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Le primat du phallus et sa théorie sexuelle infantile, organisateur ou désorganisateur psychique ? 

SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS THÉORIQUES DE LA PREMIÈRE PARTIE 

2.  LE CANCER DE LA PROSTATE, RÉVOLUTION DANS L’ÉCONOMIE LIBIDINALE 

2.5.  Que reste‐t‐il de l’organisation pulsionnelle génitale ?

2.5.1.  Le primat du phallus et sa théorie sexuelle infantile, organisateur ou désorganisateur psychique ? 

Avant de s’intéresser à l’organisation pulsionnelle génitale des hommes, revenons sur l’une des théories sexuelles infantiles les plus tenaces qui en est un pilier à la fois très robuste et très fragile, et qui vaut entre autres à la psychanalyse d’être taxée de phallocentrisme : le primat du phallus. Nous allons essayer de voir en quoi la théorie sexuelle infantile du primat du phallus pourrait constituer un point de fixation et un point de fragilité psychique particulièrement malmené, travaillé, voire remis en question et/ou en perspective par le vieillissement et par le cancer de la prostate et ses traitements. Comme nous le rappelle J. André, « le primat du phallus est une théorie sexuelle infantile, le garçon y tient plus que la fille, mais celle-ci n’est pas non plus à l’abri de ses effets. Il s’agit moins d’une théorie de la différence des sexes que la théorisation d’Un sexe qui fait la différence : on l’a ou on ne l’a pas. Comme pour toute théorie sexuelle infantile, cela n’a guère de sens de la dire vraie ou fausse. Le phallus c’est comme Dieu, il suffit d’y croire pour qu’il existe ! » (2013, p. 31).

Nous le savons, si primat du phallus il y a, c’est consécutivement à une castration. En effet, dans les théories sexuelles infantiles, le sexe féminin est obtenu par castration du sexe masculin, autrement dit, « l’autre sexe, le sexe différent est obtenu à partir du même » (Roussillon, 1997, p. 86). Et comme le suggère l’auteur plus loin, « le problème posé par la théorie sexuelle infantile de la castration de la femme est qu’elle maintient active la ‘‘représentation’’ d’un autre sexe par ‘‘castration’’ du sexe masculin ». Le sexe féminin ne serait qu’un sexe phallique qui aurait été châtré, ne serait que « LE » sexe – puisqu’en définitive il n’y en a qu’un – qui aurait quelque chose en « moins », voire qui aurait été meurtri. En d’autres termes, il serait le sexe dans sa version inversée ou négative ou encore dans son absence.

C’est aussi cette vision des choses qui génère effroi et horreur devant le sexe féminin car il est en quelque sorte irreprésentable autrement que dans la négation du déjà connu. Il ne peut exister en tant que tel. Comme le suggère René Roussillon, « là est une source de l’angoisse de castration, paradoxale, celle-ci, dans la mesure où son enjeu est précisément de renoncer à ‘‘l’intérêt’’ de la théorie de la castration pour découvrir quelque chose de pressenti depuis longtemps : le féminin lui-même », ce qui supposerait encore une fois de « quitter la différence issue de l’identique pour rencontrer la différence en elle-même, pour elle-même » (ibid., p. 87). Il pense que le féminin en tant que tel, à savoir la vraie différence, celle qui déborde, celle qui désorganise, celle qui fait courir le risque de la déliaison mais aussi le risque de l’expansion de l’introjection pulsionnelle, est à explorer dans les deux sexes. Alors que J. Cournut (2001) pointe la difficulté des hommes qui auraient tendance à rester prisonniers de l’équivalence « châtré = féminin », alors que les femmes, elles, sauraient faire la différence, R. Roussillon se rapprocherait plus des conclusions de J. Schaeffer sur le refus du féminin dans les deux sexes (1997).

Quoi qu’il en soit, le pas est alors vite franchi. En effet, les traitements castrateurs du cancer de la prostate feraient aussi courir au patient le risque psychique de se considérer comme « femme » dans le latent, comme entaché, « sali » ou plutôt, comme déshonoré par le féminin. Cela serait alors vécu comme une punition dégradante à laquelle le patient aurait réussi à échapper jusque-là, avec, comme nous pouvons le souligner, une régression de la thématique phallique/châtré à la thématique anale, tellement le châtré semble impossible, impensable voire « impansable ». Bien évidemment, au niveau de la réalité externe et matérielle du corps marqué par la différence des sexes, c’est une hérésie. Mais il nous semble important de ne pas sous-estimer l’impact de la théorie sexuelle infantile du primat du phallus et de l’envisager même comme un pseudo-organisateur psychique, car même s’il n’est plus nécessaire de démontrer le caractère incontournable de la problématique de castration, il convient de ne pas ignorer son potentiel désorganisateur, notamment de par les multiples résonnances qu’elle occasionne.

Bien qu’il convienne de ne pas confondre les niveaux intrapsychique et social, nous ne pouvons ignorer qu’ils s’entrecroisent, s’interpénètrent et s’influencent. La problématique de la castration, nodale, fondamentale et structurante, anhistorique et intemporelle dans le psychisme car appartenant au temps de l’Infantile, vient rencontrer une société hyperphallique, narcissique, chevillée au corps par les cultes de la jeunesse et de la performance. Dès lors, comme nous l’avons déjà mentionné dans la première partie de ce

travail, ce qui fait la force de l’homme serait aussi sa plus grande fragilité ; l’exhibition de la puissance porte en elle la hantise de la défaite et de son impuissance. C’est là où le poids des injonctions de la société, venant caricaturer le primat du phallus en faisant de ce qui est latent un credo, voire une des injonctions sociales les plus manifestes, fragiliserait la problématique intrapsychique. Cela pourrait aussi expliquer le recours à une dynamique narcissique qui surinvestirait les limites entre une réalité interne marquée par l’organisateur de la castration et une réalité externe porteuse de désorganisation. Cela pourrait être une autre lecture de la rencontre entre l’événement cancer de la prostate et « l’homo psychanalyticus » (expression empruntée à C. Chiland, 1990), avec une exacerbation aiguë et douloureuse de la problématique de castration.

Nonobstant, dans ce cocktail détonant – bien que structurant et fondamental dans l’organisation des pulsions prégénitales sous le primat du phallique narcissique –, le primat du phallus pourrait également être envisagé comme un « désorganisateur psychique », comme si la théorie sexuelle infantile n’avait pas perdu de son actualité. En effet, certains patients expriment bien qu’ils ne se sentent plus (vraiment) des hommes.

Mais qu’en est-il de l’organisation pulsionnelle ? Avant de voir en quoi le cancer de la prostate et ses traitements pourraient déstabiliser ou non l’organisation pulsionnelle génitale, il convient de revenir aux débuts de l’histoire et à l’unification des pulsions sous ce qu’on appelle communément le « primat du génital ».

2.5.2. Du primat du phallique narcissique au primat du génital, la rencontre de la 

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