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Contrairement à la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie ont surtout la particularité d’abriter des minorités allemandes puissantes dont la domination séculaire prend fin avec les indépendances baltes. De ce fait les petites républiques agraires, ayant vaincu le féodalisme, peuvent susciter beaucoup de sympathie. Mais l’émergence de la République de Weimar, ses atouts dans les domaines culturels et économiques peuvent lui permettre, à condition d’une politique habile, de revenir très rapidement au premier plan, d’où les interrogations françaises sur la solidité de la barrière balte.

La première chose qui frappe tout Français découvrant Riga c’est la multitude des bâtiments monumentaux attestant de l’emprise allemande passée. Pour Émile Paulin, l’envoyé du

Temps, « tout évoque les sceptres abhorrés des intrus teutons sans scrupule et sans pitié ». Le

ministre français en Lettonie Barret évoque en 1924, « l’allure belliqueuse » du château de Riga, « campé comme un bourg féodal sur les bords de la Duna »177. En France, les premiers baltophiles français avaient axé leur propagande sur la dénonciation des méthodes des occupants allemands et surtout du « baron balte, dernier représentant d'un féodalisme attardé et (...)

176 SENN (A.E), The Great Powers, Lithuania and the Vilna question, Leiden, 1966, p. 109 et EIDINTAS (A.), ZALYS (V.), SENN (A.E.), Lithuania... op. cit., p. 92-3 ; ADAP, A, VII, 36, 75.

pionnier historique du germanisme »178. Ils deviennent donc des exemples de pays où est stigmatisée la barbarie de « l’Allemagne éternelle ». Il s’agit d’abord de montrer que les « barons baltes » sont de véritables Prussiens par leurs liens familiaux, leurs mentalités, leurs aspirations et que les pays du « Baltikum » ont toujours été considérés comme de vieilles terres de culture allemande. La description de tous les méfaits du « féodalisme allemand » (maîtres durs et impitoyables ne visant comme en Prusse qu’à l’extinction des autres nationalités) renvoie implicitement à toute la propagande française qui fut faite au cours de la guerre contre la barbarie de l’armée allemande. Comme le montre de Vienne, les Estoniens ont désormais mis à bas la « citadelle » où était entretenu « soigneusement le culte des hobereaux prussiens » et conservé « jalousement l’esprit de la race qui a fourni, (…), le roi sergent, (...), Bismarck,

(...) Ludendorff »179.

Mais il s’agit aussi et surtout d’opérer une relecture mythique du passé qui expliquerait la défection russe, brutale et traumatisante. Du fait de leurs responsabilités dans l’administration tsariste, les barons baltes auraient, par leur action, accéléré celle-ci. La presse de droite tait leur fidélité au tsar, avant et au début de la guerre, pour ne retenir que les efforts de certains pour créer un duché du Baltikum, sous dépendance allemande, et la coopération avec l’armée allemande puis les corps francs de von der Goltz. Au contraire à gauche, les barons baltes, en tant que gendarmes de l’ordre russe, ont soigneusement empêché toute modernisation du pays.

Dans cette optique, les réformes agraires sont considérées, non sans justesse, comme les clés de voûte des deux nouveaux États. Les lois d’expropriation ont été votées dès octobre 1919 en Estonie, en septembre 1920 en Lettonie : la quasi-totalité des grandes propriétés pour la plupart allemandes, sont prises en charge par l’État qui les scinde en lots distribués soit aux fermiers déjà présents soit à des colons. Cette abolition de privilèges dépassés permet le démembrement de grandes propriétés féodales et la création d’une classe de paysans petits propriétaires et patriotes180. De même, le développement du système coopératif et des caisses rurales d’épargne (dont on note justement qu’elles existaient dès avant la guerre) est vu par le

Temps comme un moyen de se détourner des prêts usuraires que pourraient leur concéder les

nobles et les banques agraires qu’ils contrôlent. Refuser de telles lois reviendrait donc, pour Jaunez, le représentant français en Estonie après 1926, à détruire la stabilité du pays acquis à

178 TERQUEM (E.), L'Esthonie et les Esthoniens, Paris, 1920, p. 13 et DOUMERGUE (E.), Une petite nationalité

en souffrance, Paris, 1917, passim.

179 AMAEF, Estonie, 5, 17 février 1925.

180 AMAEF, Lettonie, 6 (23 janvier 1923) et 18 (10 mars 1923) et REBOUL (Lieutenant-Colonel), « Lettre de Lettonie : la Lettonie et le bolchevisme », Temps, 23 juillet 1921.

l’Entente181. Et dès Rapallo, Gilbert parle de ces barons ruinés qui entrevoient la fin de la « comédie des races inférieures ». Il est évident, pour les diplomates comme les journalistes visitant le pays, que ceux-ci restent les agents actifs du pangermanisme et ne pensent qu’à profiter de la moindre occasion pour déstabiliser les nouveaux États182.

L’image du paysan estonien et letton est donc positive. On peut y voir en fait des renvois plus ou moins inconscients aux évènements révolutionnaires français. La lutte du « Tiers État » pour l’abolition des privilèges, la destruction des « bastilles féodales », la prise du pouvoir par une bourgeoisie de constitution récente, l’assimilation de la minorité dirigeante à l’ennemi prussien, qui avait voulu mettre à bas la Révolution naissante, renvoient à un passé quelque peu idéalisé. L’idéal de la France, répandant les Lumières partout dans le monde, tutrice de jeunes « Républiques sœurs » est donc conforté. Mais la situation balte semble aussi s’accorder avec l’image de la société idéale qu’a une grande partie des responsables politiques : celle d’une démocratie de petits paysans autonomes et patriotes (ce dernier aspect a été renforcé par l’évaluation positive faite du rôle des paysans français au cours du conflit). La lutte des « Petits » contre le « Château », des républicains à la campagne contre l’influence subsistante de l’aristocratie ont été et restent les thèmes favoris d’une certaine France radicale et centriste, comme le montrent les articles de Aulard dans l’Ère nouvelle ou de Hauser dans l’Information. Ces idées sont quelque peu tempérées au sein d'un personnel diplomatique peut-être plus conservateur, mais sont utilisées pour asseoir l’influence française183.

Cette situation, qui peut sembler idéale aux premiers observateurs français, s’estompe rapidement et les Français sur place doivent bien constater que la politique allemande évolue rapidement de façon réaliste en prenant en compte le nouvel état de fait. L’image d’une Allemagne militariste et dominatrice pouvant s’estomper, la culture allemande garde de forts atouts dans ces pays.

Les relations entre le gouvernement letton et l’Allemagne restent tendues, du fait de la défense des intérêts des ressortissants allemands, lésés par la réforme agraire, et des problèmes des dommages de guerre demandés par la Lettonie. Le gouvernement allemand argue au contraire que les constructions (par exemple les chemins de fer) faites par l’armée allemande compensent les destructions opérées : c’est le principe « plus minus null ». Les dirigeants

181 AMAEF, Estonie, 26 (rapport du 30 avril 1927 faisant l’historique de la question). 182 AMAEF Russie, 694, 6 octobre 1923 et Estonie, 4, 15 avril 1922.

183 AULARD (A.), « France et Lettonie », Ère nouvelle, 17 juillet 1920 et HAUSER (H.), « Sur les bords de la Baltique », « Les Baltes et les États baltiques », Information, 17 et 26 novembre 1922.

allemands ont plus d’espoir en l’Estonie qui n’a connu qu’une brève occupation allemande et où la minorité germanique est moins puissante. Or pour recommencer sa pénétration économique, et donc renforcer son influence politique, le but de la diplomatie allemande est de renouer de bonnes relations avec les « Randstaaten » baltes184.

Dans les deux cas, la diplomatie allemande est bien décidée à ne pas s’appuyer sur les franges les plus revendicatives des minorités germaniques. Ces dernières, comme le montre le Secrétaire d’État Maltzan, en juillet 1923, au nouveau représentant allemand en Estonie, sont certes très accueillantes mais ne lui servent à rien. Elles ne pensent qu’à l’utiliser pour leurs buts propres et ne font que renforcer la germanophobie existante et favoriser la propagande française185. Il faut donc jouer, selon lui, sur les populations locales et en particulier sur les socialistes, les plus hostiles à la Pologne (et non l’extrême droite conservatrice, la plus modérée pour les réformes agraires mais très nationaliste). Si les Légations allemandes doivent agir avec des Germano-Baltes, ce sera avec les plus modérés d’entre eux qui travaillent à la survie de la culture allemande en Baltique tout en reconnaissent les nouveaux États (que ce soit par réalisme ou par engagement sincère). Ce sont essentiellement des commerçants, professions libérales, universitaires qui ont conservé leurs positions sociales et qui vont prendre la direction des communautés germaniques. Pour le Temps, si certains membres de la minorité allemande « seraient, dit-on, disposés, dans une certaine mesure, à identifier tout au moins provisoirement

leurs intérêts à ceux de la Lettonie indépendante », c’est pour pouvoir briser la coalition

nationale et monnayer leur soutien à un futur gouvernement après les élections générales de 1922 (révision des lois agraires, maintien de leur suprématie culturelle)186.

Cette phrase ampoulée témoigne des réticences françaises à briser ce mythe d’une communauté allemande qui, irrémédiablement hostile, ne cesse de comploter contre les nouveaux États et des inquiétudes de la France devant la renaissance de l’influence allemande dans les pays baltes.

Les diplomates français s’inquiètent surtout de l’aura de la culture allemande qui résiste malgré les vicissitudes de l’Histoire. Les journaux allemands, comme le Rigasche Rundschau ou le Revaler Bote sont réputés pour leur qualité et ont un lectorat allant bien au-delà de la minorité allemande (voire même dans l’Europe entière pour le Rigasche Rundschau). Or ces journaux exploitent et grossissent les difficultés françaises. Ils dénigrent systématiquement le traité de

184 HIDEN (J.), The Baltic States and Weimar Ostpolitik, Cambridge, 1987, p. 39 sq.

185 ADAP, A, V (49), VII (142), VIII (60). Pour les Relations bilatérales : ADAP, V, 160, 244, VI, 18, 19,126, VII, 103.

186 « Lettre de Lettonie. La campagne électorale de la minorité allemande » (signé R.L.), Le Temps, 29 janvier 1922.

Versailles et la politique française militariste et impérialiste, notamment au moment de la crise de la Ruhr187.

Dans les universités, faute de relève nationale suffisante, un nombre important d’enseignements allemands restent en place et la proportion d’étudiants germaniques reste bien supérieure à la place réelle de la minorité au sein des populations nationales. En 1923, de Vienne peut constater avec inquiétude le réel succès du boycott des cours à l’université de Dorpat (Tartu en estonien) et le refus du corps professoral de fêter Pasteur188.

De plus, la quasi-totalité des élites baltes maîtrise l’allemand et l’accès à la culture et à la science mondiale se fait largement encore par le biais des livres et revues allemands formant l’essentiel des collections des bibliothèques et des stocks des librairies, allemandes ou non. Les écoles supérieures allemandes et les universités bien proches de Königsberg, Berlin ou Dresde ont toujours la réputation d’être les meilleures, surtout dans les domaines commerciaux et scientifiques, et les mieux dotées. Les institutions germano-baltes profitent également du soutien financier des organisations allemandes, spécialisées dans la défense du germanisme à l’étranger, tel le Verein für das Deutschtum im Ausland 189.

Le français étant peu connu, ou l’apanage des anciennes classes dirigeantes – les livres et journaux français restant chers et rares –, et que les langues utiles pour le commerce sont l’anglais et l’allemand, de Vienne peut craindre que le français soit « plutôt un accessoire de

théâtre qu’une réalité ». Les Estoniens ne connaîtraient selon lui « réellement que l’Allemagne »

et ne verraient « en somme que par l’Allemagne la civilisation occidentale »190.

Face à ce retour en force de l'allemand, on a vu que la France dispose de peu de moyens mais elle peut s’appuyer sur une francophilie largement diffusée dans les élites et même dans les masses malgré l’ignorance et le peu de liens avec la France. En tant que vainqueur de l’Allemagne, de clé de voûte du système qui a permis les indépendances baltes, la France, malgré le peu d’aide qu’elle peut apporter et ses hésitations, peut apparaître comme un allié potentiel. Plus que les Estoniens, les Lettons ont été victimes des dévastations allemandes. Ils font donc plus facilement le parallèle quand la presse, ou une exposition, leur parle de la France du Nord dévastée et se montrent nettement plus compréhensifs au moment de la Ruhr. D’autre

187 SHAT 7N 2777, rapport 1922, AMAEF, SDN, 459, 24 septembre 1922, Russie, 706 (12 août 1925), Lettonie, 25 (6 juin 1923).

188 AMAEF, Estonie, 21, 21 mars 1923.

189 AMAEF Russie, 706, 12 juillet 1921 et Lettonie, 25, 12 mars 1924. FARAUT (L.), « La Finlande… », op. cit.,

Le Parlement et l’Opinion, août 1921, HIDEN (J.), The Baltic…, op. cit., p. 53.

part le souvenir de l’aide de la flotte française, à l’automne 1919, est pieusement conservé191. Il n’est donc pas étonnant que l’accueil réservé au député français Géo-Gérald à l’automne 1921 soit fort sympathique192. Mais en général le prestige de la France victorieuse renforce chez les élites des deux peuples le rayonnement traditionnel de la culture française qui s'est amorcé, avant la guerre, par la traduction des grands écrivains et le rôle des arts français193. Il existe un certain désir de prendre comme modèle une société française, décrite par le président letton Tchakste comme un pays démocratique dont le fondement est la classe paysanne à laquelle la possession de la terre avait donné le goût du travail, de l’instruction et de l’économie. En démontrant également sa francophilie, on peut espérer donner des gages prouvant l’occidentalité des nouveaux États et leur désir de suivre les idéaux français. Les célébrations de Napoléon en 1921, de Molière en 1922 et de Pasteur en 1923 sont de véritables succès et un accueil enthousiaste est fait au musicien Vincent d’Indy et aux professeurs Hauser et Meillet194.

C’est ce sentiment général qui permet aux œuvres françaises bien chétives de survivre malgré la pénurie absolue de finances et le soutien limité des services français. Les administrations (ministère des Affaires étrangères, municipalités, universités) fournissent locaux et soutien et, malgré les conditions d’accueil, les nouvelles élites envoient leurs enfants dans les Lycées français de Riga et Reval (Tallinn) et fréquentent les Instituts français de Riga et de Dorpat (Tartu). Grâce à l’aide de l’association France-Estonie, du comité franco-letton et de quelques subventions du Quai d’Orsay, on envisage de créer des sections de lycées lettons dans le Nord de la France. D’importants dons de livres venant d’universités françaises sont également consentis à ces institutions comme aux nouvelles universités de Riga et de Tartu195.

Mais, comme le montrent les représentants français, la culture française ne pourra vivre éternellement sur le crédit de sa victoire et faire face, avec des moyens dérisoires, au travail de sape allemand. Au-delà du problème des finances, ce sont la capacité de l’administration française à engager un effort certain dans des pays à l’avenir incertain et à croire aux chances françaises de contester la puissance culturelle germanique qui sont en jeu. Le secteur économique en est un exemple encore plus frappant.

191 AMAEF, Lettonie, 3 (21 octobre 1920), 5 (9 juin 1922) et 6 (26 février 1923), Protocole, A/71, d2., Grosvalds (discours lors de la remise des lettres de créances (novembre 1921)).

192 Archives de l’Assemblée nationale, CAE (séance du 1er décembre 1921). 193 GROSVALDS (0.), « Discours », Bulletin letton, 19 août 1920.

194 AMAEF Lettonie, 26 (9 décembre 1922, 4 juin et 13 novembre 1923), SOFE, 52 (Pasteur (5 septembre 1922, 17 mars 1923) et C-Administrative, Instruction Publique, 475 et 481 (passim).

195 AMAEF, Lettonie, 26 (29 mai 1922), Estonie, 22 (21 mars 1922) et 42 (17 juillet 1922), LVVA, F2575/7, 804 (passim), 1945, Allocution de Montfort du 18 novembre 1936, HAUSER (H.), « Notre langue… », op. cit.,

Les rapports diplomatiques des attachés militaires comme des consuls décrivent, non sans un certain fatalisme, le retour à une prépondérance économique allemande presque naturelle. Dès 1921, les espérances des commerçants occidentaux de profiter des indépendances baltes pour prendre la place des Allemands s’estompent face à l’évidence.

En 1922, les importations allemandes représentent déjà respectivement 55 et 43% des importations étrangères en Estonie et en Lettonie et, en 1923, 51 et 45%. Cela constitue un retour très rapide à la situation d’avant-guerre où, au début du siècle entre 30 et 40% des importations dans le port de Riga viennent d’Allemagne. Compte tenu des retards pris dans les négociations commerciales germano-baltes et de l’effondrement de la monnaie allemande, les exportations estoniennes et lettonnes vers l’Allemagne sont plus modestes et représentent dans les deux cas 13% du total en 1922. Le marché allemand est cependant une destination privilégiée pour les produits agricoles baltes. Il faut noter, en ce qui concerne la Lituanie, que le commerce allemand a une situation de quasi-monopole : 70 à 80% des importations lituaniennes viennent d’Allemagne au début des années vingt. En 1923, 43 % des exportations lituaniennes se dirigent vers le Reich (Cf. Tableaux, Annexes E.5 et E.6)

L’agent commercial en Estonie Tournier, comme le consul à Riga Binet, souligne la proximité, les liens existant entre Germano-Baltes et les commerçants allemands (à partir de la Prusse orientale) et surtout la grande souplesse de ces derniers. Ils sillonnent le pays, possèdent un dense réseau de représentants commerciaux, des stocks dans les capitales baltes et peuvent répondre au plus vite, grâce à des communications rapides et fréquentes avec Königsberg ou Stettin, à toute demande. La présence allemande, imposante aux Foires de Riga et de Reval, fait le reste. De ce fait, en prenant en compte l’avance technique allemande dans certaines branches, les prix allemands restent quasiment imbattables. De plus, du fait de relations anciennes et déjà largement consacrées, avant la guerre, par une politique active d’investissements, les firmes et banques allemandes (contrôlant souvent une partie des banques locales) consentent beaucoup plus facilement de longs et larges crédits aux commerçants germaniques et juifs qui ont l’habitude depuis toujours de s’approvisionner en Allemagne. Enfin, la dépréciation continuelle du mark allemand renforce encore plus la position allemande. Du fait de la fermeture de la Russie et de la crise conséquente des industries locales, les nouveaux États dépendent beaucoup du charbon, des machines et de tous les produits manufacturés allemands196.

196 AMAEF, Estonie, 5, 29 juillet 1923, Lettonie, 34 (12 octobre et 21 décembre 21) et Lituanie, 72 (7 septembre 1921) et RC, C-Estonie, 19, passim et 20 (9 janvier 23) et la série d’articles déjà cités de Raoul MONMARSON dans la Libre-Parole, 26 avril, 17 mai et 10 juin 1921 ; FARAUT (L.), « La Finlande… », op. cit., Le Parlement et

L’impuissance commerciale française semble criante face à l’organisation allemande. L’inspecteur français des Wagons-Lits, de retour de Riga, montre dans son rapport que face aux réalités commerciales, du fait de leurs situations économiques fragiles, Lettons comme Estoniens doivent prendre en compte le poids commercial allemand et il n’est pas « étonnant que la

germanophobie des Baltes disparaisse petit à petit ». De Martel, ministre à Riga, peut parler des

Lettons qui risquent non de redevenir des serfs mais des clients dépendants197. L’Allemagne de Weimar fera de l’arme commerciale son premier atout pour pousser son action dans les différents bilatéraux existants et, surtout, pour empêcher toute politique extérieure trop contraire à ses intérêts198. La propagande polonaise, en grossissant le trait et en parlant de mainmise allemande sur l’économie lettonne à l’été 21, est certes démentie par les représentants français sur place, mais contribue à alarmer un peu plus une partie de l’opinion199.

L’image des nouveaux États baltes devient ainsi plus négative : de Vienne ne veut « pas

pousser au noir », mais décrit une Estonie où la technique allemande est à chaque carrefour, où

les navires emplissent les ports et les commerces de produits allemands, où les livres, les banques, la T.S.F. allemandes sont omniprésents200. Si on pousse le raisonnement, les Estoniens deviendraient des ennemis ou au moins des gens dont il faut se méfier. Comme le montre l’attaché militaire dans son rapport annuel, l’image de l’Allemagne impériale s’estompe face à celle positive du partenaire économique et de l’Allemagne libérale que les Baltes jugent en pleine évolution. Désormais les luttes passées de 1919 sont interprétées par beaucoup de ces derniers comme la destruction d’un ordre féodal et non plus comme la fin de la « citadelle" allemande de la Baltique : après l’acceptation allemande de la nouvelle situation, il n’y aurait plus obstacle à des relations pacifiques entre les trois pays et l’on envisage surtout en Estonie de rééquilibrer les relations.

Au total on peut donc constater que le rapport au germanisme a joué un rôle incontestable dans la stigmatisation de la Lituanie par la France et dans la formation d’une vision française relativement positive de l’Estonie et la Lettonie. Cela contribue à renforcer la volonté française d’intégrer ces deux États à la « barrière de l'Est » contre l’influence allemande. La germanophilie de la Lituanie brouillera son image définitivement et contribuera à l’isoler du