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Faute de bénéficier d’un cadre d’intervention institutionnalisé, j’ai multiplié les canaux de rencontres : rencontres programmées dans un cadre institutionnel que j’appellerai « entretiens “sur commande” », rencontres sollicitées auprès de dirigeants sur recommandation d’un tiers ou encore série d’entretiens individuels et collectifs

167 menés dans le cadre d’une mission d’accompagnement auprès de la direction d’une entreprise familiale.

Des entretiens individuels « sur commande »

- Entretiens pour la rédaction de « mini-cas » de stratégie d’entreprise

Un organisme de formation1 m’a contactée et m’a proposé de rencontrer des dirigeants propriétaires. Dans le cadre de la formation que ces dirigeants suivaient, chacun était tenu de présenter son parcours, son entreprise, la stratégie poursuivie dans le passé, les difficultés rencontrées et les questions qu’il ou elle se posait. Ces points devaient ensuite faire l’objet d’une discussion lors d’une session animée par un professeur de stratégie. J’étais chargée de rédiger leur texte de présentation qui devait être ensuite distribué aux autres participants du séminaire afin qu’ils puissent mieux préparer leur écoute et leurs propres interventions.

Compte tenu de l’objectif et du contenu prévisible des entretiens individuels que l’on me demandait de conduire avec ces dirigeants et ces dirigeantes, je n’avais pas prévu, à l’origine, de tenir compte de ces entretiens dans le présent travail de recherche. Par la suite, la présentation que m’ont réservée les dirigeants rencontrés m’a confortée dans cette décision. En effet, leur exposé répondait à l’objectif de l’organisme de formation et non à ceux de cette recherche. Il restait donc toujours « adressé » à la rédactrice de cas de stratégie que j’étais. Ces dirigeants s’étaient inscrits à ce séminaire pour progresser et pour résoudre une question de stratégie. Ils me la soumettaient donc sans jamais dévier du script de l’entretien initialement prévu. Les présentations restaient formelles, le plus souvent froides et assurées. A l’exception de quelques remarques sur la politique gouvernementale du moment (retrouvées, plus tard, chez d’autres dirigeants rencontrés2 et peut-être encouragées par mon écoute qu’ils interprétaient comme étant favorable à leurs idées3), le contenu des échanges était uniquement factuel : ils me transmettaient des données chiffrées et détaillaient leurs choix stratégiques. Ainsi, bien que nourrie des résultats de ces rencontres, je ne les ai pas rapportés dans ce travail.

En revanche, à l’inverse de leurs pairs, la présentation des dirigeantes que j’ai rencontrées dans ce même contexte dépassait très souvent et très largement le cadre prévu : références nombreuses et longues à leur vie personnelle, évocation de leurs relations à leurs salariés, questionnements, doutes étaient largement abordés alors même que les questions de stratégie (celles-là mêmes que l’organisme de formation me demandait de retranscrire) étaient repoussées et rapportées plus marginalement.

Ce contraste des registres de présentation des dirigeants et des dirigeantes m’a interpellée. Par la suite, faute d’avoir pu organiser des entretiens de recherche avec d’autres dirigeantes, j’ai choisi d’inclure les entretiens conduits avec Madame V., Madame de V. et Madame de L.4 dans la présente recherche. J’ai retenu leurs cas en raison de ce que je percevais comme différences manifestes entre leur « présentation de soi » et celles de leurs pairs masculins.

1

Il s’agit du Groupe HEC, département : « Family Business ». 2

Voir infra, Quatrième Partie, II.C.3), p.200. 3

Voir infra, Cinquième Partie, I.A.2), p.234. 4

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- Entretiens pour la rédaction de descriptifs destinés à une remise du prix du meilleur entrepreneur de sa catégorie

Le même organisme de formation organise une remise de prix, appelée « Trophée de l’Entrepreneuriat », en partenariat avec une banque d’affaires. L’objectif de cette manifestation est de mettre en avant la qualité de l’enseignement prodigué par l’organisme de formation et celle des prestations de la banque sponsorisant l’événement. Destinée aux entreprises dont l’actionnariat est resté majoritairement familial, elle invite les dirigeants de ces entreprises à participer à une soirée dans un cadre prestigieux en province, pour assister - entre autres - à la remise de ce Trophée récompensant les meilleurs entrepreneurs dans chacune des catégories suivantes : stratégie, innovation et gouvernance familiale.

Pour chaque entreprise familiale nominée dans la catégorie « gouvernance familiale », j’étais chargée d’interviewer le dirigeant, de comprendre les principes de gouvernance qui régissent son entreprise et de les rapporter dans un document. Ce document devait ensuite être transmis à un jury chargé de délibérer et d’arbitrer entre les différentes entreprises concourant pour cette même récompense. Compte tenu du cadre de cette opération, il paraissait évident que mes interlocuteurs ne manqueraient pas d’exposer de la manière la plus favorable possible le fonctionnement de la gouvernance de leur entreprise. C’est pourquoi, dans ce contexte-ci comme dans le précédent, en raison de l’objectif et du contenu de ces entretiens individuels, je n’avais pas non plus prévu, à l’origine, de les inclure dans le présent travail.

Je me suis ensuite ravisée. En effet, même si Monsieur F. et Monsieur L., que j’ai d’abord contactés par téléphone, tenaient à marquer leur distance avec ce Trophée qu’ils appelaient, l’un, « la médaille en chocolat »1, l’autre, « le poireau doré »2

, tous deux paraissaient ravis d’être nominés. Ils manifestaient beaucoup d’intérêt pour cette occasion qui leur était donnée de se faire connaître et de faire connaître leur entreprise, comme de faire vivre leur réseau de connaissances dans leur communauté professionnelle. Or, à l’occasion de la remise du Trophée, c’était bien de cela qu’il s’agissait : se faire connaître, se mettre en valeur et avoir l’occasion d’être mis en valeur, recevoir les honneurs de la communauté scientifique et professionnelle (banquiers, notaires, conseillers fiscaux et conseillers patrimoniaux, autres chefs d’entreprises, etc.). Faisant l’hypothèse que ces entretiens préparatoires faisaient donc partie de ce que ces dirigeants devaient faire pour faire connaître leur entreprise, pour faire connaître leur stratégie, faire savoir leur réussite et se faire reconnaître et, malgré le risque de me voir opposer, plus que jamais, une parole stratégique, j’ai finalement choisi de retenir les entretiens menés dans ce cadre. Ces entretiens se présentaient à moi comme une occasion supplémentaire d’accéder, sinon au travail vécu de ces dirigeants, du moins à leur « présentation de soi ».

Des entretiens individuels de recherche

Ayant compris qu’obtenir des entretiens auprès de dirigeants pouvait s’avérer difficile, j’ai souhaité profiter de ces entretiens « sur commande » avec Mesdames V., de V. et de L. et avec Messieurs F. et L. pour proposer un second entretien. Ainsi,

1

Voir ANNEXE 3, Monsieur F., lignes 15 à 16, lignes 315 à 317, lignes 322 à 325 et lignes 351 à 352. 2

169 lorsque je me présentais à eux, comme d’ailleurs à tous les autres dirigeants rencontrés dans ce contexte, je disais toujours quelques mots de mes projets et de mon statut de doctorante en psychologie du travail. J’y revenais en toute fin d’entretien. En effet, toujours habitée par l’idée répandue que les dirigeants se dérobent à cet exercice, il me semblait que je devais d’abord m’assurer que la conduite du premier entretien les avait séduits pour espérer qu’ils acceptent, sans réticence, l’idée de me rencontrer de nouveau. Messieurs L. et F. sont les seuls dirigeants à en avoir accepté le principe. Monsieur L. m’accordera un entretien supplémentaire et Monsieur F., quatre1

.

Ma participation au colloque2 qui précédait la remise des Trophées de l’Entrepreneuriat familial m’a également permis de prendre contact avec un autre dirigeant qui a accepté de me rencontrer dans le cadre de cette recherche : il s’agit de Monsieur T.3.

J’ai obtenu les coordonnées de Monsieur B. et de Monsieur P. par un ami qui les côtoie au sein de l’association « Croissance Plus »4. J’avais envoyé un courrier

électronique à cet ami pour lui expliquer ma démarche et les raisons pour lesquelles je souhaitais rencontrer des dirigeants. Il a ensuite composé un nouveau courrier qu’il a adressé à Monsieur B. et à Monsieur P. ainsi qu’à deux autres dirigeants qui n’y ont pas donné suite. A la lecture de leurs échanges, j’ai compris que ces dirigeants avaient accepté le principe de l’entretien pour rendre service à leur ami, en échange de services passés ou à venir. J’ai retenu leurs cas car ils ont largement répondu aux attentes que je pouvais nourrir pour cette forme d’entretien unique5

.

Enfin, j’ai fait la connaissance de Monsieur H. dans le cadre d’une manifestation des « Matins HEC »6. En choisissant de participer régulièrement à cette manifestation, je poursuivais deux objectifs. Le premier consistait à écouter et à voir des dirigeants en exercice répondre, en public, aux questions d’un journaliste et à celles de leurs pairs, à les entendre réagir sur l’actualité économique avant de présenter la situation du Groupe qu’ils dirigent et son avenir. On se souvient, en effet, que la revue de la littérature sur l’activité des dirigeants m’avait conduite à faire l’hypothèse que cet exercice faisait partie de leur travail et il me paraissait donc intéressant de les voir « au travail ». Le second objectif était d’essayer de lier connaissance avec d’autres participants pour tenter d’obtenir un rendez-vous pour un entretien de recherche. De tous les contacts noués, seul Monsieur H.7 souscrira à ma demande, allant même jusqu’à me devancer. En effet, il demandera immédiatement à être mon « cobaye », m’accordera assez vite deux entretiens et me recommandera, ensuite, auprès de deux autres dirigeants qu’il me présentera comme ses amis : Monsieur E. et Monsieur C.8. Puis, après environ trois ans sans me donner de nouvelles, Monsieur H. me contactera de nouveau. Il m’expliquera

1

Les comptes-rendus des entretiens menés avec Messieurs F. et L. figurent dans l’ANNEXE 3. 2

Les « 1ères Journée Georges Doriot », 21 et 22 mars 2006, à Deauville. 3

Le compte-rendu des entretiens menés avec Monsieur T. figure dans l’ANNEXE 7. 4

Cette association professionnelle d’entrepreneurs fédère les dirigeants d’entreprise en forte croissance et leurs partenaires (banques, cabinets d’avocats, de conseil, d’audit, de recrutement, de capital-risque, business angels, etc.).

5

Les comptes-rendus des entretiens menés avec Messieurs B. et P. figurent dans l’ANNEXE 4. 6

Voir supra, Troisième Partie, III.C.2), note de bas de page 1, p.156. 7

Le compte-rendu des entretiens menés avec Monsieur H. figure dans l’ANNEXE 5. 8

170 les raisons de son silence lors d’un déjeuner dont j’ai choisi de retranscrire les éléments comme ceux d’un troisième entretien.

Des entretiens individuels et collectifs dans le cadre d’une intervention comme conseil de direction

En marge de cette recherche, j’ai été sollicitée par une famille de dirigeants (le père, Monsieur Bourgon et ses trois fils, Jacques, Germain et Nathan) pour conduire auprès d’eux une mission de conseil et d’accompagnement1.

Il est bien entendu que les très nombreux entretiens individuels et collectifs organisés dans le cadre de cette intervention2 ne l’ont pas été dans un but de recherche. Ils l’ont été en fonction d’objectifs définis dans le cadre d’un contrat commercial. Et, si le matériel accumulé pendant ces quelques années d’intervention peut constituer un apport précieux et riche d’enseignements pour toute recherche de gestion portant sur les processus de succession et de transmission d’entreprises patrimoniales, sa contribution à la présente recherche est, en revanche, plus discutable. En effet, compte tenu de la nature de la demande exprimée comme des contours et de l’objet de cette mission, les rapports d’entretien sont souvent bien éloignés des questions portant sur le travail du dirigeant ou sur son rapport subjectif au travail qu’il doit accomplir. Pourtant, ces entretiens se sont aussi révélés d’une très grande richesse en regard des questions posées ici. Monsieur Bourgon a révélé, au fil des entretiens, sa vision du travail du dirigeant, fondée sur une expérience de plus de trente ans. A contrario, ses fils, aspirants au poste sans toujours montrer les capacités attendues, m’ont révélé, par leurs interrogations et par leurs préoccupations, l’étendue du travail à accomplir pour qui souhaite apprendre à exercer ce métier. Plus ils tardaient à prendre leur nouvelle fonction et plus leur difficulté à succéder à leur père devenait manifeste, plus le travail prescrit qu’ils me décrivaient et le « réel » du travail qu’ils évoquaient prenait, à mes yeux, la couleur exacte de ce en quoi ne consiste pas le travail du dirigeant. C’est pourquoi j’ai choisi d’inclure certains éléments issus de mes entretiens de travail avec eux lorsqu’ils me semblaient propres à étayer l’argumentation de la présente recherche3

.

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