• Aucun résultat trouvé

Les délégations baltes puis les premiers diplomates (Cf. Liste, Annexe D) qui vont leur succéder n’ont presque aucune expérience des us et coutumes diplomatiques. Ils ont les pires difficultés à trouver au début leurs repères au sein d’un monde parisien qui excède, par sa dimension et sa complexité, les microcosmes des petites capitales baltes où tout le monde se connaît. Pusta, qui a la chance de bien connaître le sénateur Honnorat, lui demande ainsi d’intervenir en faveur d’une jeune étudiante et si ce n’est pas possible « l’indication de la porte à

frapper... de la personne ou du service à qui s’adresser »98.

Faute de connaître la personne qui fait avancer les dossiers au sein de l’administration, les délégués baltes sont alors victimes des lenteurs et des impératifs de la machinerie administrative. Alors que Foch lui a promis, au moment de l’armistice, de renvoyer les soldats estoniens présents en France dans leur pays, Pusta constate qu’en 1920 ceux-ci en sont encore à faire l’exercice à Brest ! Il faut une intervention du journaliste Jean Pélissier auprès de personnalités politiques pour que l’administration française organise enfin le voyage et la cérémonie d’une délégation estonienne qui attend depuis septembre 1919 de pouvoir décorer la Ville de Verdun. Ces avanies affaiblissent la position de diplomates auprès de leurs supérieurs, qui jugent depuis Riga ou Tallinn. En 1924, le jeune ministre de Lettonie Grosvalds quitte ses fonctions pour ne pas avoir su se ménager une situation dans les milieux commerciaux et financiers parisiens99. En ce sens l’entregent dont dispose le représentant lituanien Milosz est tout à fait exceptionnel. Ayant passé une grande partie de sa jeunesse en France, devenu un poète apprécié et ayant travaillé sous les ordres de Berthelot à la Maison de la Presse durant la guerre, Milosz a facilement ses entrées au Quai d’Orsay et, par l’intermédiaire de ses relations

97 LEBAS (M.-P.), « Le petit soldat de Memel », Ère nouvelle, 29 janvier 1923, « Le sort de Memel : un danger pour la paix », Radical, 10 janvier 23, AMAEF Vilna, 26, avril 23.

98 ERA, F1585/1, 385, 28 décembre 1923.

mondaines, peut rencontrer sans problèmes Herriot, Leygues ou Painlevé100.

Les jeunes diplomates baltes ne peuvent espérer compenser immédiatement ce manque de notoriété par une action de grand style. Les moyens financiers leur manquent cruellement pour pouvoir disposer de locaux leur permettant d’organiser soirées et réceptions, de disposer de fonctionnaires pouvant traduire la presse, pour exercer un véritable travail de propagande ou pour recevoir rapidement une gamme diversifiée de brochures ou de documents précis. Il est presque nécessaire pour les diplomates de posséder un peu de fortune pour se contenter des maigres traitements octroyés par les gouvernements. Ceux-ci font pourtant l’objet d’âpres récriminations de la part des commissions parlementaires baltes alors que pour un diplomate balte vivant à Paris, cela représente très peu de choses. Grosvalds ne gagne ainsi que 3 000 francs par mois au début des années vingt101. Quant au budget de propagande proprement dit, on ne dispose malheureusement que de quelques chiffres parcellaires. Pour l’Estonie, la légation dispose d’un crédit de propagande d’environ 30 000 francs en 1921 (pour un budget de 215 000 francs) et, en 1923, de seulement 10 000 francs (mais une partie des abonnements de presse et des frais liés aux brochures semblent être passés à la charge de l’administration centrale). Or, pour faire paraître des articles de propagande, le Temps demande 80 000 francs pour un an, ce qui semble modique à la direction du journal, vu le tarif demandé à la Pologne (250 000 francs). Le Figaro demande annuellement 45 000 francs pour la parution de 6 suppléments de 2 pages. Comment pouvoir même imaginer accepter de telles offres alors que la Légation de Lettonie a bien du mal à régler dans les temps les 1 000 francs d’abonnements qu’elle doit à l’Europe

nouvelle 102 ?

Très vite les coupes budgétaires drastiques qui affectent les budgets des légations au début des années vingt conduisent à la disparition des publications qui avaient été créées et financées au moment de la Conférence de la Paix (Revue baltique, Bulletin letton, Bulletin

d’Estonie). Les Légations licencient leurs quelques collaborateurs français qui écrivaient les

articles de propagande. Elles rompent tout contrat de presse trop onéreux. Les Lettons renoncent ainsi au service du Temps qui, pour 30 000 francs par semestre, avait fait passer en 1921 plusieurs articles sur la Lettonie103. Les projets d’exposition d’art ou de création de chambres de commerce franco-baltes sont renvoyés aux calendes grecques. À l’exception des fêtes

100 LCVA, F 383/7, 107 (6 février et 29 mars 1921), 396 (9 mai 1923), 487 (10 juin 1924).

101 AMAEF, Protocole, A/71, d.2, Walters,12 avril 1924 et LVVA, F2575/7, 537 (22 février 1927) et 411 (23 janvier 1925).

102 PUSTA (K.R.), op. cit., p. 68 ; ERA, F1585/1, 446, 9 mai 1924 ; LVVA, F2575/7, 376, 19 mai 1925. 103 LVVA, F2575/7, 96, 30 mai 1921.

d’indépendance, les grandes réceptions ou cérémonies baltes sont rares comme, par exemple, la conclusion de l’alliance esto-lettonne en novembre 1923 ou la venue de personnalités baltes (comme le président du Conseil letton Meierovics, en 1922 ou 1925, qui en profite pour décorer certaines personnalités françaises), la venue de délégations d’étudiants estoniens à l’été 1922 ou le premier concert de musiciens estoniens en janvier 1923104.

Du côté de la presse, grâce aux abonnements effectués pour le compte des administrations baltes auprès des grands organes de presse (Temps, Europe Nouvelle), aux liens tissés avec certaines agences (Havas, Radio, Balteuxin) ou certaines relations d’amitiés (Débats,

L’Information), les légations baltes parviennent à faire passer leurs communiqués. Elles

parviennent également à nouer des relations avec des petites revues (Revue mondiale, Revue

diplomatique) afin de réaliser un numéro spécial qui est diffusé par la suite par les Légations105. Enfin on cherche à distribuer, dans les institutions, les bibliothèques ou… les cabines de transatlantiques, les brochures réalisées par les sections de presse des différents ministères (Bulletin de l’Estonie 1923, La Lettonie en 1921, La Lettonie pays de transit et d’exportation…).

Seule la Lituanie, du fait de son conflit avec la Pologne, continue à entretenir une action coûteuse et à pénétrer une presse et une opinion très réticentes à son égard, en achetant entre autres une centaine d’abonnements à l’Ère nouvelle (10 000 francs) et les bonnes dispositions d’une feuille financière Le Câblogramme (6 000 francs). Le gros du travail est assuré par un ancien membre de la mission militaire française en Pologne, devenu publiciste, D’Etchegoyen. Grâce à ses relations et à ses nombreuses invitations à déjeuner, il parvient à convaincre les rédacteurs de faire passer ses articles très favorables à la Lituanie (essentiellement dans le

Rappel, le Radical, l’Homme libre mais aussi dans le Journal des Débats ou le Figaro). Mais ce

genre d’action est très vite limité par la contre-propagande polonaise, qui a accès beaucoup plus facilement à la grande presse, et par les observations du service de presse du Quai d’Orsay aux organes concernés106.

Au total au début des années vingt, le goulot financier empêche les diplomates baltes de faire une propagande véritablement efficace et d’accéder largement à l’opinion par le biais de la grande presse. Mais ce qui joue peut-être encore davantage c’est l’inexpérience de ces derniers

104 ERA, F1585/1, 380 (4 août 1923), 395 ; LVVA, F2575/7, 117 (17 février 1921), AMAEF, Lettonie, 5, 9 juin 1922.

105 LVVA, F2575/7, 235 (9 octobre 1923), 283 (19 août 1924), 327 (passim), 376 (28 janvier 1925), ERA, F1585/1, 446 (passim)

106 AMAEF Memel, 7, 9 février 1923 et 8, 22 mars ; LCVA, F 383/7, 270 (14 octobre 1922), 370 (16 octobre 1923), Lituanie, 23, (15 mai 1922), 68 (1er et 17 janvier 1922) et les articles d’Etchegoyen dans le Radical du 11, 20 février et 7 mars 1923.

qui ont bien du mal à se rendre compte par exemple de l’influence d’un journal ou d’une revue, à savoir vaincre les hésitations ou les méfiances de rédacteurs ou tout simplement à exercer une action efficace qui, au-delà de quelques numéros isolés, puisse transmettre une impression durable sur le lectorat. De ce fait, la constitution de réseaux de sociabilités, de personnalités connus des Légations et qui pourront faire office de relais et de cicérones va se révéler crucial.