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SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS THÉORIQUES DE LA PREMIÈRE PARTIE 

2.  LE CANCER DE LA PROSTATE, RÉVOLUTION DANS L’ÉCONOMIE LIBIDINALE 

2.1.2.  Impasses & échecs

Revenons à la formation du corps érotique afin d’envisager plus avant ses impasses. Comme dit supra, pour J. Laplanche (2007), la rencontre entre la pulsion (corps érotique) et l’instinct (corps biologique) est fortuite, fortement médiatisée par le sexuel dans l’inconscient de l’adulte. Les signifiants énigmatiques de l’adulte vont participer à la genèse du sexuel infantile de l’enfant, et former ses processus primaires. Primaires, ces derniers ne le sont que

secondairement, suite au refoulement. Ils vont constituer une géographie de la subversion libidinale, avec l’établissement de zones plus ou moins bien subverties, voire non subverties

et fragilisées, surtout à la demande/aux réaction/aux attentes de l’autre. Il s’agira des       

4 « Une partie de l’énergie mécanique de l’eau s’écoulant dans une rivière (qui jouera ici le rôle du flux

instinctuel) est dérivée des aubes du moulin. Le mouvement de la roue produit un travail qui peut servir à fabriquer de l’huile à partir des noix ou des olives, ou bien de la farine à partir du blé. Le résultat de ce travail représenterait ici la vie érotique, tandis que le moulin représenterait l’appareil psychique. L’étayage est représenté dans cette métaphore par la roue qui tourne, dérive l’énergie et la subvertit. » (1989. 2009. p. 162)

accidents de la séduction, des éléments non traduits. En effet, débordé par l’excitation de son

propre sexuel, l’adulte, pour éteindre ce feu qu’il sent diabolique en lui ou plus communément un débordement pulsionnel, attaquera verbalement, fantasmatiquement, voire physiquement le corps de l’enfant qu’il croit en être la source et empêchera alors l’activité de liaison herméneutique de celui-ci de se produire. Ces zones attaquées par la violence et la folie de l’adulte seront proscrites de la subversion libidinale, formant alors ce que C. Dejours (2001) appelle l’inconscient amential (inconscient enclavé pour J. Laplanche), sorte de réservoir opaque d’« agénésie pulsionnelle », violence à l’état embryonnaire, prête à se déchaîner si le clivage qui la contient venait à se rompre. Ce sont ces zones non subverties qui handicapent le corps érotique dans son agir expressif adressé à l’autre (cf. maladresse, inhabiletés du corps).

L’instinct & la pulsion.  

Autre élément intéressant, J. Laplanche dégage une différence entre la latence

instinctuelle qui correspondrait à la sexualité au sens populaire du terme (un fœtus a été

bombardé de testostérone, cela s’arrête à la naissance pour reprendre avec la tempête adolescente), et la latence pulsionnelle qui renverrait à la période de latence (fille du refoulement de l’Œdipe et qui, somme toute, est assez relative). Il est paradoxal, mais très intéressant de penser que l’instinct « inné » de l’adolescence, fait d’un génital brûlant, arrive

après l’acquis « pulsionnel » du sexuel infantile. J. Laplanche résume les choses ainsi : « chez

l’homme, le sexuel d’origine intersubjective, donc le pulsionnel, le sexuel acquis vient, chose tout à fait étrange, avant l’inné. La pulsion vient avant l’instinct, le fantasme vient avant la fonction ; et quand l’instinct sexuel arrive, le fauteuil est déjà occupé » (2007, p. 22). Cohabitation hasardeuse, et parfois malheureuse, entre la pulsion et l’instinct, la propriété du légitime (instinct) ayant déjà été « squattée » par le subversif (pulsion) d’une manière qui va en retour modeler les voies d’expression de l’instinct selon la géographie du corps érotique, propre et singulière à chacun. Dis-moi comment tu jouis ou comment tu ne jouis pas, je ne te dirai pas qui tu es, mais te parlerai de cet étranger interne qui t’habite et façonne, sans que tu le saches, tes modes de jouissance.

Expérience particulière donc, que celle à la fois d’être et d’avoir un corps ; expérience qu’il faut tenir dans la durée, véritable épreuve à endurer passivement et qui mobilise, à l’évidence, le masochisme comme gardien de la vie tel que l’a pensé B. Rosenberg (1991). Il nous faut éprouver l’asservissement du corps biologique dont nous héritons avec ses besoins, ses faiblesses et imperfections, son érosion, sa trahison au fil du temps ; éprouver la

domination de l’inconscient, hôte au statut étrange que nous ne connaissons ni ne voyons, mais qui semble avoir la main mise sur ce que nos croyions être notre demeure ; et enfin, éprouver la vie et la résistance du monde grâce et à travers notre corps sur le mode d’un pâtir où la vie se révèle à nous et en nous dans son affectivité absolue. C. Dejours parle de la sensibilité du corps, de son « érogénéité » qui permet dans le même temps de « palper affectivement le monde, de s’éprouver soi-même et de sentir la vie en soi » (2009, p. 93). Bien fou ou naïf celui qui décide d’aimer ! Non, il tombe amoureux car cela s’impose à lui. Il le ressent d’abord dans son corps, dans un trouble qu’il va devoir lier puis traduire en sentiment amoureux. J’éprouve donc je suis : l’affect habite mon corps et par extension mon âme. Un des points particulièrement intéressants de la théorie de C. Dejours consiste à penser que l’âme (Psyché) serait produite par le corps, « résultat d’une transformation de l’excitation venant de l’intérieur du corps par le truchement d’un travail dont la forme typique serait l’élaboration. Ce ne serait pas l’âme qui produirait l’élaboration de l’excitation venant du

corps, mais l’élaboration qui produirait l’âme » (2007 p. 126, souligné par nous). L’auteur va

même plus loin en ajoutant que la pensée est produite par le corps : « le corps, avant même l’inconscient, façonne la pensée, en ceci que c’est (lui) qui éprouve affectivement la vie et que c’est à partir de ce qui est éprouvé affectivement que la pensée est mobilisée » (2009, p. 93).

Il nous semble que les apports de J. McDougall pour penser l’articulation psyché/soma, où l’affect a une place centrale, sont à prendre en considération pour éclairer notre propos. Marqué du sceau de l’importance fondamentale de l’autre au début de sa vie, l’individu serait toujours fragilisé par les deuils et autres épreuves affectives, lui demandant un effort de liaison, de rassemblement et d’étayage de lui-même ; c’est là où l’affect blesse, possiblement jusqu’à la désintrication, voire la décompensation. Pour l’auteur, les phénomènes somatiques sont à rechercher dans un « protosymbolisme archaïque et infraverbal » (1996 p. 155) et viennent témoigner de liens érotiques archaïques surchargés d’affects dans un contact avec une mère qui, souvent, refuse le contact physique tout en se montrant hyperpréoccupée par les douleurs somatiques et le corps biologique de l’enfant, parfois jusqu’à l’intrusion. Les possibles castrations prégénitales ratées qui en découlent prennent possession du corps comme résultante d’un débordement affectif, d’une excitation érotique non contenue par une mère, qui centrée sur le biologique, est demeurée sourde à l’agir expressif et à la demande qui lui étaient adressés. C’est précisément à l’endroit de l’échec d’une castration archaïque que l’on pourra trouver une zone non subvertie/froide/vide dans la cartographie libidinale. Celle-ci sera susceptible de désorganiser le sujet quand il se

trouvera en face d’un autre qui, par sa demande et/ou ses jeux érotiques, viendra réveiller le vide abyssal et terriblement angoissant qui lui est associé.

Effectivement, c’est dans l’épreuve érotique que se mesurent la résistance et l’intégrité du deuxième corps habité par le sexuel infantile. En effet, éprouver l’expérience érotique dans son ambivalence, à la fois génératrice d’une jouissance extatique, et porteuse d’une possible déstabilisation majeure de l’expérience subjective, mobilise et met fortement à l’épreuve les activités de liaison, plus que tout autre engagement du corps. Mais, la géographie érotique de chacun étant singulière, Jacques, par définition, n’a pas les mêmes jeux érotiques qu’Amélie. Certains points de son corps lui déconseillent/interdisent le jeu. Il y a des zones où il ne veut pas aller, celles-ci étant dangereuses pour lui. Synonymes de vide abyssal, voire de mort psychique, elles constituent de véritables portes ouvertes sur son amential : c’est l’expérience de la vie qui s’absente en soi. C. Dejours (2009) utilise d’ailleurs la métaphore de l’alpiniste qui déroche ou qui « perd pied » dans son sens le plus fort. Cela évoque les agonies primitives de D.W. Winnicott, à savoir ces cauchemars éveillés de chute sans fin et sans fond. Deux destins s’avèrent là possibles :

- soit le sujet reprend dans une tentative de liaison la violence de la pulsion de mort générée par l’autre et la sexualise dans un mouvement pervers où il va érotiser la castration de l’autre pour survivre psychiquement,

- soit il frappe cette violence d’inhibition, ou plutôt de répression (Dejours, 2001), la renvoyant à sa source dans l’inconscient amential, ce qui pourra occasionner une somatisation.

J. McDougall considère que les analysants somatisants éprouvent des « sentiments de confusion ou de dépersonnalisation (…) particulièrement lorsque les désirs sexuels, prégénitaux et archaïques sont mobilisés, puisque ces désirs sont infiltrés, d’un côté, de souhaits violents de destruction mutuelle et, de l’autre, d’un désir inconscient d’échanger avec le partenaire des parties ou des substances du corps, voire même de fusionner complètement avec l’autre » (1996 p. 166). Elle ajoute que dans les fantasmes violents érotiques archaïques et prégénitaux, « la représentation des relations sexuelles et amoureuses est l’équivalent de la mort » (ibid. p. 168). Bien que J. McDougall et C. Dejours ne s’inscrivent pas dans la même perspective, il nous semble que la vision économique et traductrice de celui-ci complète bien les apports de celle-là. De fait, si les motions pulsionnelles ne sont pas solipsistes, mais bien dirigées vers un autre (Laplanche, Dejours), en attente d’être reçues par lui, et si possible

comprises et entendues, c’est bien quand elles n’ont pas de réponse et qu’elles génèrent un vide ou un effroi, qu’elles peuvent devenir dangereuses pour le sujet.

2.1.3. Le vieillissement.

Dans ces rapports complexes et fragiles qu’entretiennent psyché et soma dans une entité sans cesse menacée, le vieillissement vient jouer les trouble-fêtes à maints égards. En effet, mettant à mal toutes les fonctions du corps et l’image jeune et belle qu’il n’incarne plus, le vieillissement peut venir perturber la subversion libidinale. En outre, il est commun de constater que, l’âge aidant, les proches se font plus rares, plus distants, comme s’ils fuyaient une finitude s’exprimant jour après jour dans le corps vieillissant du sujet. P.L. Assoun suggère que ce n’est pas la libido qui s’affaisse, ni son investissement qui diminue, mais bien la relation d’objet qui se fait rare. Au point même que, pour lui, seul le vieillard est capable d’envisager la relation comme un objet à part entière. Ne la vivant plus ou si peu, plus ou moins aigri et déçu par ceux qu’il a pu rencontrer, le vieillard se pose la question de la relation. « C’est le vieillard qui semble démontrer, par sa seule existence, le spectacle inquiétant et admirable à la fois d’une libido qui survit à sa jouissance de l’objet et exhibe la possibilité d’une relation. À cela il faut le courage spécifique de la vieillesse. Ce qu’on appelle ‘‘expérience’’ n’est peut-être que l’image d’une libido qui a objectivé son rapport à l’objet comme relation » (1983, p. 175). L’affect serait aussi victime du temps, à distinguer la sensation qui peut demeurer au delà des démantèlements cognitifs que l’on peut retrouver dans la maladie d’Alzheimer. Comme le montrent très bien M. Péruchon et N. Thomé- Renault (1992), la place des affects et des investissements peut décroître, ce qui mettrait le sujet en danger. Ce sont ce qu’elles appellent les « passions », l’entretien d’une « flamme d’amour dans son cœur, ou une certaine passion dans les investissements » (p. 28), qui soutiendraient la pulsion de vie et par là même l’intrication des pulsions. Ce ne serait pas le vieillissement qui effondrerait la libido, mais bien l’effondrement de celle-ci, révélateur d’une dépression larvée, qui exacerberait les effets, notamment corporels, du vieillissement. Autrement dit, le vieillissement n’entraverait pas directement la libido mais agirait sur l’affect, l’existence réelle des autres et le corps biologique, fragilisant de fait l’intrication subtile entre corps biologique et corps érotique.

Faisons un pas de plus en articulant le corps à la question du désir ; désir qui se révèle tout aussi déstabilisateur que structurant.

2.2. Le désir et la pulsion sexuelle. Dans quelle mesure le corps a‐t‐il 

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