• Aucun résultat trouvé

Dirigeants, classe dirigeante, élite ou « hyperbourgeoisie »6 : ces différentes désignations caractérisent, au pluriel et sans les distinguer, les hommes et les femmes qui exercent leur pouvoir sur les institutions qu’ils et elles dirigent. Ce pouvoir, pouvoir de décision, pouvoir d’action sur les autres, pouvoir conféré par l’argent ou par le statut, n’exerce pas seulement une fascination sur ceux qui y aspirent, s’en approchent, y accèdent et s’y maintiennent7. Force est de constater qu’il captive aussi l’intérêt

d’autres acteurs d’horizons variés. Chercheurs en sciences humaines et sociales, en sciences de gestion ou en sciences politiques, économistes et gestionnaires, journalistes de revues spécialisées ou de publications destinées au grand public, consultants auprès des directions d’entreprises et coaches : nombreux sont ceux qui souhaitent appréhender le concept de pouvoir en soi, saisir les raisons de son attrait ou comprendre les ressorts de la domination des uns et de l’obéissance des autres8

.

Chefs d’états, dirigeants de partis politiques, dirigeants d’entreprises, hauts fonctionnaires, élus locaux ou nationaux, dirigeants syndicaux : tous sont la cible de ces tentatives d’analyse du pouvoir, tous font partie de cette classe de « dominants », réputée difficile d’accès pour les chercheurs en sciences sociales ou en sciences politiques. Pour autant, chacun de ces groupes constitue aussi un terrain spécifique en

1

Michel BARABEL, Olivier MEIER, Manageor : Les meilleures pratiques du management, 2006, p.174.

2

ibid., p.175. 3

Nicolas FLAMANT, Une anthropologie des managers, 2002. 4

ibid., p.211. 5

ibid., p.202. 6

Denis DUCLOS. Société monde, le temps des ruptures. Paris : La Découverte, 2002. 240 p. Cité dans Vincent de GAULEJAC, op. cit., p.205.

7

Eugène ENRIQUEZ, Clinique du pouvoir : les figures du maître, 2007. 8

Jean-Claude RUANO-BORBALAN, Bruno CHOC, coord., Le pouvoir. Des rapports individuels aux relations internationales, 2002 ; Samy COHEN, dir., L’art d’interviewer les dirigeants, 1999.

60 soi. La généralité du concept de pouvoir comme le caractère générique de la désignation de ces groupes dominants ne saurait occulter la diversité de leurs situations.

De ces remarques préliminaires, je retiendrai que les désignations les plus courantes ne semblent pas adaptées à la présente recherche. La définition du manager est polymorphe et trop floue. En outre, elle ne tient jamais compte des dirigeants propriétaires. Les actionnaires se présentent comme un ensemble hétérogène d’individus et d’institutions qui n’assument pas toujours la direction d’une entreprise. Le capitaliste désigne, lui aussi, un ensemble vaste qui ne paraît pas opérant pour cette recherche, d’autant qu’il exclut - dans l’acception de Luc Boltanski et d’Eve Chiapello, du moins - les dirigeants de P.M.E.. Le cadre dirigeant, quant à lui, exerce souvent des fonctions précises et exerce son pouvoir sur un champ plus limité (division, fonction, département), ce qui ne m’autorise pas, non plus, à l’assimiler à un dirigeant. Quant au terme de « dirigeant », il pâtit, lui aussi, d’une définition trop imprécise de son champ d’action.

En outre, nous l’avons vu, les recherches en gestion comme celles des sociologues peinent à retenir les dirigeants d’entreprises de taille modeste dans le champ de leur analyse. Quelques chercheurs isolés s’y sont intéressés après avoir, semble-t-il, redécouvert leur poids dans l’économie nationale1. En même temps, quelques praticiens ont également souhaité mieux comprendre les particularités de ces entreprises et les raisons de leur pérennité et prospérité relatives et leur apporter ensuite recommandations et conseils2. En revanche, à l’exception de l’article et de l’ouvrage que Manfred Kets de Vries leur consacre3, aucune étude de psychologie ou de psychosociologie ne porte précisément sur cette population. Le plus souvent oubliés, les dirigeants de P.M.E. familiales n’offrent aucune prise à la dénonciation de leurs conduites. Ils sont, de fait, moins stigmatisés par les chercheurs en sciences humaines que leurs homologues qui se trouvent salariés à la tête de très grandes structures. Et, si l’on est habitué à lire la critique sociologique des dirigeants aguerris à l’objectif de rentabilité financière à court terme, on découvre aussi que les dirigeants d’entreprises familiales bénéficient, ailleurs4, d’une certaine aura : on reconnaît leur dynamisme entrepreneurial, leur rôle majeur dans l’emploi régional, leur rapport mesuré à l’argent (d’abord réinvesti dans l’entreprise et rarement dilapidé en achats inconsidérés), etc. Des conclusions si opposées peuvent s’expliquer, en partie, par les différences entre les deux populations analysées. Elles rendent compte, pour une autre partie, d’une tension idéologique qu’il me faut, à présent, mieux appréhender.

B - Le dirigeant d’entreprise est-il un produit de l’imaginaire social ?

Parmi l’ensemble vaste et hétérogène des dirigeants, les dirigeants d’entreprise occupent une place particulière. En effet, certaines entreprises multinationales occupent

1

Denise KENYON-ROUVINEZ, John L. WARD, Les entreprises familiales, 2004. 2

Octave GELINIER, La réussite des entreprises familiales, 1999 ; Pascal VIENOT, La gouvernance de l’entreprise familiale : 77 conseils pratiques aux administrateurs, actionnaires et dirigeants, 2007 ; Jacques-Antoine MALAREWICZ, Affaires de famille : comment les entreprises familiales gèrent leur mutation et leur succession, 2006.

3

Manfred F.R. KETS DE VRIES, The Dynamics of Family Controlled Firms: The Good and the Bad News, 1993 ; Manfred F.R. KETS DE VRIES, Randel S. CARLOCK, Elizabeth FLORENT-TREACY, Family Business on the Couch: A psychological perspective, 2007.

4

61 une place majeure dans l’économie mondiale1. D’autres institutions s’avèrent manipuler

des sommes que les journalistes comparent aux Produits Intérieurs Bruts (PIB) des plus grands états ou à l’endettement des nations les plus riches2. De ce fait, à l’instar des chefs d’états, les dirigeants de ces entreprises captivent l’intérêt du public. La présentation du bilan de leur action, l’exposition et la justification de leurs choix stratégiques intéressent la presse spécialisée, financière, économique. Celle-ci relaie ensuite cette information attendue par la communauté des stakeholders, constituée des actionnaires, des analystes financiers, des clients, des fournisseurs, des salariés, des experts environnementaux, etc. Les dirigeants d’entreprise s’exposent donc à l’attention du grand public. Parfois ils se surexposent. Parfois encore, ils sont surexposés au moment même où ils souhaiteraient se dérober.

Documents relatifs