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Les dirigeants d’entreprise occupent une autre place particulière : ils sont la cible de dénonciations argumentées et récurrentes de la part de groupes de recherche en sciences sociales.

D’abord, ils sont identifiés comme les représentants d’un système qui est dénoncé pour ses effets délétères sur la société : le système gestionnaire6. Ce système se trouve par ailleurs fondé sur les sciences de gestion qui font elles-mêmes l’objet d’une large critique pour leurs fondements épistémologiques discutables comme pour leur soumission à l’idéologie du pouvoir7

. Cette gestion, dont les dirigeants sont les

1

Economie : 29 entreprises transnationales pèsent plus lourd que des états ! [en ligne], disponible sur : www.voxdei.org/afficher_info.php?id=3922.10, consulté le 19.2.08. Selon une étude de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), 29 des 100 plus importantes entités économiques mondiales étaient des firmes transnationales, en 2002.

Des entreprises multinationales plus riches que des pays. L’Expansion.com [en ligne], disponible sur : www.lexpansion.com/Services/imprimer.asp?idc=95981&pg=0, consulté le 04.12.07.

2

Romain GUIBERT, L’affaire de la Société Générale, 2008. 3

Martine JACOT, Chute d’un « maître du monde », 2002. 4

Dominique-Anne MICHEL, Quand on regarde les présidents tomber, 2004. 5

Jean-Marie MESSIER, J6m.com : Faut-il avoir peur de la nouvelle économie, 2000. 6

Vincent de GAULEJAC, op. cit. 7

62 meilleurs représentants, est dépeinte comme « un système d’organisation du pouvoir »1. Or, il se trouve que le pouvoir lui-même est connoté négativement : possession des moyens de sanction, des moyens de contrôle, répression, usage de techniques d’asservissement par la parole, etc.2

Ensuite, les dirigeants d’entreprise se trouvent à l’origine d’un ensemble de pratiques de management que leur encadrement perpétue sur le terrain et qui s’avèrent délétères pour la santé psychique et mentale de leurs salariés3. Ces pratiques qui trouvent leur source d’inspiration dans les directions d’entreprises sont ensuite relayées par les business schools, financées par ces mêmes directions d’entreprise4. Elles visent, entre autres, à obtenir des salariés leur contribution active sans qu’il soit nécessaire de recourir à la forme traditionnelle - mais inefficace - du commandement militaire : « Il

s’agit d’amener les gens à faire d’eux-mêmes les choses qu’on voudrait qu’ils fassent en les amenant à croire que cela vient d’eux et que leur action est le fruit de leurs décisions. »5. Dès lors, le soupçon de manipulation devient incontournable et les discours des dirigeants sont analysés pour l’impact qu’ils peuvent avoir sur autrui. Or, ces discours offrent aux personnels des contenus stéréotypés qui leur permettent de justifier leur conduite. Ils peuvent, par exemple, en appeler à « la guerre économique » pour expliquer la nécessité de procéder à des licenciements massifs. Cette production et ce contrôle d’informations stratégiquement et intentionnellement falsifiées font partie de la : « stratégie de distorsion communicationnelle »6, définie comme « (…) une

stratégie dont l’initiative part du haut de la hiérarchie, et qui recrute par couches successives les niveaux inférieurs »7.

Sans toujours s’attacher à l’étude de l’impact de leur discours sur les salariés, d’autres auteurs n’en critiquent pas moins les dirigeants d’entreprise pour leurs justifications incessantes, dénonçant alors, par exemple, une rhétorique favorisant le cynisme et les qualifiant d’« a-responsables »8. D’autres auteurs, enfin, s’appuient sur

des recherches conduites en sciences du langage pour rendre compte des caractéristiques du discours des dirigeants de grandes entreprises françaises9. Ils montrent alors l’existence d’un code linguistique propre à cette population qui soulignerait leur réticence à prendre des responsabilités et se rapprocherait de la propagande publicitaire.

1

Vincent de GAULEJAC, op.cit., p.21. 2

Eugène ENRIQUEZ, Clinique du pouvoir : les figures du maître, 2007. 3

Nicole AUBERT, Vincent de GAULEJAC, op. cit. ; Christophe DEJOURS, Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale, 1998.

4

Vincent de GAULEJAC, op. cit., p.48. 5

Luc BOLTANSKI, Eve CHIAPELLO, op. cit., p.557. 6

Christophe DEJOURS, Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale, 1998, p.78. 7

ibid., p.79. 8

Andreu SOLÉ, Une journée particulière sur les hauteurs de la Bièvre, 2003 ; A propos de l’a- responsabilité du dirigeant d’entreprise, 1997. L’analyse du contenu des discours des dirigeants d’entreprise révèle une absence de reconnaissance de leur responsabilité. Les dirigeants soulignent sans cesse la « complexité » croissante des situations et des problèmes ; ils invoquent les contraintes extérieures (économie, environnement, etc.) ; ils nient les décisions de direction (« on n’a pas le choix ») ; ils nient leur personne (« on a décidé ») ; ils nient leur liberté (« on ne pouvait pas faire autrement »).

9

63 La responsabilité (ou son absence) se trouve souvent au cœur de la critique du comportement des dirigeants d’entreprise. La suspicion s’étend d’ailleurs en raison de la généralisation des golden parachutes (parachutes dorés)1. En effet, ces parachutes dorés octroient aux dirigeants qui en bénéficient des garanties financières forfaitaires en cas de renvoi. Celles-ci devraient théoriquement être à la hauteur de la partie visible de la contribution du dirigeant mesurée par la valeur de l’action ou les résultats financiers. Pourtant, même en cas de mauvais résultats, voire de faillite, rares sont ceux qui acceptent d’y renoncer2. Plus nombreux ou plus exposés sont ceux qui n’y renoncent

pas3. La mise en parallèle du montant de ces indemnités perçues et des difficultés financières de leurs ex-salariés émeut alors l’opinion publique. Parfois aussi, un cas isolé de démesure défraie la chronique et relance le débat sur la rémunération des dirigeants et le contrôle de leur goût immodéré de l’argent4

. Dans le même temps, l’annonce, faite par un autre dirigeant, du renoncement à une partie de son salaire fixe sans remise en cause de ses rétributions variables (bien plus importantes) n’émeut personne tant les sommes perçues restent importantes. Ce type de situation est en outre mis en avant par la presse comme l’illustration de la difficulté de certains patrons salariés à assumer l’ampleur des risques qu’ils sont supposés encourir5

.

Ainsi, même si de plus en plus de dirigeants se trouvent mis en difficulté6, ils ne peuvent émouvoir. Personne n’irait plaindre ces patrons d’entreprise qui ont failli à leur mission. Leurs départs s’expliquent par leurs erreurs de gestion, leur mauvaise appréciation des indicateurs économiques, l’échec d’une stratégie de conquête de marché ou le caractère trop hasardeux ou trop ambitieux d’une politique d’acquisition. On évoque alors la négligence des signaux d’alerte, le leadership déclinant, la trop faible inclination pour le doute. Les décisions jugées a posteriori catastrophiques sont passées en revue, leurs points communs sont analysés et des prescriptions de bonnes pratiques fleurissent à l’attention des managers qui se destinent à assumer la fonction de décideur et de stratège7.

1

Apparus aux Etats-Unis à la fin des années 70, ces « parachutes dorés » étaient proposés par certaines sociétés multinationales en difficulté pour attirer des dirigeants capables de redresser leur situation sans être pour autant prêt à prendre le risque d’un mauvais tournant de carrière. Après avoir largement gagné les sociétés européennes, ils constituent l’une des composantes de la rémunération variable des dirigeants la plus emblématique et la plus controversée.

2

Pierre BILGER, Quatre millions d’euros, le prix de ma liberté, 2004 : En 2003, Pierre Bilger, ancien P-DG d’Alstom a renoncé à une indemnité de 4,1 millions d’euros en raison des difficultés de l’entreprise qu’il quittait ; De la rémunération des patrons et autres questions de salaires. Le Monde [en ligne], 17 avril 2007, disponible sur : www.lemonde.fr ; Polémiques concernant les parachutes dorés chez EADS. Le Monde [en ligne], 17 mai 2007, disponible sur : www. lemonde.fr.

3

En 2002, malgré la faillite du groupe WorldCom, son P-DG s’est vu accorder ses indemnités de 1,5 millions de dollars. Source : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mercredi 4 juillet 2007. Séance de 10 heures. Compte-rendu n°2, [en ligne], disponible sur : www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cloi/06-07/c0607002.asp.

4

Pascale COLISSON, Vinci : Le « ouf » des managers, 2006. 5

Jacques MARSEILLE, La plus grande faute de Daniel Bouton, 2008. 6

Marc CHEVALLIER, La valse des patrons, 2005. Une étude du cabinet de conseil en stratégie Booz Allen Hamilton, portant sur 2500 sociétés dans le monde, révèle ainsi que « le nombre de départs forcés de grands patrons pour cause de mauvaise performance a atteint un sommet en 2002, dépassant de 70% le niveau de 2001». En 2004, le taux de renouvellement des grands patrons était de 17%. « Les patrons se retrouvent sur des sièges éjectables ».

7

64 Et puis, les dirigeants sont d’abord réputés riches et ils supportent donc la défiance à l’égard de l’argent : « (…) instrument de la réalisation de soi-même, (…)

moyen pour satisfaire les fantasmes de toute-puissance et de jouissance infinie. Il ouvre toutes les portes et supprime tous les obstacles »1. Quelques scandales financiers retentissants ont, en outre, contribué à mettre en doute la compétence des dirigeants concernés, voire leur honnêteté. Les condamnations ont alors largement dépassé la sphère des recherches en sciences humaines et sociales pour trouver un nouvel écho dans la presse économique et venir détériorer durablement l’image des dirigeants d’entreprise. Après avoir été adulé par la presse, un dirigeant peut se voir taxé de manque de rigueur dans la gestion financière mais aussi de folie mégalomaniaque, voire de malhonnêteté2.

L’attaque prend tout son sens lorsque le dirigeant a transgressé des règles en favorisant l’espionnage économique ou le masquage des difficultés économiques réelles au moyen d’irrégularités comptables (d’une comptabilité hors-bilan trop audacieuse)3

. Mais le plus souvent, sans rapport direct avec la nature des malversations mises au jour, les dirigeants sont dénoncés pour les avantages liés à leur position, pour les salaires et le montant des stock-options4 qui leur ont été attribués alors même qu’ils étaient tenus responsables d’erreurs stratégiques majeures à l’origine de leur départ.

Enfin, une vaste littérature en sociologie des organisations offre des descriptions de dirigeants d’entreprise « obsédés » de pouvoir : « Etre le plus grand, le plus fort, le

plus puissant, tel est le nouveau credo des “grands managers” qui enfourchent le cheval de la conquête du monde. Chacun veut être un champion (…). La vie n’a plus d’autre sens que de dépasser les autres et de ne pas se laisser dépasser. »5

. Certains auteurs décrivent aussi les risques associés au goût immodéré de certains dirigeants pour le mélodrame. Le sens théâtral et la capacité à captiver l’audience comme les média sont des points forts qui peuvent se muer en facteurs de « déraillement »6.

Les dénonciations rapportées ci-dessus sont le plus souvent fondées : les constats de dérives des conduites de certains dirigeants ne cessent de les alimenter. Pour autant, tout autant que les descriptions favorables, ces images négatives du dirigeant contribuent, elles aussi, à asseoir l’image d’un être omnipotent. Les dirigeants constituent donc une population à la fois idéalisée, héroïsée et à la fois repoussée, dénoncée. En s’exposant, ils ne laissent pas indifférents. De toute évidence, le poste qu’ils occupent fascine le grand public comme les chercheurs en sciences de gestion et

1

Vincent de GAULEJAC, op. cit., p.132 et p.139. On notera que, parfois, cette dénonciation de l’argent et du pouvoir qu’il confère peut être si virulente que la cible initiale qu’était le dirigeant (ou le manager) se trouve momentanément perdue. Ainsi, dans une critique visant le pouvoir managérial et le rôle des entreprises dans l’apparition des problèmes sociaux, les P-DGs se retrouvent dans une nébuleuse de grands fortunés aux côtés des spéculateurs professionnels, des vedettes de show-business et des traders, ce qui ne manque pas d’introduire une confusion entre des populations aux intérêts différents et dont la nature du rapport à l’argent peut s’avérer hétérogène.

2

Martine JACOT, op. cit. ; La deuxième vie de Jean-Marie Messier. Le Monde [en ligne], 21 décembre 2001. Disponible sur : www.lemonde.fr.

3

Robin CARCAN, La valse des patrons s’accélère, 2005 ; Eric LESER, Pour les patrons américains, l’ère de la toute-puissance s’achève, 2005 ; Edouard LAUGIER, Qui part, qui est déstabilisable, qui reste ?, 2004.

4

Par exemple : C. VINCENT, Les patrons sont-ils encore des chefs dans l’entreprise ?, 2006. 5

Vincent de GAULEJAC, op. cit., p.137. 6

65 en sciences sociales pour l’impact qu’il peut avoir sur le tissu économique et social. De toute évidence aussi, ce poste est à haut risque d’immoralité : le pouvoir qu’ils détiennent, l’impact de leurs actes de gestion sur les salariés des entreprises qu’ils dirigent, leur goût du risque (ou son contraire), l’argent qu’ils gagnent, leur toute- puissance auto-proclamée alertent.

En positif comme en négatif, le dirigeant d’entreprise fascine mais cette opposition d’une représentation du réel à une autre est sans fin. Entre l’idée du dirigeant héroïque et sauveur et celle du dirigeant rusé et maléfique, il ne semble pas y avoir de compromis possible. S’agissant donc d’un milieu très exposé et idéologiquement marqué, cette recherche s’annonce comme une gageure : il sera difficile - pour ne pas dire illusoire - de penser pouvoir se soustraire à la prégnance de ces imaginaires sociaux. Pour autant, je ne me résous pas à renoncer. Poursuivre une description fascinée de personnages héroïques, incontrôlables et tout-puissants, sans la questionner, n’ajoutera rien à la littérature déjà disponible. Continuer de rendre compte des stratégies supposées intentionnelles et maléfiques de ces personnages sans les rencontrer ne me semble pas non plus satisfaisant. Toutefois, poursuivre cette recherche requerra une lecture attentive, critique et prudente, à la lumière de la connaissance de ces tentations idéologiques dont je pourrais bien être moi-même prisonnière.

Chaque discipline se caractérise par un choix de dénomination fort connotée. Mais au-delà de leurs désaccords, toutes (à l’exception remarquable de la psychologie des organisations) désignent les dirigeants, les « leaders de la doctrine libérale et de

l’organisation concrète du travail du mal sur le théâtre des opérations »1

, les « leaders du travail du mal »2, l’élite, la classe dirigeante, l’« hyperbourgeoisie » comme une entité générique, un groupe homogène et indifférencié. Et, faute d’avoir bénéficié d’enquêtes de terrain (toujours à l’exception des entretiens cliniques menés en psychologie des organisations), ce groupe se trouve traversé de descriptions hâtives, le plus souvent péjoratives qui ne reposent sur aucune investigation documentée. Les conclusions d’études de psychologie sociale consacrées aux relations et aux conflits entre groupes pourraient nous l’expliquer : l’exo-groupe est souvent perçu comme plus homogène que l’endo-groupe3

et il se trouve, en effet, que les milieux de recherche en sciences humaines et sociales et les directions d’entreprise constituent justement des milieux fort étrangers l’un à l’autre. Mais confirmer les descriptions existantes ou opposer une description inédite du dirigeant d’entreprise en situation de travail suppose, peut-être, de s’accorder la possibilité de prendre en compte le dirigeant dans sa singularité, comme un sujet qui vit, éprouve et ressent, et non comme un groupe indivis.

S’appuyer sur la psychodynamique du travail paraît alors incontournable. En même temps, il s’agit d’une gageure. En effet, cette discipline a été marquée du sceau

1

Christophe DEJOURS, Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale, p.181. 2

ibid., p.183. 3

H. TAJFEL, A.L. WILKES, Classification and quantitative judgment, 1963. Ces auteurs ont montré la tendance à surestimer les différences entre les groupes et à surestimer les ressemblances à l’intérieur des groupes. Dans la suite de leurs travaux, d’autres chercheurs se sont intéressés à l’asymétrie des homogénéités perçues entre l’endo-groupe et l’exo-groupe. Le fait de percevoir comme semblables les uns aux autres tous les membres de l’autre groupe (celui auquel on n’appartient pas) permet de les désindividuer, ce qui facilite, ensuite, préjugés et discriminations ; T.M. OSTROM, C. SEDIDIKES, Out- group homogeneity effect in natural and minimal groups,1992 ; B. PARK, C.M. JUDD, C.S. RYAN, Role of meaningful subgroups in explaining differences in perceived variability for in-group and out- group, 1992.

66 de sa confrontation à la souffrance au travail de tous ceux qui doivent répondre aux contraintes organisationnelles que leur opposent les nouvelles modalités de management. Or, ce sont les dirigeants qui en sont les représentants et les porteurs, au premier chef.

C’est pourquoi, sans solution univoque, j’essaierai d’inventer un passage entre- deux : entre connaissances des milieux de l’entreprise, connivence et complicité avec les directions, d’une part, et connaissances théoriques et cliniques en psychologie, d’autre part. L’objectif maintenu est celui de rendre compte des ressorts psychiques de l’engagement du dirigeant dans son travail et d’élucider l’origine de ses conduites, que celles-ci soient jugées héroïques ou délétères, peu importe dans l’immédiat.

V - Une nouvelle voie à inventer dans l’entre-deux

Manifestement, les conduites des dirigeants d’entreprise suscitent de nombreuses interrogations qui ne sont pas encore résolues par un champ plutôt que par un autre. A la différence des recherches antérieures, axées, les unes, sur l’étude de la personnalité des dirigeants ou sur les interactions au sein des équipes dirigeantes (psychologie des organisations et psychosociologie des organisations), les autres, sur la description de leurs rôles ou missions (gestion et stratégie d’entreprise), cette recherche propose d’explorer ce qui se joue dans le rapport entre la subjectivité et l’activité du dirigeant d’entreprise. Elle se construit donc précisément dans l’« impensé » de la rencontre entre la subjectivité et l’activité du dirigeant. A ce titre, elle devra très vraisemblablement se frayer un passage délicat entre les résultats acquis chez les uns et les fondements théoriques des autres.

Pour l’heure, tout en respectant les frontières marquées entre les disciplines, je reprendrai la définition du dirigeant d’entreprise, donnée en sciences de gestion et je choisirai de prendre appui sur le socle théorique et conceptuel de la psychodynamique du travail. En revanche, faute de précédent, la méthode se présentera comme une forme de « sang-mêlé » à construire : habitée par la psychodynamique du travail mais développée ad hoc.

A - Le dirigeant des sciences de gestion

Nous l’avons vu, les publications portant sur le dirigeant d’entreprise et/ou sur son activité entretiennent un flou certain quant au statut hiérarchique de ce dirigeant, de ce leader, de ce manager. Pourtant, leurs champs de responsabilité et d’action, leurs expertises et leurs métiers diffèrent suivant leur niveau hiérarchique, leur fonction au sein de l’entreprise et leur exposition médiatique. C’est pourquoi, en raison de leur lien de subordination hiérarchique1 comme « relais » ou « exécuteurs des décisions

provenant du sommet »2, je choisis d’exclure les cadres dirigeants, responsables de

division, directeurs de filiale ou directeurs fonctionnels. J’exclurai aussi, a fortiori, l’ensemble des cadres supérieurs responsables d’équipes ou experts. Je ne retiendrai donc que ceux qui, selon la formule de Nicolas Flamant, se trouvent justement au « sommet » ou encore ceux qui, selon Michel Barabel et Olivier Meier, occupent « une

1

Nicolas FLAMANT, op. cit., p.40. 2

67

place à part dans la structure car il[s] incarn[ent] le dernier niveau hiérarchique de l’organisation »1. Il s’agira exclusivement de Présidents-Directeurs Généraux ou de

Présidents de Directoire, c’est-à-dire de sujets qui répondent à la définition du dirigeant, donnée par Roland Reitter et Bernard Ramanantsoa : « Les dirigeants sont ceux qui ont

la responsabilité de prendre des décisions de stratégies ou de structure qui vont influencer le devenir de l’entreprise (ou de l’organisation). Ce sont les acteurs principaux du jeu organisationnel dans la majorité des cas (…) »2.

J’ai bien noté que les caractéristiques patrimoniales comme l’importance relative de l’entreprise qu’ils dirigent rendent difficile le regroupement des dirigeants d’entreprise au sein d’une catégorie unique. La question de l’actionnariat du dirigeant se trouve, en particulier, posée et devra être explorée. En effet, les critiques sociologiques réservent aux dirigeants propriétaires une place enviable : plus proches des anciens « capitaines d’industrie », ils sont moins fustigés que leurs homologues salariés. Les articles de presse se font l’écho de ces entrepreneurs qui acceptent de ne pas se salarier, de ces dirigeants d’entreprises familiales qui acceptent de réallouer leurs

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