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Dirigeantes enthousiastes, dirigeant passionné et dirigeants au « corps

Dans cette palette de personnages, nous trouverons aussi bien des dirigeantes pimpantes et enthousiastes, aimant leur produit et se ressourçant manifestement à son contact que des dirigeants fatigués, prématurément vieillis dont l’un se dit « carbonisé »2 puis « vidé »3 tandis que l’autre avoue être constamment « collé au

plafond »4.

Madame de L. : l’enthousiasme et la fraîcheur

Madame de L. est gaie, lumineuse. Ses yeux pétillent. Maquillée avec soin, les cheveux blonds attachés, seule sa blouse blanche rappelle qu’elle travaille dans un milieu industriel où l’hygiène est une priorité. Elle m’accueille très chaleureusement. Sa poignée de main est ferme. Son regard est franc. Son allure générale contraste résolument avec les lieux moins accueillants, situés en bordure d’une friche industrielle, le long d’une voie ferrée. Elle sourit, parle simplement, se lève et va très vite chercher des exemples de produits qu’elle me décrit avec enthousiasme. Elle me les fait toucher et veut connaître mes réactions. Chaque produit est « son » produit. Elle a un rapport très tactile avec eux… comme d’ailleurs avec ses employés. En effet, quand elle m’invite à faire le tour des ateliers de production, je la vois serrer des mains et entourer les épaules d’une contrôleuse qualité. Tous sourient et elle aussi. Lors du déjeuner qui suit, elle m’explique le contenu de ce qu’elle appelle son « boulot », de manière très vivante et concrète et résume son travail comme un travail de créatif. Seules ombres au

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Voir ANNEXE 3, Monsieur F., lignes 1105 à 1120. 2

Voir ANNEXE 5, ligne 318. 3

Voir ANNEXE 5, ligne 730. 4

179 tableau : son choix anti-économique de ne pas délocaliser la production pour préserver l’emploi local et ses relations tendues avec son frère. Mais, en dépit des soucis industriels, juridiques et stratégiques qu’elle évoque, elle semble sincèrement beaucoup s’amuser et se ressourcer au travail.

Madame de V. : la première dirigeante de la famille

Madame de V. a environ trente-cinq ans. Elle est grande, blonde, jolie et habillée à la mode. Je note qu’en dépit de son entrain manifeste, sa poignée de main est très molle et qu’elle ne me regarde pas dans les yeux. Je cherche son regard. Elle fuit le mien. Outre les questions de stratégie d’entreprise et de positionnement marketing pour lesquelles nous nous rencontrons, sa préoccupation majeure tient à ses relations conflictuelles avec son frère, conflits qui semblent médiés par une conception du travail qui les oppose. Malgré la lourdeur de la situation, elle se dit pleine d’énergie. D’ailleurs, elle a très bonne mine, ce qu’elle explique par le fait qu’elle revient juste d’une visite sur site qui l’a ressourcée1

. En outre, elle ne semble pas ménager ses efforts pour « attaquer » les dossiers, tendue vers la réussite alors même que, depuis quatre générations, les femmes, bien qu’héritières en ligne directe, ne travaillent pas, laissant à leurs époux le soin de diriger - bien ou mal - cette entreprise familiale.

Monsieur T. : le créateur et développeur passionné

Monsieur T. a, lui aussi, tous les atours du dirigeant enthousiaste. Il travaille beaucoup mais son entreprise se développe et il décrit chaque étape comme « une

nouvelle aventure »2. Il est très grand, dégage une forte présence, parle spontanément sans être questionné, se déclare sans cesse heureux, voire émerveillé d’être arrivé là où rien ne le prédisposait. Se présentant comme un autodidacte en comparaison de ses pairs, fils de petits commerçants se destinant à la grande distribution, il a créé et développé son entreprise sur le marché des produits paramédicaux et qualifie son métier de « merveilleux » au point de ne pouvoir imaginer en faire un autre3. Monsieur T. emploie le plus souvent les termes de « passion » et d’« envie » pour décrire son produit, son secteur, son travail et explique que sa « flamme » est entretenue par les possibilités renouvelées de création et de développement. Les difficultés passées et les contraintes quotidiennes ne sont pas oubliées mais elles semblent avoir glissé sur lui au point qu’en l’écoutant, on retient d’abord sa grande satisfaction d’être à l’origine « d’une belle machine »4.

Monsieur H. : un corps « carbonisé » puis « vidé »

A l’opposé de ces précédents portraits, Monsieur H. n’a pas l’air en bonne santé. Il a même l’air franchement malsain : trop gros, trop mou, les traits bouffis, épaissis, les dents jaunies, des poches et des cernes noirs sous les yeux. Quand il vient à ma rencontre à mon domicile, il se tient voûté. Il paraît aussi très essoufflé, il transpire beaucoup, il halète, cigarette à la bouche, avant d’écraser celle-ci dans un bac à fleurs.

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Voir ANNEXE 2, Madame de V., lignes 202 à 206. 2

Voir ANNEXE 7, lignes 206 à 207. 3

Voir ANNEXE 7, lignes 88 à 89. 4

180 Lors de notre seconde rencontre, son aspect physique dégradé est encore plus frappant. Monsieur H. s’est habillé de manière assez négligée, il ne porte pas de cravate, flotte dans un costume gris mal coupé et semble, toujours et encore, avoir du mal à respirer. Il m’explique que lorsqu’il était en poste, les plaisirs au travail (et non « le » plaisir - nous y reviendrons1) existaient mais que la contrepartie était insupportable au point que son corps ne résistait pas toujours et qu’il se dit, à présent, « carbonisé »2

.

Lorsque je le revois, plusieurs années plus tard, Monsieur H. est aminci et cultive alors une apparence d’artiste savamment négligée : col roulé noir, veste noire et

blue-jean seyant, barbe de trois jours. Son visage est extrêmement fatigué et ses traits

sont tirés mais je le trouve plus souriant que dans mon souvenir. Monsieur H. n’espère plus retrouver de poste de direction et se consacre à la photographie d’art en se remettant peu à peu d’un échec professionnel coûteux qui l’a, dit-il, « vidé »3

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Monsieur P. : un dirigeant « collé au plafond »

Bien que plus jeune que Monsieur H. et exerçant actuellement son activité de manière fort dynamique, en apparence, Monsieur P. me le rappelle à bien des égards. Lui aussi a l’air très fatigué et paraît en mauvaise santé. Alors que le site Internet que j’avais consulté présentait la photographie d’un homme jeune, les cheveux noirs, les sourcils drus, le regard volontaire, un grand sourire éclairant son visage, je me trouve en face d’un homme prématurément vieilli, ombrageux, trop soucieux ou trop occupé pour sourire. Peu enclin à parler de lui, il se réfugie derrière un « on » indéfini et généralisateur pour déclarer qu’« on est tout le temps dedans » et qu’« on est vraiment

collé au plafond »4.

Cependant, comme tous ces dirigeants et toutes ces dirigeantes que j’ai choisis de regrouper au sein de catégories plus ou moins évocatrices, Monsieur P. ne se laisse pas seulement reconnaître par son physique et sa lassitude manifeste. Il présente aussi tous les signes du dirigeant surchargé.

2) Dirigeant et dirigeante surchargés et dirigeant désinvolte

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