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Les traités de paix signés avec les Russies soviétiques, en particulier la « paix des couturières » (Tchitcherine) signée précocement par l’Estonie le 2 février 1920 suscitent beaucoup d’interrogations françaises sur la manière dont ces États vont pouvoir faire face à la menace de subversion russe. La France n’étant pas en relation avant 1924 avec la Russie, les relations entre ces États, le mouvement communiste et l’Union soviétique font figures en quelque sorte de banc d’essai. Et parmi les dépêches, certes peu fréquentes, publiées dans le

Temps, celles consacrées à la lutte contre les communistes baltes sont les plus nombreuses. Le

maintien de l’ordre intérieur semble donc une des clés qui permettent aux Baltes de se faire reconnaître et de prouver la solidité de leur État comme de leur société.

En dissolvant l’armée du Nord-Ouest du général Youdenitch et en signant la paix de manière inattendue, l’Estonie s’est fait connaître en France et dans le monde entier. La presse de Droite et en particulier l’Écho de Paris, juge catastrophique un tel accord. Plusieurs articles du correspondant du journal en Suède, Serge de Chessin, montrent les progrès de la propagande communiste qui, selon lui, envahirait le pays et profiterait de la situation économique et de la faiblesse des nouveaux régimes comme une brèche ouverte pour se répandre en Europe219. Les traités signés par la Lettonie et la Lituanie seront moins commentés mais interprétés de la même

218 SCELLE (G.), « La situation juridique de Vilna et de son territoire », Revue générale de Droit international, novembre-décembre 1928, p.730, LCVA, F383/7, 107 (28 novembre 1921), 270 (31 janvier 1922).

219 CHESSIN (S. de), « La bolchevisation des pays baltes », « Youdenitch nous dit les causes de sa défaite », « La Propagande bolchevique dans les pays baltiques », Écho de Paris, 20 février, 11 mars, 2 août 1920, AMAEF, Estonie, 3 (6 février 1920).

manière.

De Martel comme Gilbert craignent que les organisations communistes ne se servent du retour des Baltes qui ont passé la guerre civile en Russie. Tout un débat s’instaure autour du rôle futur des tirailleurs, « les terribles lansquenets rouges lettons » qui, fer de lance de l’armée rouge, ont connu une célébrité durable, embarrassant considérablement les délégations lettonnes à l’étranger. Leurs yeux se sont-ils ouverts devant la rigueur du régime communiste ou ne vont- ils pas former un ferment d’agitation et préparer un soulèvement « populaire » qui ramènera la Lettonie dans le giron russe ? Grosvalds, le représentant letton, dément plusieurs fois dans la presse les rumeurs courant sur leur compte. Il minimise l’importance de ces unités et met en valeurs leurs illusions initiales.

Mais c’est surtout la présence de missions puis de Légations soviétiques qui suscitent évidemment l’inquiétude. On relève avec anxiété l’importance des subsides dépensés en faveur des organisations ouvrières et professionnelles communisantes ou, au moment des scrutins électoraux, pour les listes d’extrême gauche. L’arme économique est jugée en effet essentielle dans la politique communiste de subversion. D’un côté le marasme économique, la vie chère et le chômage permettent d’obtenir des succès dans le monde ouvrier en soutenant les grèves ou les revendications. Les communistes locaux font ainsi miroiter aux populations ouvrières l’amélioration de la situation qui découlerait de la remise en marche des usines au sein de l’ensemble russe220.

À l’inverse les mirages du transit russe peuvent faire tourner la tête des commerçants baltes. L’Écho de Paris dénonce ainsi la paix faite par les Estoniens par pur mercantilisme, l’avidité pour l’or bolchevik qui aboutirait à faire monter les prix des denrées de base. Le pays se viderait de ses ressources. Reval (Tallinn) se transformerait, selon le journal français, en un vaste marché où tout s’achète ou se vend et où les bolcheviques sont les maîtres221. Les diplomates français s’émeuvent aussi du chantage soviétique effectué suite à des arrestations de communistes baltes. Des citoyens baltes, souvent des commerçants, sont arrêtés ou l’activité des consulats ou des firmes estoniennes est entravée222.

220 AMAEF, Lettonie, 6 (25 juillet 1922), 11 (Rapport annuel de la Mission militaire pour 1925), 18 (passim), Estonie, 13 (24 décembre 1923 et 18 novembre 1924), 27 (30 juillet 1924).

221 CHESSIN (S. de), « La bolchevisation…», « Un cloaque international. Reval », Écho de Paris, 21 février 1920 et 6 janvier 1921 et KORAB (H. de), « La fièvre de l’or sur les bords de la Baltique », Matin, 8 octobre 1920. 222 AMAEF, Lettonie, 4 (5 juillet 1921), Estonie, 3 (14 juin, 10 juillet, 15 août, 31 octobre 1921), LVVA, F2575/7,

Gilbert, le ministre français en Estonie, note que le chantage soviétique s’exerce aussi à propos du transit et son détournement éventuel sur Riga. Selon lui, les diplomates soviétiques arrivent ainsi à exercer une pression efficace en faveur des communistes locaux et surtout à freiner la conclusion d’accords avec la Pologne. La création de liens solides avec l’Allemagne après Rapallo diminue de plus la valeur de la « fenêtre » estonienne et permet à la Russie de donner plus de valeur à ses menaces223.

Dès lors les craintes des diplomates français surtout (la presse analysant peu en détail la situation) sont doubles. D’un côté on craint que le travail d’agitation et de propagande emporte à la longue les fragiles démocraties baltes. Mais surtout la crise économique fait craindre l’arrivée au pouvoir de la gauche : un gouvernement même de tendance social-démocrate signifierait un rapprochement avec la Russie soviétique. Les progrès de la gauche aux élections lettonnes de 1922 inquiète de Martel qui obtient du Quai d’Orsay la publication dans le Temps d’un article exprimant officieusement l’espoir que le patriotisme des éléments « sains » de la nouvelle Diète triomphera224. D’un autre côté, les pressions soviétiques peuvent induire les dirigeants baltes à baisser leur garde pour des motifs commerciaux ou à réagir trop mollement face à l’agitation. Les ennuis des commerçants baltes sont ainsi utilisés par les représentants français pour mettre en valeur les « erreurs dans lesquelles tombent ceux qui pensent que l’on peut déjà entrer en

relations d’affaires avec les Soviets »225.

Laboratoires des pratiques soviétiques, les exemples baltes montrent que la France, même en prévoyant des clauses sur la liberté du trafic ou la protection de ses ressortissants, pourrait être victime de tels chantages. Mais à l’image de de Vienne, les diplomates français craignent plus la tactique soviétique, qui viserait à laisser le fruit « estonien » grossir et attendre « tranquillement de le voir tomber de lui-même dans le panier du jardinier ». Selon un schéma jugé classique par de Martel, suite en particulier à la réintégration des États caucasiens, la déstabilisation interne se terminerait par un appel à l’aide au grand frère soviétique226 .

Cette évolution est jugée presque fatale et ces craintes sont aggravées par le sentiment presque obsidional régnant dans les Légations étrangères. L’impression est d’avoir quitté déjà l’Occident et de se trouver parfois, au gré d’une agitation endémique, vraiment dans de véritables confins du monde soviétique à la merci d’un coup de main. Or en dépit de tous ces

223 AMAEF, Estonie, 4 (2 janvier, 15 avril, 12 juin 1922)

224 AMAEF, Lettonie, 18 (29 mars, 15 novembre), « Nouvelles de l’Etranger. États baltes. Après les élections lettonnes », Le Temps, 1er décembre 1922.

225 AMAEF, Estonie, 4 (14 avril et 4 juin 1922).

226 AMAEF, Estonie, 24, 2 mai 1924 et Lettonie, 4 (5 juillet 1921), COUSTEAU (P.A.), « Aux frontières de l’URSS. L’Estonie est libre et heureuse », Candide, 27 août 1936.

doutes, les États baltes vont sortir au contraire indemnes des remous qui les agitent au début des années vingt.

Les observateurs français ont fortement sous-évalué le rôle des souvenirs baltes des occupations bolcheviques de 1919 tout comme l’impact final des réformes agraires opérées. Les Baltes, ou du moins les élites qui sont au pouvoir, ne perdent pas une occasion de rappeler que, loin d’être une abstraction, le communisme de guerre a été une réalité pour beaucoup d’entre eux227.

Ajouté à la proximité, cela explique le réalisme et la dureté avec laquelle la politique de lutte contre le communisme interne est menée. Attachés militaires ou diplomates doivent reconnaître l’efficacité des polices baltes qui réussissent à démanteler toutes les organisations clandestines, les surveillent de très près ou interdisent les manifestations ou réunions dangereuses pour l’ordre public. La formation de milices civiles (en Lettonie et en Lituanie puis en Estonie par la suite) chargée de maintenir l’ordre, le rôle du clergé en Lituanie limitent l’extension de l’influence communiste228.

Si la population ouvrière suscite toujours des craintes, les rapports diplomatiques sur les premiers effets des réformes décrivent l'émergence des nouveaux petits propriétaires qui sont désormais les partisans les plus sûrs du maintien de l’ordre établi et impénétrables, contrairement à 1919, à la propagande communiste. Sur le plan du rapport au communisme, la nationalisation de la terre est donc à la base des indépendances baltes. Lorsque Paul Mantoux, de retour en 1925 d’un voyage pour la SDN, écrit à Laroche que les Soviets « n’ont plus rien à offrir » aux paysans depuis les réformes agraires, il ne fait qu’ancrer une évidence qui s’est imposée depuis plusieurs années aux diplomates français en poste229. Du fait de la chute du nombre d’usines et d’ouvriers, les mouvements communistes ne peuvent exister et n'agir activement que grâce à l’aide apportée par l’Union Soviétique230.

La réussite de la lutte balte contre le communisme contribue donc à la disparition progressive des doutes qui ont pu peser sur l’influence du communisme sur les mentalités baltes. L’adjectif énergique s’impose pour qualifier la détermination des Baltes. Dès 1920, la diplomatie française semble convaincue par l’attitude lettonne. Quand, en janvier 1921, Berthelot parle au

227 DESPREAUX (E.), « Une entrevue avec Ioffe », Europe Nouvelle, 2 janvier 1921.

228 AMAEF, Lettonie, 5 (22 août 1922) 18 (6 juin 1921, 27 février 1923), Russie, 697 (4 novembre 1925), ERA, F1585/1, 446, 10 décembre 1924.

229 AMAEF, RC 18-40, B-Doires, 49 (28 septembre 1921), Lettonie, 18(10 mars 1923), 6 (9 avril 1925), Lituanie, 59 (4 janvier 1923).

Conseil Suprême des Lettons comme les « plus forts ethnographiquement des trois », que des notes font allusions à leurs qualités politiques ou à la solidité de leur culture, c’est surtout à leur capacité de résistance au communisme qu’on fait allusion231. La différence avec l’Estonie s’explique par le fait que la Lettonie s’est libérée plus tardivement et difficilement de l’occupation russe, que la vigueur et l’ancienneté du mouvement social-démocrate dans une ville industrielle comme Riga l’ont conduit à réagir plus précocement. La concentration initiale du transit sur l’Estonie a écarté pour un temps les mirages d’achats soviétiques. Si la presse communiste française, faute d’informations, parle peu en détail de la Lettonie, elle égratigne quand elle le peut « un comptoir colonial flanqué d’un corps de garde policier qui s’appelle la

république démocratique de Latvie ». Cette dernière ne concèderait le droit de grève que sur le

papier ou punirait de mort des manifestants, qui autrefois ont été condamnés par le tsarisme seulement à la prison ou à la déportation232.

Au contraire on doutera plus longtemps de l’Estonie et c’est finalement l’échec de l’insurrection communiste en décembre 1924 qui va dissiper les derniers doutes. Ce soulèvement semble valider toutes les craintes émises auparavant et être le point final d’une évolution amorcée à la fin de l’année précédente avec l’exacerbation de la crise économique, la poussée de l’extrême-gauche aux élections municipales et la répression sévère contre les communistes locaux. La détérioration consécutive des relations avec l’Union Soviétique fait chuter gravement le transit (celle-ci défendant activement tous les accusés). Suite à l’exécution d’un député communiste, un soulèvement, apparemment soutenus par certaines organisations soviétiques, éclate le 1er décembre 1924. Les journaux français évoquent ainsi des insurgés munis de passeports étrangers et ne parlant que le russe.

L’événement va mettre le pays sous les feux de la presse française pendant tout le début du mois et attirer véritablement l’attention et l’intérêt de l’opinion française sur lui, à un niveau que l’on n’avait plus vu depuis les guerres d’indépendance. Pour la première fois des journaux, autres que le Temps et parfois le Journal des Débats, consacrent des articles de fond à l’Estonie. La crise estonienne s’intègre en fait dans un contexte français bien particulier : c’est en effet dans les premiers jours de décembre qu’à la suite de la reconnaissance de l’État soviétique par le gouvernement du Cartel des Gauches, le représentant soviétique Krassine arrive en France. Une large campagne dans la presse est donc relancée afin de montrer les méfaits d’une telle reconnaissance (restitution de la flotte Wrangel, retour de Jacques Sadoul) et exacerber le danger

231 AMAEF, Lettonie, 3 (13 décembre 1920) et Russie, 692 (22 et 26 janvier 1921).

232 MONAKHOV, « La terreur blanche en Lettonie », « La Lettonie condamne à mort des communistes »,

communiste.

Analysant la situation, tous les journaux français dénoncent l’implication quasi évidente du pouvoir moscovite233. Le Matin, le Petit Parisien comme l’Action Française parlent d’un mouvement qui prétend être un mouvement populaire mais qui n’est qu’un putsch préparé par des agitateurs étrangers au pays234. Les propos du général Laidoner sur la convocation de classes de réservistes à Pskov (ville russe à la frontière de l’Estonie) et la proximité d’une escadrille navale bolchevique sont repris dans le Temps et le Journal235. Certains comme Serge de Chessin dans l’Écho de Paris font allusion à une action selon les « meilleures recettes soviétiques » et font le parallèle avec la révolution de 1917 (démoralisation des troupes, occupation des points vitaux, exécutions sommaires « barbares », un bourgeois sur dix devant être selon lui exécuté)236. La position d’Auguste Gauvain du Journal des Débats résume bien la position d’ensemble de beaucoup de journaux : sans les subsides de Moscou, il n’y aurait pas de mouvement communiste en Estonie. La classe ouvrière se serait en fait, pour lui, complètement désintéressée des procès intentés aux agitateurs « étrangers » 237. Pour le Matin comme la Croix ou l’Écho de

Paris comme le Temps, c’est peut-être la première étape de la révolution universelle qui pourrait

faire tomber les « dominos » les uns après les autres (les « dominos » lettons et polonais étant les suivants)238.

L’Humanité est bien isolée, en évoquant selon la version officielle soviétique, une riposte spontanée de la classe ouvrière aux persécutions des « bourreaux » estoniens au service de l’impérialisme. Ce sont les « massacreurs capitalistes », une bourgeoisie spéculatrice aux abois ayant ruiné l’État et incapables de résoudre la crise qui aurait pris pour le journal communiste l’initiative de l’offensive contre la Russie soviétique. Ils ne chercheraient donc qu’à “donner le change en criant au secours et en agitant le péril de l’épouvantail communiste »239. Cette réaction fait suite à la gêne initiale du journal qui se contente de publier les dépêches de

233 On s’appuie la plupart du temps sur les mêmes dépêches de l’agence Havas ou des agences britanniques. 234 « Les Soviets auraient fomenté le coup de force de Reval », Le Matin, 3 décembre 1924; « Dernière Heure. Ce

que fut exactement le coup de main communiste du 1er décembre en Estonie », Le Petit Parisien, 15 décembre 1924 ; « La dictature militaire est approuvé par le gouvernement », L’Action Française, 4 décembre 1924.

235 « Le coup de main communiste en Estonie », Le Temps, 8 décembre, « Dernières Nouvelles : L’armée rouge prête à soutenir l’émeute estonienne », Journal, 7 décembre 1924.

236 CHESSIN (S. de), « La main de Moscou dans l’émeute de Reval » (p. 1), « La bourgeoisie devait être décimée » (p. 3), Écho de Paris, 2 décembre 1924.

237 GAUVAIN (A.), « Le coup de Reval et les Soviets », Journal des Débats, 4 décembre 1924.

238 « Le putsch communiste de Reval . Ce n’est pas un incident Fortuit », Matin, 3 décembre, « Bulletin du jour: le péril communiste », Temps, 3 décembre, « En Estonie. La révolte serait l’oeuvre de la IIIe Internationale », La

Croix, 3 décembre, CHESSIN (S. de), « La main… », Écho de Paris, 2 décembre 1924.

239 « Les évènements d’Esthonie : l’offensive impérialiste contre le communisme international » (p. 1), « En Esthonie : l’oppression fut par trop cruelle », L’Humanité, 2 décembre, “La répression sanglante des troubles de Reval”, ibid, 6 décembre 1924.

l'agence Havas et « se réserve de revenir par la suite » sur l’événement. Engagée dans une stratégie de rapprochement avec le monde occidental, Moscou se refuse en effet à parler de « Révolution » et cherche à réduire, au moyen de la rhétorique habituelle, l’événement à un épisode intérieur. Des recherches ont montré en fait que les communistes locaux auraient été encouragés voire incités à se soulever par les responsables de la région de Leningrad et en particulier par des personnes de l’entourage de Zinoviev, qui aurait voulu renforcer sa position au sein du parti240.

Au-delà de l’écart entre ces interprétations et la réalité, l’important est surtout l’intégration effectuée par la presse française de l’Estonie dans la communauté des « nations civilisées ». Loin d’être à l’écart des réalités françaises, elle apparaît au contraire, en quelque sorte, comme le premier maillon d’un ensemble, auquel appartient la France. Le cas estonien est ainsi jugé exemplaire pour la France. Gustave Hervé parle des « Saint Cyriens » estoniens qui chargent les « coreligionnaires de notre Marcel Cachin ». Le Matin imagine « M. Krassine

intervenir au Quai d’Orsay et une foule dressée et injurieuse crier haro à Petrograd ou à Moscou sous les fenêtres de M. Herbette » en cas de condamnation par la justice française « d’un agitateur affilié à la IIIe Internationale »241.

Même si la position française est jugée plus forte, la leçon est la même. Si la politique du Cartel reste la même, si les bolcheviques se sentent de plus en plus puissants ; si on continue à ignorer le travail souterrain fait en France, celle-ci ressemblera à l’Estonie dans le futur242.

L’image de l’Estonie bénéfice donc de cette attention : sa résistance et sa capacité à résoudre la crise sont saluées par une grande partie de la presse. L’Estonie est décrite comme un pays protestant, finnois, solide qui ne peut succomber à « un idéalisme puéril » (Le Temps) ou « au communisme primitif et asiatique » (G. Hervé). Tous les journaux insistent d’ailleurs sur le calme des campagnes et sur l’absence de réaction de la classe ouvrière. La réaction des forces armées (alarme rapidement donnée, réactions rapides), l’approbation unanime par le Parlement de l’état d’urgence, la formation d’un gouvernement d’union nationale, les obsèques nationales faites au ministre des Communications tué sont pour la presse française des signes de la force intérieure du pays.

Les mesures quelque peu sommaires (jugements et exécutions très rapides) sont jugées

240 RAUCH (G. von), Geschichte der baltischen Staaten, p. 111 sq, Munich, 1977 et BROUE (P.), Histoire de

l’Internationale Communiste, 1919-1943, Paris, 1997, p. 348-49.

241 « Les causes… », op. cit. , Matin, 14 décembre 1924, HERVÉ (G.), « L’exemple de l’Estonie », Victoire, 3 décembre 1924.

nécessaires à un moment où, pour A. Gauvain, la moindre hésitation aurait pu perdre l’État243. Seul « Le Quotidien » est quelque peu réservé face à ces mesures « cruelles »244 . L’Estonie apparaît donc comme le symbole d’un petit État solide et audacieux qui refuse d’être intimidé par une grande puissance à l’idéologie « archaïque ». Certes l’épisode fut bref mais, durant cette première semaine de décembre, chaque journal a pris la peine de rappeler quelques données historiques. Il a présenté les grandes données politiques, économiques et sociales ou simplement montré des cartes du pays ou de la ville pour aider le lecteur à mieux se situer.

La mémoire de cet évènement est surtout conservée dans la mémoire des journalistes français pour invoquer par la suite à la fois le danger latent communiste et la vigueur de la réaction estonienne. Généralisé à l’ensemble de la zone baltique, le souvenir de cette crise de 1924 accréditera définitivement l’idée que tout danger de subversion intérieure est à écarter sauf en cas de soutien militaire soviétique. Or c’est le péril d’une agression soviétique qui préoccupe grandement les responsables baltes et suscite les interrogations de responsables français sur la réalité de celle-ci.