• Aucun résultat trouvé

Les liens entre types psychiques de dirigeants et formes d’organisation

L’hypothèse fondatrice d’une correspondance entre processus sociaux et processus psychiques, propre au système « managinaire », annonce celle d’une congruence entre les formes d’organisation et les structures psychiques des dirigeants qui les créent, les investissent et les dirigent4. Ainsi, Eugène Enriquez affirme-t-il que les organisations sollicitent des comportements particuliers et qu’elles cherchent donc à recruter des individus ayant un profil psychologique qui leur permette de se conformer à cette demande implicite. Le plus souvent, elles attirent ces individus. Toutefois, si elles ne les trouvent pas, elles les produisent en s’employant à les former et à les façonner de manière à ce qu’ils intériorisent des modèles précis de conduite (par la pression, par l’idéologie ou par des techniques de management telles que les stages de survie, la communication d’entreprise, les systèmes d’évaluation par objectifs, la compétition permanente, etc.)5.

dépassement et d’idéal d’excellence individuelle, toutes formes qui, proposées par l’organisation, viendraient « se brancher » sur l’Idéal du Moi. Cet Idéal du Moi, faute de théorie sur le fonctionnement de l’appareil psychique, se trouve également décrit comme « image de marque ». Il semble alors avoir bien peu de choses en commun avec l’Idéal du Moi de la psychanalyse qui n’est, en aucune façon accessible à l’analyse sociologique, hors transfert. Pour Christophe Dejours, ces images relèvent de l’imaginaire social et sont effectivement proposées par l’extérieur. Elles ne sauraient donc se confondre avec la structure spécifique d’une instance psychique qui n’est pas un support d’impression des structures sociales.

1

Christophe DEJOURS, Introduction, 1996, p.8. 2

Christophe DEJOURS, Activisme professionnel : masochisme, compulsivité ou aliénation ?, 2004. 3

Nicole AUBERT, Vincent de GAULEJAC, op. cit., p.290. 4

Nicole AUBERT, Vincent de GAULEJAC, op. cit., p.161 : « Dans le premier sens, l’homme managérial est une personnalité narcissique qui choisit l’entreprise comme lieu d’investissement. Dans le second sens, il est produit par l’entreprise, à l’issue du mouvement de mobilisation des imaginaires. » ; p.173 : « L’homme managérial est à ce titre à la fois producteur et le produit du système “managinaire”. » ; p.260 : « les différentes organisations sociales sollicitent un certain type de fonctionnement et influencent l’appareil psychique ».

5

34 Pour chacun des types d’organisation identifiés (technocratique, coopérative ou stratégique), Eugène Enriquez explore les pulsions qu’elles privilégient, les instances et pôles de personnalité qu’elles sollicitent, les comportements particuliers qu’elles induisent. Par ailleurs, parmi ceux qu’il désigne comme « les grands hommes », il identifie trois principaux types psychiques : les mégalomanes occupant une position paranoïaque, les manipulateurs occupant une position perverse et les séducteurs occupant une position hystérique1. Il dresse ensuite un tableau établissant les rapports entre structures organisationnelles et structures psychiques individuelles des leaders qui, sans toujours rendre compte de la nature des processus en jeu, fait ressortir les correspondances les plus marquantes. Ainsi, la structure charismatique, articulée sur une personnalité exceptionnelle, omnisciente et omniprésente, est fondée et dirigée par une personnalité paranoïaque2. La structure technocratique ne peut fonctionner que grâce à des experts, « élite dirigeante, faisant montre de qualités de manipulateurs et se

plaçant dans une position perverse »3. La structure stratégique, quant à elle, exige de tous d’être des stratèges, des héros, des guerriers, des gagneurs qu’Eugène Enriquez appelle des « tueurs cools »4.

Cet ensemble de descriptions s’avère d’une grande richesse. Elle vient notamment compléter et préciser les profils de personnalité définis par Manfred Kets de Vries. Les « tueurs cools » sont ainsi qualifiés parce que, pour mener à bien leur action, ils doivent connaître l’« émoussement de la sensibilité ». Ces managers peuvent alors commettre « les actes les plus criminels, les plus aberrants, les plus expressifs de la

trahison avec “flegme” (…), “avec cette apathie qui permet aux passions de se voiler ”». Ce « tueur cool » ou cet homme apathique, pour arriver à ses fins, doit

pratiquer une certaine forme d’ascétisme, « un ascétisme non seulement de la pensée

mais du corps »5. Cette description rappelle, par bien des aspects, les cadres alexithymiques décrits par Manfred Kets de Vries. Cependant, elle s’en distingue aussi par sa connotation dénonciatrice : en effet, l’apathie dysfonctionnelle du « poisson

mort » n’était jamais utilisée aux fins criminelles qu’Eugène Enriquez suggère.

Le dirigeant de type séducteur fait, lui aussi, écho à l’un des types de dirigeants recensés en psychologie des organisations. Il occupe une place de choix car son comportement répond aux besoins de théâtralité des organisations : « c’est (…) la

société parfaite pour tous ceux qui savent utiliser “l’hystérie” à bon escient »6. Défini comme « le nouveau type de grand homme en vogue », il doit, comme son homologue, le dirigeant « dramatique », impressionner les autres et recourir pour cela à ses talents d’acteur : « Il voit le monde comme un grand théâtre et il a comme rôle d’écrire la

pièce la plus convaincante, d’assurer la mise en scène la plus “médiatique” et d’être l’acteur le plus performant. »7

.

1

Eugène ENRIQUEZ, L’organisation en analyse, 1992. 2

Eugène ENRIQUEZ. Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise, 1997, p.39. Les différentes structures organisationnelles et leur fonctionnement sont décrits dans les pages 32 à 36.

3 ibid., p.61. 4 ibid., p.62. 5 ibid. 6 ibid., p.64. 7

35 Les dirigeants narcissiques, « véritables Narcisses s’admirant dans le miroir

qu’ils se proposent et que les autres leur tendent »1

, ne sont pas oubliés. Toutefois, contrairement à ce que constatait Manfred Kets de Vries, repris par d’autres auteurs depuis, il ne s’agirait pas du profil le plus fréquemment rencontré. Pour Eugène Enriquez, le profil le plus représenté serait le caractériel de type normal ou l’hypernormal qui « s’est créé une carapace qui le protège de tout éveil à ses conflits

névrotiques et psychotiques (…) »2

et « (…) exprime à haute voix la pensée

banalisée »3.

C - L’évacuation de la question du travail

Les études de psychologie des organisations et de psychosociologie des organisations fournissent une galerie de portraits très vivante et pour le moins cohérente. Ce faisant, elles excluent le travail de leurs analyses. Pourtant, il semble qu’implicitement, ce travail - jamais désigné comme tel - se révèle au détour de certaines réflexions.

Documents relatifs