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SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ET RÉFLEXIONS THÉORIQUES DE LA DEUXIÈME PARTIE

3.  À LA RECHERCHE DE LA VIRILITÉ PERDUE

3.4.  Les tabous de la castration : féminin et infertilité 

3.4.1. La castration blanche de l’infertilité.    

Faisons tout d’abord état du même constat que pour le cancer : une dissymétrie flagrante entre les hommes et les femmes qui reflèterait presque un phallocentrisme inversé, ou peut-être une contre-investissement massif, une formation réactionnelle du phallocentrisme. De la même façon qu’il y a très peu de recherches sur le cancer de la prostate alors que le cancer du sein a mobilisé et continue de mobiliser de nombreux travaux universitaires en maintes disciplines, il y a très peu de recherches sur la paternité et le clivage masculin/paternel comparé aux abondants travaux sur le féminin et le maternel.

Alors que le livre de J. André est très complet dans son exploration de la sexualité masculine, alors qu’il soutient avec force et conviction que « ce que la sexualité masculine a perdu en triomphe (avec ou sans gloire), elle l’a gagné en incertitude et en questions… [et qu’] elle est, de ce fait (re)devenue intéressante » (2013, p. 4), il n’a pas échappé à ce constat qu’il illustre également. En effet, sur tous les chapitres, seules deux pages concernent la paternité, et seulement sur le versant de la transmission de la virilité dans le face à face père/fils. Est-ce à dire que la paternité serait taboue, inintéressante, sans histoire ? Est-ce à dire que la paternité ne souffrirait pas de particularité et adviendrait sans faille, sans fracture ni élaboration psychique particulière à la masculinité ? Ou est-ce à dire qu’il y aurait dans la paternité et dans la parentalité quelque chose de débordant et d’affectif, plus spécifiquement féminin, et qui viendrait, comme un roc, se dérober entre autres à l’exploration psychique ?

Si P. Bourdieu (1998) avance que la domination masculine vient du fait que, fondamentalement, l’homme ne porte pas l’enfant et a toujours un doute sur sa paternité, on peut aussi y voir une faille, ou en tout cas un point d’appel plus sensible à l’angoisse de castration. Le livre d’Elisabeth Badinter (1986) sur l’exploration de ce qu’elle appelle « l’identité masculine », retrace bien les différentes injonctions sociétales qui ont contribué à façonner la géographie du paysage social masculin. L’auteur a de surcroît le mérite de s’attacher à la paternité, aux différents pères, à la réconciliation de « l’homme mou » et de « l’homme dur » dans la figure du père comme un aboutissement. Selon nous, au-delà de ses conclusions qui, comme le reste du livre, sont plus descriptives d’une réalité sociale qu’analytiques d’une réalité intrapsychique, elle a le mérite de s’intéresser à ce qui s’avère être une expérience, certes, banale et commune, mais ô combien bouleversante pour le psychisme et peut-être parce qu’elle entre en conflit direct avec la virilité. Et c’est peut-être aussi cela qui expliquerait – en partie – que le clivage entre courant tendre et courant sensuel se retrouve préférentiellement chez les hommes. Pour exister, la virilité ne doit-elle pas, autant que faire se peut, être œdipienne ?

Rappelons la castration rouge de l’avènement des règles pour les femmes, qui signe (ou saigne) l’entrée dans l’adolescence, temps de féminité/fertilité ponctué par la castration blanche de la ménopause. Quand il est traité par une ablation chirurgicale, le cancer de la prostate équivaudrait, non seulement à une castration brute cauchemardesque réalisant l’angoisse qui par ailleurs a pu être si structurante, mais aussi à la castration blanche de l’infertilité liée à un vieillissement pathologique : le patient n’aura plus de sperme ni

d’éjaculation et ne pourra donc plus procréer. Bien évidemment, ces hommes, déjà à l’automne de leur vie, souvent déjà grands-pères, sont rarement pris dans un désir de paternité. Cependant, il nous semble que nous devons être sensible à ce qui nous apparaît comme une possible autre figure de la faucheuse – celle-ci pouvant être déplacée sur l’angoisse de castration – celle d’impossible perpétuation de soi. Certes, nous pourrions retrouver la différence entre sexualités narcissique et objectale : se perpétuer physiquement en faisant un enfant ou se proposer comme modèle éducatif et identificatoire de second plan pour les enfants de ses propres enfants. Mais, encore une fois, s’il est possible de distinguer les deux sur un plan théorique, la réalité psychique, entremêlée, entrelacée, ambivalente, est bien plus complexe.

Ainsi, bien qu’en arrière-plan de la plainte du patient, celle-ci étant même souvent tue et passée sous silence14, l’infertilité ne serait pas absente du théâtre fantasmatique des patients. L’infertilité ne se voit pas, ne se devine pas, mais implique notamment de renoncer à donner la vie et à la croyance, toute puissante, un peu folle, d’immortalité qui habite avec ténacité l’inconscient. Effectivement, il s’agit bien d’une mort dans la vie ou d’une mort dans la capacité à la transmettre, et, comme nous le disions supra, d’une mort dans la capacité à transmettre la virilité. Fantasmatiquement, pour le sujet, ne plus pouvoir engendrer reviendrait peut-être à un équivalent de ménopause, mais plus traumatique dans le sens où les femmes savent dès leur naissance qu’elles pourront être mères et un jour brutalement ne plus l’être. A ne pas s’y tromper, un tabou peut en cacher un autre. Et l’angoisse de castration peut également avoir une valeur de contre-investissement de l’angoisse de mort, mais également de son ersatz déplacé : l’angoisse d’être infertile. (cf. supra, p 86). Pourrait-on imaginer que, confronté à un masculin douloureux et décevant, le sujet s’appuie sur le pôle plus féminin de sa personnalité tant dans les identifications que dans le traitement du pulsionnel ?

3.4.2. Le comble du cancer de la prostate : une mobilisation du féminin 

Si, dans le manifeste, comme cela nous est tout de suite apparu dans nos premiers questionnements, le cancer de la prostate et ses traitements bousculent le masculin, dans le

latent, ils mobiliseraient et, selon nous assez fortement, le féminin. En effet, il semble bien

que dans l’épreuve des traitements médicaux, le sujet soit mis en demeure de « lâcher prise »,       

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dans une position de passivation qu’il avait pu fantasmer avec angoisse ou excitation, mais qui vient désormais le prendre dans la réalité. Outre la passivation homosexuelle, généralement angoissante pour les sujets et réveillée par les explorations médicales, la situation exacerbe une angoisse qui, elle-même, est passivante dans une circularité infernale. Féminin aussi, le lâcher prise quant au cortège de représentations phalliques que le sujet incarne plus difficilement. Il semblerait que le refuge puisse être l’ouverture au courant tendre, à la tendresse envers soi-même et envers l’autre, ce qui nous placerait également du côté du féminin. De fait, il nous semble que les traitements pourraient réactiver l’élaboration du deuxième temps de la constitution de la masculinité (cf. supra : incorporation du pénis paternel pour sa puissance, à dominante réceptrice/féminine) afin de pallier l’impuissance iatrogène, forme de dépossession d’un des socles de l’identité masculine. L’atteinte de la fertilité pouvant également fragiliser l’identification au père et ses promesses, le troisième temps de la masculinité (identificatoire) pourrait être douloureusement réactivé, ce qui pourrait occasionner temporairement une réélaboration « régressive » de la phase précédente féminine et, là encore, orienter transitoirement vers le pôle féminin comme refuge

identificatoire.

Les gestes médicaux pourraient par ailleurs mobiliser le féminin comme traitement du pulsionnel, dans la mesure où il permet de rencontrer, et surtout d’accueillir, à la fois l’effracteur et le nourricier, composantes inévitables des interventions médicales. Provoquant une impuissance « de vie », ces dernières pourraient aussi être investies comme pouvant permettre la guérison, à savoir jouir à nouveau de la vie, quitte à ne plus pouvoir la donner, voire plus tard recouvrer une sexualité agie quitte à la réaménager. Ainsi, nous pourrions éventuellement envisager les traitements comme une effraction nourricière au sens de Schaeffer (1997), venant mobiliser le féminin, qui pourrait, toutes proportions gardées, aller jusqu’à contacter le masochisme érotique de vie (ce qui est sans doute inconscient pour le sujet). Le patient serait-il capable d’investir voire d’érotiser un geste médical, certes, intrusif mais plein de promesses ? Dans cette épreuve, conformément à la dialectique évoquée plus haut, cette mobilisation du féminin nous orienterait peut-être vers l’idée d’un masculin temporairement en latence, comme « dormant » pulsionnellement, devant être partiellement désinvesti dans un but de lâcher prise et d’élaboration psychique concentrée sur le féminin.

Alors qu’une élaboration psychique du pôle féminin accompagnée d’un renoncement pourraient être théoriquement de bon aloi et moins coûteux dans l’absolu, nous devons

également bien prendre en considération le contexte de castration polymorphe antinomique avec l’identité masculine, tout ceci dans un contexte de détresse interdite car taboue :

- castration charnelle de l’impuissance iatrogène qui touche la virilité dans son exercice sexuel, dans sa puissance,

- castration blanche et fantasmatiquement féminine de l’infertilité qui touche la virilité dans son exercice de transmission, dans sa capacité d’engendrement,

- castration de la mort qui devient de plus en plus réelle et marquée sur le corps à l’épreuve du temps et de la maladie.

Si la stabilisation de l’identité dans le temps à travers une formation de compromis singularisée qui intègrerait les différents déterminismes qui la déstabilisent en permanence est un enjeu pour la santé mentale, si nous admettons que l’identité masculine est fortement déstabilisée à plusieurs niveaux par le cancer de la prostate, il ne serait pas étonnant que les hommes s’arc-boutent sur le seul pilier de leur identité qui n’est pas touché par la maladie : la stratégie de défense du déni du réel et de la souffrance qu’inflige ce dernier (cf. développements supra). Reconnaître la souffrance, reconnaître la difficulté, poser un genou à terre, admettre que cela fait mal seraient alors vécus comme un auto-désaveu, une auto- castration supplémentaire. Peut-être celle de trop. Celle qui ferait imploser une identité masculine qui tente, tant bien que mal, de se durcir pour tenir. Il convient donc d’envisager le mécanisme de défense de déni du réel et de la souffrance qu’il inflige, non pas comme quelque chose de pathologique, mais plutôt comme ce qui permettrait au sujet de rester viril socialement dans le regard de l’autre et aussi in fine pour soi. La situation traumatique de la maladie inviterait à l’élaboration du pôle féminin, à travers un mouvement dépressif qui pourrait être de bon aloi. Mais la situation singulière du cancer de la prostate malmenant avec force l’identité masculine et virile à plusieurs niveaux, mobiliserait un contre-investissement massif du pôle féminin à travers le surinvestissement du mécanisme de défense viril du déni du réel et de la souffrance qu’il inflige, même si cela apparaît au premier abord comme extrêmement coûteux psychiquement.

Par ailleurs, victimes du malentendu tenace et infantile entre castration et féminin (Chabert, 2003, Cournut, 2001), les hommes atteints d’un cancer de la prostate auraient aussi à combattre la réactivation de l’identification narcissique à la femme passivée, identification à laquelle le petit garçon avait dû renoncer au moment de l’Œdipe. Si être castré c’est être une fille, se laisser faire et renoncer pourrait, dans le latent, menacer l’identité virile d’implosion.

3.5. Du glissement de l’identification narcissique salvatrice à 

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