment non exhaustive – vivent la même expérience sous prétexte qu’ils ont la même maladie ? De fait, pour chacun de ces patients, l’épreuve du cancer de la prostate a pris des résonnances différentes à la lumière de leur histoire, mettant au travail et à l’épreuve des problématiques particulières, pouvant ou non être réactivées, revisitées voire mêmes réécrites selon la théorie de l’après-coup. Au regard de la complexité des enjeux, et afin de comprendre vraiment ce que ces hommes vivent et éprouvent lors de la traversée conjointe du       

1 À l’image d’octobre rose, mois dédié à la lutte contre le cancer du sein, où les femmes sont invitées à porter un

pin’s rose (à l’image de celui déjà créé en rouge pour la campagne contre le SIDA), ce mouvement invite les hommes à se laisser pousser la moustache pendant le mois de novembre afin de les sensibiliser à la prévention du cancer de la prostate.

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vieillissement et du cancer de la prostate, il nous a ainsi semblé plus scientifique et rigoureux de rester au plus proche de la singularité de chacun que de chercher à en gommer les aspérités pour satisfaire à la loi du plus grand nombre. Sur un plan épistémologique, cela donnera plus de poids aux lignes de force que nous pourrons ou non dégager de notre échantillon.

« Que reste-t-il de leurs amours ? ». Que pourrions-nous entendre derrière ce mot « amours », magique et polymorphe, parfois si galvaudé, et au charme désuet voire littéraire quand il est au pluriel ? Certes, ce terme est aussi vague et imprécis que poétique et impalpable, de surcroît dans un travail académique, mais il est peut-être aussi au plus près de ce que les patients vivent et éprouvent aux entrelacs de l’existentiel, du narcissisme, de l’affectif, voire du passionnel et du pulsionnel. Si la virilité était une destination, nous ne pourrions pas, même à l’issue de ce travail, en dresser la cartographie. Au regard de tous les idéaux qui l’exhibent et la sous-tendent, nous aurions tendance à envisager la ou les virilité(s) comme une asymptote dont les hommes se rapprocheraient ou non par moment et, à l’instar de Bourdieu, comme une injonction aliénante dont il serait difficile se de défaire tout en ayant confiance en ses identifications masculines. Cependant, et c’est là où l’épistémologie blesse, ni la virilité, ni l’identité masculine, ni même le genre ne sont des concepts psychanalytiques ; ces derniers se situent, une fois encore, aux carrefours complexes de plusieurs disciplines mais aussi de différents espaces (ou voix) à l’intérieur de chaque homme, qui dialoguent, se disputent ou se taisent, au croisement du social, du biologique, du psychique et de l’organique mais aussi de l’intrapsychique et de l’interpersonnel. On ne naît pas « homme », on le

devient… et, aurions-nous envie d’ajouter, on tente de le rester. L’aphorisme beauvoirien

rend bien compte, certes, de la complexité des destins identificatoires et subjectifs, mais également de leurs fragilités. Être encore jeune, puissant et viril, telle est la question qui taraude l’homme mûr, angoissé de voir sa sexualité et son corps devenir crépusculaires, et intimement convaincu – fût-ce discutable – que son identité virile en dépend. Le cancer de la prostate, tel un coup d’accélérateur sur une plaque de verglas, vient précipiter dans un réel traumatique un sujet qui trouvera toujours qu’il n’a pas eu assez de temps pour résoudre les énigmes existentielles, si tant est qu’elles puissent l’être un jour. Le temps, la sexualité, l’amour et la mort viennent s’inviter de manière lancinante, violente voire persécutrice et traumatique dans le théâtre psychique – et corporel – du sujet, l’obligeant à reconnaître la tragédie de leur caractère à la fois indépendant et indissociable.

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Ainsi, afin de tenter d’embrasser la complexité du sujet, nous ferons tout d’abord état de l’étendue du traumatisme du cancer de la prostate en tant qu’il est une rencontre du

troisième type entre fantasme (l’angoisse de castration structurante de la traversée du

complexe d’Œdipe) et réalité (ce que les hommes vivent comme une castration réelle et brute). Nous partirons de la réalité médicale pour tirer les fils fantasmatiques de l’angoisse de castration, que nous interrogerons dans sa potentielle valence désorganisatrice mais aussi protectrice du sujet quand elle apparaît comme un rempart contre l’angoisse de mort, ici réactivée par le cancer. Puis, dans un second temps, nous essaierons de voir dans quelle mesure le cancer de la prostate déstabilise non seulement l’économie pulsionnelle, mais aussi, de façon majeure, la pulsatilité de la pulsion sexuelle à plusieurs niveaux, tant dans ses oscillations intrapsychiques, que dans ses ressorts interpersonnels venant rompre son fragile équilibre interne dépendant à la fois du corps, du narcissisme et de l’autre. Nous questionnerons alors une éventuelle mobilisation de la pulsion de mort dans sa valence anarchiste pour lutter ou contenir une pulsion sexuelle trop déstabilisante et proposerons le masculin hypomane. Ce mouvement défensif permettrait au sujet de se défendre contre le mouvement mélancolique (à entendre comme traitement narcissique de la perte) insupportable et serait à comprendre comme un retournement de la passivité en activité contre l’être pénétré (par la maladie, les explorations médicales), l’être traversé (par l’angoisse, le temps qui passe) et l’être excité (par l’autre, son désir). Enfin, nous terminerons par l’analyse des retentissements éventuels sur la virilité et l’identité virile que nous tenterons de circonscrire épistémologiquement en les confrontant à la problématique identificatoire. Nous arriverons ainsi à dégager la notion de virilité performative qui nous aura été précieuse pour analyser les résultats, celle-ci étayant alors le mouvement défensif du masculin hypomane chez les patients.

A l’appui d’entretiens semi-directifs et de méthodes projectives, nous verrons lors de l’analyse des résultats que l’expérience du cancer de la prostate et de ses traitements engage le narcissisme de façon majeure, tant pour ses fragilités articulées de manière traumatique à la problématique identificatoire (hypothèse 1) que pour ses ressources, à l’appui de la pulsion de mort dans sa valence anarchiste (hypothèse 2). Pour tenter de sauver son image d’homme dans le regard de l’autre et tenter d’endiguer la menace de mort narcissique virile – fantasmée

– de l’homme, le sujet va mobiliser un mouvement masculin hypomane où se revendique le

fait de n’être ni touché ni ébranlé par ce qui arrive (hypothèse 3). Nous verrons donc enfin comment les défenses narcissiques soutiennent l’hypomanie pour pallier une décompensation

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dépressive, qui serait peut-être encore pire que tout car « anti-virile », dans le sens où un homme n’est censé ni chuter, ni s’effondrer, ni se plaindre. Pour ces patients, il s’agirait alors coûte que coûte de rester debout, érigés quoi qu’il advienne, s’appuyant ainsi sur la virilité performative. La qualité du transfert et de ce qui est surjoué dans la relation nous a indiqué la nature de la fonction de la virilité (séduction/transmission) perdue ou blessée aux yeux du sujet, cherchant l’étayage du regard de l’autre. Ainsi, l’événement cancer de la prostate nous a amenée à envisager un déplacement des frontières entre le normal et le pathologique, mais également à découvrir un espace transitionnel, voire thérapeutique, dans la clinique de la passation et dans les mouvements transférentiels.

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64 ans, 1 mois, 11 jours, Samedi 21 novembre 1987

En allant chercher les résultats des analyses sanguines prescrites par le docteur P. je me suis avisé que je n’ai jamais parlé ici de la cérémonie particulièrement humiliante que constitue pour moi l’ouverture de l’enveloppe. Un oubli qui en dit long sur la honte où me plonge ce moment de pure terreur. Si ceux qui, dans mes bureaux, me croient le maître de leur carrière pouvaient me voir alors ! Ah ! Il est beau le grand chef impavide, héros de la Résistance, gardien du moral des troupes ! Un marmot penché sur une enveloppe avec au ventre une peur de démineur. C’est une mine antipersonnel qu’il me faut à chaque fois désamorcer. Un jour ou l’autre l’enveloppe me sautera à la figure. Veuillez trouver ci-joint votre condamnation à mort. Car il n’y a pas d’autre ennemi que l’ennemi intérieur. L’enveloppe tranchée, mon œil se porte instantanément sur les deux premières lignes, globules blancs et globules rouges (ouf ! juste moyenne, pas de trace d’infection majeure), puis je saute directement au bas de la dernière page, sur le marqueur de la prostate, autrement dénommé PSA, chiffre fétiche des sexagénaires. 1,64 ! 1,64 quand il était de 0,83 l’année dernière à la même époque. Le double, en somme. Certes très en deçà de la norme supérieure (6,16), mais le double, tout de même ! En un an ! Soit, si la tendance se confirme, 3,28 l’année prochaine, 6,56 l’année suivante, avec, à brève échéance, explosion cancéreuse et projection de métastases jusque dans les replis de mon cerveau ! La bombe est là, bel et bien, invisible et réglée pour sauter à l’heure dite. Et s’il n’y avait que la prostate !

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PARTIE THÉORIQUE 

1. LE CANCER DE LA PROSTATE, RENCONTRE DU TROISIEME TYPE 

ENTRE FANTASME ET REALITE.  

Au carrefour des espaces somato-psychique et psychosexuel, le cancer de la prostate est susceptible de mettre au travail et d’interroger, de manière presque expérimentale, certains concepts clés de la psychanalyse. En effet, la pulsion, les angoisses de mort et de castration mais encore la potentielle fécondité de la bisexualité psychique et les modèles qui tentent d’épuiser notre réalité corporelle et pulsionnelle se retrouvent convoqués et mis à l’épreuve par et dans cette rencontre hors du commun entre réalité interne et réalité externe. Cependant, malgré la centralité du sexuel en psychanalyse, malgré l’essor des recherches dans le domaine de la psychopathologie des expériences du corps et de la psychosomatique, cette clinique reste curieusement encore taboue. Sur les cinq thèses de psychologie traitant de ce sujet, ce qui est peu, aucune n’est adossée à la psychanalyse. Il n’y a donc pas de données qualitatives sur la question. Au regard du nombre très important de recherches conduites sur le cancer du sein, nous ne pouvons que déplorer ce manque et nous interroger sur un éventuel lien avec le phallocentrisme de la métapsychologie.

Derrière une réalité institutionnelle manifeste qui révèle qu’il n’y a pas de psychologue clinicien dans les services d’urologie, il y a un contenu latent qui ne peut qu’être investigué tant il suggère qu’il semble difficile de penser une maladie qui viendrait malmener le centre du référentiel et la théorie sexuelle infantile, partagée par tous, du primat du phallus ? Il va de soi que dans la réalité consciente, cela ne semble pas un argument très recevable, mais J. André nous le rappelle : « Comme pour toute théorie sexuelle infantile, cela n’a guère de sens de la dire vraie ou fausse. Le phallus c’est comme Dieu, il suffit d’y croire pour qu’il existe ! » (2013, p. 31). Mais justement, si tout le monde y croit, le cancer de la prostate vient alors jouer les trouble-fêtes, ce qui le rendrait peut-être par la même occasion tabou. Mais un tabou peut en cacher un autre. Derrière la toute puissance phallique, se cache peut-être une ambivalence face à la dimension œdipienne sous-jacente. Aussi, B. Verdon rappelle l’écueil « de la difficulté de discerner les résistances (interdits) et les fascinations (idéalisations) qui ne manquent pourtant pas de se mobiliser lorsqu’on prête son attention, si ce n’est sa curiosité, à cette question de la sexualité de l’adulte âgé : pouvoir concevoir que le

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désir des adultes qui vieillissent continue de demeurer implique de consentir à ce que celles et ceux qui nous précèdent dans la vie ont un désir qui n’est pas cantonné au fait de nous mettre au monde ; ainsi, il faut pouvoir ne pas être aveuglé par la scène primitive, comme il faut pouvoir consentir à ce que le sexuel ne se réduise pas à la performance ou à la conquête pour entendre les capacités d’invention susceptibles de soutenir l’accès au plaisir » (2015, p. 154-155).

Actuellement, « Touche pas à ma prostate ! », collectif de médecins généralistes, lutte contre la prévention à outrance de cette maladie. Selon celui-ci, on traiterait trop de cancers qui n’auraient jamais fait parler d’eux. Car en effet, il semble intenable pour le patient – mais aussi peut-être pour le clinicien ? – de ne proposer qu’une surveillance active après un diagnostic de cancer. Très rapidement, les patients finissent par céder et demander un traitement. La course au diagnostic semble alors dans certains cas – qu’il est bien difficile de définir précisément et de manière standardisée – davantage servir les intérêts des lobbys pharmaceutiques et de la T2A2 que ceux des patients. Il est alors important – mais difficile au regard de ces enjeux – de savoir raison garder et de ne pas oublier Hippocrate : primum non

nocere. Derrière le cri « touche pas à ma prostate ! » et la revendication de ne pas savoir pour

ne pas être traité parce qu’il n’y aurait en somme pas de problème majeur à prendre en compte, se cachent peut-être l’angoisse de castration, mais également le poids des idéaux de performance et de virilité, avec en miroir, le déshonneur, voire la honte de ne plus être conforme à ces idéaux.

Commençons par présenter l’expérience du cancer de la prostate et de ses traitements dans leur réalité médicale la plus brute pour ensuite aborder la clinique du cancer de la prostate, vectrice de réalités fantasmatiques polymorphes.

1.1. Le cancer de la prostate en tant que réalité médicale brute 

L’itinéraire du diagnostic de cancer de la prostate est long et fastidieux. Sauf cas particuliers de formes familiales génétiques, actuellement, les recommandations nationales invitent les hommes à un dépistage annuel à partir de 55 ans et ce, jusqu’à 75 ans. Hormis cette démarche de prévention – anxiogène et à l’égard de laquelle les hommes sont ambivalents –, c’est une élévation du PSA (prostatic specific antigen), marqueur de la       

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prostate et non du cancer qui pousse le patient à consulter. Devant être inférieur à 4ng/L de sang, le PSA s’élève normalement avec l’âge mais aussi en cas de « souffrance » de l’organe (adénome, prostatite, inflammation ou cancer). En cas d’élévation anormale du marqueur sanguin, le patient va subir un toucher rectal, geste généralement mal accepté puis, si celui-ci s’avère suspect, une IRM de la prostate et enfin, pour confirmer ou infirmer un diagnostic avec certitude, une série de biopsies prostatiques, également mal vécues. En cas de cancer et selon l’âge, les antécédents médicaux et l’avancée de la maladie, plusieurs solutions thérapeutiques sont possibles :

- la radiothérapie (irradiation de l’organe) ;

- l’hormonothérapie au long cours. Il s’agit d’un blocage androgénique total qui revient à une « castration chimique ». C’est un traitement palliatif généralement utilisé en association ou non aux rayons et dans des cancers plus avancés (extension ganglionnaire ou métastatique) ;

- les ultrasons focalisés, traitement proposé quand l’espérance de vie du patient est inférieure à cinq ans ou quand l’état physique du patient ne permet pas des traitements plus efficaces ;

- la Curiethérapie®, implantation de grains radioactifs à l’intérieur de la prostate ;

- pour un cancer très peu avancé, l’inclusion dans le protocole One Shot, il s’agit d’un blocage androgénique temporaire à visée curatrice ;

- et enfin, la prostatectomie radicale (ablation totale de l’organe), solution proposée dans la plupart des cas et qui offre les meilleurs résultats à long terme.

Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent de l’homme, mais son étiopathogénie reste encore inconnue. Outre les perturbateurs endocriniens (viande aux hormones, insecticides…) et le risque génétique, la piste du vieillissement normal est aujourd’hui de plus en plus envisagée3. Alors qu’ils sont globalement efficaces (80% de survie à 5 ans, toutes formes d’agressivité et d’avancement de la maladie confondues, 100% de survie à 5 ans pour la forme la plus commune, c’est-à-dire, un score de Gleason à 6 limité à la prostate) par rapport à d’autres cancers comme celui du poumon (21% de survie à cinq       

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D’après une étude réalisée sur de nombreux patients sans symptôme et avec un PSA normal, 25% des hommes de 60 ans, 33% des hommes de 70 ans, 50% des hommes de 80 ans et 100% des hommes de 90 ans ont un cancer de la prostate. Autant d’arguments en faveur d’un dépistage qui est parfois « trop » préventif et peut-être dans certains cas « inutile » et plus délétère qu’autre chose dans le sens où certains hommes auraient très bien pu vivre avec leur cancer de la prostate et mourir d’autre chose sans avoir à subir le choc du diagnostic de cancer, l’inconfort et l’intrusion des examens proposés, les effets secondaires souvent traumatiques sur l’érection et la continence, ainsi que l’intranquilité qui habite tout homme ayant eu un cancer. 

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ans) ou celui du pancréas (survie à cinq ans inférieure à 5%), les traitements utilisés posent problème dans la mesure où, quelle que soit l’option thérapeutique choisie, ils peuvent rendre le patient impuissant à plus ou moins brève échéance et parfois de façon définitive, venant déstabiliser à la fois sa qualité de vie, mais également, via la remise en question de l’un des piliers de sa virilité, le sentiment subjectif, continu et assuré d’être un homme.

« Il n’est point d’homme qui ne veuille être un despote quand il bande ! » J. André commente cette citation de La philosophie dans le boudoir de Sade ainsi : « La première contribution de la psychanalyse à la compréhension de la domination masculine suit le mouvement de l’érection. L’homme est un homo erectus, le pouvoir appartient à ceux qui se dressent, pas à ceux qui se baissent » (2013, p. 28). Derrière ceux qui se baissent, il est assez aisé d’entendre des résonnances fantasmatiques avec la maladie, la vieillesse, que d’aucuns qualifient de naufrage, l’impuissance, la soumission, l’humiliation et la mort. Même si « se baisser » peut avoir une valence active, de choix assumé ou consenti, on peut également y voir les figures de la passivité, voire de la passivation.

1.2. La clinique du cancer de la prostate, vectrice de réalités 

fantasmatiques polymorphes : castration, narcissisme et 

traumatisme. 

 

1.2.1. Une maladie de l’homme mûr, le désaveu au milieu de l’accomplissement. 

Le cancer de la prostate est une maladie de l’homme mûr qui émerge grosso modo autour de 60 ans, dans le climat de castration narcissique et d’intranquillité d’un vieillissement déjà entamé qui peut faire planer les spectres de la vieillesse et de la mort. En effet, certains évènements de vie objectifs, comme la perspective de la retraite, la naissance des premiers petits-enfants, les prises de conscience aiguës et douloureuses d’un vieillissement corporel inéluctable, sont déjà venus rappeler au sujet qu’il n’était pas immortel.

En outre, prenons en considération le poids environnemental auquel il est difficile de se soustraire. Nous sommes tous inscrits dans une société où les cultes du corps et de la performance font foi et loi. Ces hommes sont donc confrontés à la fois à la tyrannie du bien

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vieillir (M. Billé & D. Martz, 2010), à son injonction paradoxale (« vieillissez bien donc ne

vieillissez pas ! »), au fantasme indicible, impensable et impossible de « mourir en pleine forme » (J.-P. Courtine, 2013, t3, p. 472), voire également, au dogme du mâle infaillible (G.

Falconnet et N. Lefaucheur, 1975). C’est dire combien depuis leur plus tendre enfance, les petits garçons sont bercés par l’idée quelque peu tyrannique et culpabilisante que « pour être

viril, il faut être fort, aimer la bagarre, dédaigner les filles, ne pas pleurer » ce qui, par

déplacement et métonymie, deviendra plus tard, à l’adolescence, « pour être fort il faut

‘‘bander’’ ». Et enfin, si le sexe a été pendant longtemps proscrit, ce qui n’empêchait pas

qu’il suscite force curiosité, voire pouvait le rendre très attrayant, il est aujourd’hui prescrit en des termes sans nuance : « il faut jouir sans entrave » ! Entendons par là qu’il faudrait sans relâche explorer de nouvelles formes de sexualité, sans limites, ce qui implique les pratiques sado-masochistes, échangistes, la consommation voire la création d’images pornographiques « amateurs » appelées aussi « gonzo » et démocratisées par les réseaux sociaux. Le point noir de notre société, celui qui cristallise l’infamie serait la pédophilie, chaque époque ayant ses pervers. Comment le patient pourrait-il ne pas éprouver de la honte quand, sous l’effet d’un diagnostic, il appréhende brutalement que son corps le lâche, il se surprend avec effroi à se dire qu’il a vieilli et qu’il sera bientôt impuissant ? La difficulté étant de bien identifier les différentes figures de l’impuissance qui viennent se rencontrer, se répondre, voire s’exacerber dans la collusion toujours incertaine entre monde interne et monde externe ; impuissance face à une maladie qui – potentiellement – fauche, face aux effets secondaires de traitements qui « castrent », et face aux ravages du temps, à la roue qui tourne dans une logique de renversement des générations.

Il existe par ailleurs une collusion fantasmatique entre le vieillissement possiblement envisagé comme castrateur contre lequel le sujet se débat et la « castration » médicale fantasmatiquement vieillissante, qui, pour le sujet, pourrait confiner à la décrépitude, renvoyant à la dimension non seulement mûre mais blette d’un fruit dont on ne voudrait plus. Ces deux éléments réactivent alors ce que l’on pourrait envisager comme la représentation d’une pénétration du temps et la passivation du sujet face à celle-ci : « si l’être est sentiment d’exister, s’il soutient la logique du propre, il est aussi être en devenir. Être traversé, malgré qu’il en ait, par le temps. L’affection la plus narcissique n’empêche pas le temps de passer, le corps de vieillir, le monde de changer, l’être de se transformer (tout en restant le même être) » (A. Green, 1983, p. 68). Nous pourrions y voir une reprise discrète de l’épreuve de l’adolescence, certes fort différente, mais où il incombe une fois encore au sujet de devoir

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changer tout en restant le même face à des modifications corporelles sur lesquelles il n’a aucune prise, modifications qui, il ne peut l’ignorer, le conduisent vers la mort. Cette mise en lumière d’un vieillissement corporel focalisé sur l’appareil génital vient confirmer et exacerber les angoisses les plus taraudantes de l’homme mûr dont Jacques Rainier, l’anti héros d’Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable de Romain Gary, est une figure exemplaire. La solution fantasmatique et comportementale à ces angoisses, qui est celle du démon de midi ou de la phallus girl, peut connaître deux destins. Si l’on connaît la fin tragique de l’auteur qui s’est suicidé – dans le roman, Jacques Rainier décompense sur un plan psychique –, certains hommes peuvent retourner la maladie en bénéfice secondaire et y voir, toutes proportions gardées, comme un certain soulagement inavoué et sans doute inavouable d’avoir enfin une bonne raison pour ne plus être à la hauteur. Pour certains, le cancer de la prostate pourrait venir les « sauver » de la chute du vieillissement pouvant possiblement restaurer quelque chose de l’ordre du triomphe narcissique. Le patient ne subirait plus son vieillissement constatant amèrement la lente perte de ses capacités érectiles, mais serait celui qui se bat dignement contre le cancer. Déplacement subtil qui aurait aussi pour fonction de se dégager du poids de l’injonction virile, poids que P. Bourdieu souligne avec une grande justesse : « Le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie dans la tension et la contention permanentes, parfois poussées jusqu’à l’absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité. (…) La virilité, entendue comme capacité reproductive, sexuelle et sociale, mais aussi comme aptitude au combat et à l’exercice de la violence (…) est avant tout une charge. (…) Tout concourt ainsi à faire de l’idéal impossible de virilité le principe d’une immense vulnérabilité » (1998, p. 75-76 ; c’est lui qui souligne).

De même, Jean-Pierre Courtine soutient avec force la conviction d’une virilité toujours en crise, de manière presque constitutionnelle, face à la collusion et la confusion inévitable et défensive du temps historique et du temps biologique, face à une injonction de puissance qui n’est là que pour répondre à une hantise de l’impuissance : « C’est cette hantise primordiale (…) nourrie de l’impuissance éprouvée par le sujet mâle à l’origine et au terme de son existence, qui engendre la confusion du temps historique et du temps biologique, encourage la quête d’un âge mûr de la virilité, d’une force de l’âge viril antérieure aux décrépitudes du présent » (op. cit., p. 473). Comment ne pas entendre dans cette double temporalité une tentative malheureuse de résoudre l’équation insoluble entre le temps psychique, habité par un désir toujours vif, intense et insatiable, entre le présent continué qu’est l’infantile, ce temps

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qui ne passe pas (Pontalis, 1997), et le temps linéaire et irréversible qui érode nos corps et nos vies ? En évoquant ironiquement le « sentiment d’un crépuscule du pénis » qui côtoie dans le clivage le plus assumé, « sa célébration quotidienne, obsédante, universelle, à la manière d’un fond dépressif que viendraient conjurer en permanence des rituels maniaques », Courtine brosse le portrait d’un homme au mieux tiraillé, au pire clivé, sommé de jouer le rôle du colosse, mais que trahissent des pieds d’argile fissurés par les énigmes existentielles les plus angoissantes. Celles-ci seraient alors contre-investies dans une reprise psychique et active d’un déni de la mort. « Au fondement même de la domination virile, il pourrait donc bien n’y avoir rien de plus que la crainte ressentie de l’impuissance, qui oriente la psyché masculine vers une triple quête : celle de l’interminable recherche d’une toute puissance supposée perdue ; celle de l’incarnation musculaire ou sexuelle, dans le corps même, de celle-ci ; celle des avatars qui viendront, à défaut, en fournir les simulacres » (ibid., p. 474).

Devant de telles exigences qui frôlent l’inhumain et la toute puissance illusoire, nous pourrions questionner ou au moins évoquer la scandaleuse hypothèse d’une possible somatisation inconsciemment souhaitée pour se déculpabiliser et échapper à la honte anticipée de ne plus pouvoir être viril de son propre fait. Ou encore, pour se dégager de la conquête éprouvante et épuisante d’un Graal de la puissance éternelle et sans faille ; objectif par définition chimérique et inatteignable. Autrement dit, être malade pour échapper à un combat perdu d’avance, sortir du ring avant de succomber aux blessures des idéaux, déplacement tragique d’une passivité face au vieillissement insupportable à assumer, impossible à endosser.

1.2.2. Rester debout pour être un homme jusqu’au bout ! L’investissement phallique  narcissique comme squelette psychique quand « tout fout le camp ». 

Au premier abord, nous avons été personnellement frappée par la massivité de l’investissement phallique sur un versant très narcissique que nous avons pu également articuler à l’accueil contrasté dans le couple de la maladie et des gestes médicaux. Pour simplifier, l’homme complètement sidéré à l’idée de perdre ses érections et relativement serein quant à son pronostic vital, conformément aux dires de l’urologue. Mais son épouse, qui a entendu le même discours, se montre très inquiète pour le devenir de son mari – elle sera généralement prête à tous les renoncements pour le garder auprès d’elle – et paradoxalement

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assez (trop pour le patient ?) tranquille quant à la vie sexuelle du couple. Cette assertion pour le moins subversive peut questionner à plusieurs niveaux : les femmes seraient-elles peu intéressées par la sexualité ou moins que jadis, seraient-elles lasses de la sexualité conjugale ou seraient-elles habitées par la pudeur et inhibées par la crainte de passer pour des « gourmandes » avides de sexe épousant la figure dérangeante de la mante religieuse ? Nous gardant de toute généralisation malvenue, elles peuvent avoir eu à négocier différents remaniements de leurs rapports au plaisir et de leur sexualité à la faveur des évènements de vie (maternité, ménopause…) de telle sorte qu’elles ne soient plus forcément habitées par les mêmes désirs et fantasmes qu’avant. A l’inverse, pour les hommes, la pénétration garderait tout au long de la vie une fonction essentielle de contre-investissement de l’angoisse de castration et de renforcement de la cohésion narcissique – à l’exception peut-être du modèle homosexuel où la pénétration passive peut avoir cette fonction renarcissiante et revirilisante. Les femmes ne seraient dès lors pas tant insensibles et désintéressées de la sexualité que tentées de la revisiter à travers la dimension plus créative, audacieuse, polymorphe et infantile des préliminaires, satisfaisant plus une érotique de caresse et de surface que celle d’une pénétration qui, avec le temps, a pu devenir inconfortable, voire douloureuse, et a pu les mener parfois à des conduites d’évitement (M.-H. Colson, 2007).

Si nous sommes en terrain connu car cela rejoint bien la proposition freudienne d’une angoisse de perte d’amour, plus objectale, qui serait l’apanage des femmes au regard d’une angoisse de castration, plus narcissique et masculine, si l’on peut « ironiser » avec J. André (1995) en disant que les angoisses narcissiques des uns s’accouplent avec celles objectales des autres sur un mode compensatoire qui, au final, arrange tout le monde, et si, bien sûr, au regard du déclin physiologique, le malaise post-ménopausique n’invite plus à la même fougue charnelle qu’à l’été de la vie, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger également quant à la valeur éventuellement protectrice et défensive de l’angoisse de castration comme contre-investissement de l’angoisse de mort. Autrement dit, il serait peut-être plus facile et plus confortable pour ces hommes d’envisager – tout en la refusant – la perte de leurs érections, ou le fait de ne plus avoir d’érection, que la possibilité de mourir du cancer, et donc de ne plus

être. S’opère alors un glissement, sans aucun doute protecteur pour le sujet, entre l’être et

l’avoir qui permettrait d’échapper à la confrontation à l’existentiel.

Il semblerait que ce déplacement de l’angoisse de mort sur l’angoisse de castration soit une tentative pour contenir le traumatisme du cancer de la prostate tout en sachant que la représentation d’une castration réelle induirait une rupture de l’équilibre narcissique sous la

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pression des excitations débordant le Moi, ce dernier se trouvant en état de traumatisme. Comme l’écrit Paul Denis : « au maximum tout échec, vécu comme une perte ou comme une humiliation, constituera une blessure narcissique, une sorte d’état traumatique, qui menace le psychisme dans son unité et ne porte pas seulement sur le jeu des instances comme c’est le cas dans l’angoisse dite ‘‘angoisse de castration’’, qui ne menace pas la cohésion du fonctionnement psychique » (2012, p. 37). Aussi, il nous semble que l’investissement, voire le surinvestissement, de la plainte concernant la castration, à entendre comme une angoisse de castration, pourrait être une tentative de contenir l’angoisse de mort et de remplacer le non connu par le connu, éventuellement structurant, qui ne menacerait pas ou dans une moindre mesure la cohésion du fonctionnement psychique.

Cela fait écho, bien sûr, à l’assertion de Freud (1926) d’une angoisse de mort « qui ne serait qu’un analogon de l’angoisse de castration ». En outre, pour certains auteurs dont il est impossible de ne pas noter qu’ils étaient objectivement plutôt à la fin de leur vie quand ils écrivirent cela (Kaës 2013 ; et David, 2007), l’inconscient n’ignore pas l’existence de la mort même s’il ne voudrait rien en savoir. Christian David remarque avec pertinence que Freud n’a vu « aucune difficulté à maintenir ensemble inconscience de la mort et pulsion de mort ». Même si l’auteur convient que l’une appartient à la métapsychologie et l’autre à l’observation clinique, il n’en reste pas moins que « chaque individu humain se trouve traversé par une vection mortifère – antagoniste de la vection libidinale –, transfixié par la flèche de l’entropie qui est aussi celle du temps. Il y participe de tout son être, qu’il en sache quelque chose ou rien, qu’il en fasse un objet de connaissance ou qu’il demeure immergé dans l’inconnaissance de la nuit ». Ainsi, il s’agit pour lui de « restituer à l’être humain tel qu’il existe dans son unité sa présence à la durée et à la mort » (2007, p. 25). D’aucuns (André, Cournut) diront que nous sommes dans une phénoménologie de l’être et que celle-ci n’est pas l’objet épistémologique de la psychanalyse qui s’attache d’avantage à l’avoir. Pour eux, la seule façon épistémologiquement rigoureuse de circonscrire la mort dans notre référentiel reviendrait à concevoir « la vie » comme un objet total dont on serait privé, condensant d’une certaine façon toutes les relations à nos amant(e)s, nos ami(e)s, nos enfants, nos parents, bref autant d’objets totaux auxquels il faudra un jour renoncer, ce qui nous ramènerait à une angoisse supportée par le pôle féminin : l’angoisse de perte d’amour. Ce que résume très bien Paul Nizan sur le mode de la pensée et symboliquement, sur le mode de l’action, celui du masculin : « la véritable mort est ce qu’elle est, ce que la vie n’est pas, ce qu’est l’état d’un homme quand il ne pense rien, quand il ne se pense pas, quand il ne pense pas que les autres le pensent » (P. Nizan, 1931, 1960 p. 125.). Cela serait transposable dans le champ de l’affect,

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plus passif et féminin : « la véritable mort est l’état d’un homme quand il n’aime rien, quand il ne se ressent pas aimant/désirant/aimé/désiré, quand il ne ressent pas que les autres l’aiment/le désirent ». Dès lors, il nous semble pertinent de ne pas « plaquer » trop facilement une méconnaissance de la mort dans l’inconscient alors que sa représentation pourrait être fortement mobilisée dans le contexte de cancer qui touche nos patients.

Cependant, il convient de poser la question suivante : pourquoi les patients atteints d’un cancer de la prostate semblent avoir beaucoup plus peur de perdre leurs érections que de mourir alors que, à pronostic vital égal (quasiment 100% de survie à 5 ans, pour un score de Gleason à 6, situation la plus fréquente), les patients atteints d’un cancer du rein craignent pour leur vie ? Problématisé différemment, est-ce que, comme le suggère Cournut (2001) en s’appuyant sur Freud, l’homme a davantage peur d’être châtré que blessé, voire tué ? Ou bien, et il se pourrait que ces deux hypothèses ne s’excluent pas au regard de la cohérence anarchique de l’inconscient, est-ce que le fait de se concentrer sur la perte des érections (renoncement d’une partie pour sauver le tout) permettrait un contre-investissement de l’angoisse de mort ? Ainsi, l’angoisse de mort serait peut-être combattue ou contrebalancée par la mise en avant de l’angoisse de castration, à comprendre comme un déplacement ou une fonction écran. Si pour Freud (1926), l’angoisse de mort n’est qu’un analogon de l’angoisse de castration, il faut l’entendre comme une angoisse de perdre la vie, de perdre les gens qu’on aime et qui nous aiment plutôt que comme une angoisse de ne plus être. En effet, la question de l’avoir est beaucoup plus abordable pour le psychisme que les affres de la question ontologique qui nous dépassent et souvent, nous débordent, voire sont irreprésentables. Cela expliquerait en partie la focalisation massive des patients sur leurs érections, angoisse déplacée qui trouve sans doute sa source tant dans les préoccupations liées à la précarité de l’existence que dans celles liées à la sexualité elle-même. A la suite de Freud, J. André soutient d’ailleurs qu’exister, être, est « une abréviation de être aimé » (1999, p. 21). Le cancer de la prostate se situerait alors au carrefour complexe du sexuel et de l’existentiel, nous rappelant qu’il n’est de fait pas aisé de les dissocier. Autrement dit encore, il convient à notre sens, de ne pas sous-estimer l’éventuelle dimension de jeu, au sens winnicottien du terme, entre les deux angoisses où l’une – l’angoisse de castration, connue, douloureuse, mais structurante – pourrait devenir contenante et défensive par rapport à l’autre – l’angoisse de mort et le néant de ne plus pouvoir penser, se penser, penser que les autres nous pensent ou encore ne plus pouvoir aimer, s’aimer ni se représenter que les autres nous aiment, dans une version « psychiquement bisexuelle » de l’appréhension de la mort.

Références

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