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Lorsqu’en 1914 l'Allemagne déclare la guerre à la Russie, les peuples baltes choisissent sans arrière pensée la cause russe : comme on l'a vu, ils pensent que la guerre permettra une certaine évolution (fragilisation du régime russe). A l'opposé, ils craignent fortement le danger allemand et la doctrine pangermaniste qui auraient fait disparaître, à plus ou moins long terme, les nations baltes par l'arrivée de colons allemands et la germanisation des populations. Lors de la conférence des Nationalités de Paris en 1912, le délégué letton Henri Simson rappelle que, dès 1905, les nobles allemands ont appelé l'armée allemande au secours « de la plus ancienne

colonie allemande ». Simson pense donc, que « la politique russe gagnerait beaucoup en s’attachant les Lettons » 23.

Au sein des divisions impériales commandées par Rennenkampf et Samsonov, beaucoup de jeunes Baltes ont participé à l'offensive de Prusse orientale, stoppée à Tannenberg (26 août 1914)24. La contre-offensive allemande amène la guerre dans les pays baltes car l'armée russe ne peut contenir la poussée des unités d'Hindenbourg et de Mackensen. En septembre 1915, le front se stabilise finalement sur la Daugava sur une ligne Riga-Dunabourg-Pinsk. Après plusieurs tentatives infructueuses, les Lettons obtiennent l'autorisation de constituer des légions nationales. Elles jouent un grand rôle dans le sursaut de l'armée russe, qui empêche l'armée allemande de s'emparer de Riga. Mais le bilan est lourd : l'Allemagne contrôle désormais la Lituanie et la Courlande. Ces pays sont dévastés et près de 760 000 Lettons ont quitté leur patrie pour la Russie sous l'ordre du commandement russe25.

La révolution de février 1917 fait espérer à de nombreux Baltes que leurs revendications seront écoutées mais ils vont être très vite déçus. Il faut rappeler qu'avant la guerre, l'intelligentsia libérale et démocratique n'a accordé qu'une faible place au « problème national » et considère l'intégration des indigènes comme naturelle. La fin de l'empire signifie la liberté pour tous, la mise en place d'un modèle unique d'intégration de toutes les composantes de l'Empire26. En 1917, Kerenski est ainsi persuadé, qu'une politique libérale et des réformes sociales satisferont les nationalités. Les concessions faites à ces dernières sont ainsi limitées. L'Estonie en est la principale bénéficiaire : la loi du 12 avril 1917 réunifie l'Estonie (rattachement à l'ancien gouvernement d'Estonie des cercles estoniens du gouvernement de

23 SIMSON (H.), « La Lettonie » (rapport fait à la conférence des Nationalités le 22-23 juin 1912), Choisy le Roi, 1912.

24 AMAEF, EUROPE (1918-1940), Russie, vol. 687, 13 novembre 1918. 25 NOULENS, Mon ambassade en Russie soviétique (1917-1919), Paris, 1933. 26 REY (M.P.), De la Russie… op.cit., p. 162-165.

Livonie) et crée un haut-commissaire. Celui-ci, désigné par le gouvernement russe, est assisté par un conseil national d'Estonie. Malgré quelques concessions, les Lettons du fait de l’occupation de la Courlande puis de la prise de Riga (septembre 1917) ne pourront jamais, comme les Estoniens, profiter de la période pour créer un embryon d'État national, ce qui leur fera cruellement défaut plus tard.

La Lituanie est encore moins bien « lotie » puisqu'elle est sous domination allemande depuis deux ans : les Allemands commencent certes à reconstruire le pays mais l'exploitent économiquement et pratiquent une politique de germanisation.

On le verra plus tard, la politique allemande est complexe et les discussions au sein de l’Empire mouvementées. Les autorités militaires d’occupation dans les provinces baltiques cherchent à favoriser les éléments germaniques, à faire de ces territoires des terres de colonisation allemande et en tirer le maximum de ressources économiques. En Lituanie, les autorités allemandes soutiennent d'abord les revendications polonaises (proclamation de l'indépendance de la Pologne en novembre 1916 sans examiner les revendications lituaniennes). Mais, craignant de plus en plus la naissance d'une Pologne francophile, elles se tournent vers le mouvement national lituanien. Les Lituaniens profitent alors du revirement allemand pour obtenir la réunion d'une Assemblée en septembre 1917 et la création d'un conseil national (« la Taryba »). Celui-ci se veut en fait un intermédiaire entre l'occupant et la population et promouvoir l’indépendance du pays contre la « mégalomanie polonaise ».27

La révolution d'Octobre provoque alors une nouvelle donne et fait franchir aux pays baltes un pas décisif vers la séparation d'avec la Russie et avec un régime auquel les nationalistes ne peuvent pas adhérer. Le Conseil national estonien déclare, le 28 novembre 1917, qu'il assume l'autorité suprême. Suite à la politique d'entraves des organes soviétiques installés en Estonie et la dissolution de la Constituante russe (15 janvier 1918), il proclame l'indépendance et remet ses pouvoirs à un conseil permanent. Les Lettons de leur côté se réunissent à Walk (à la frontière avec l’Estonie) en novembre 1917 et forment un conseil national provisoire. Il réclame la réunion d'une Constituante et l'organisation d'un plébiscite, qui consacrerait l'union de tous les Lettons dans une seule unité administrative. Au même moment est fondé, à Riga, le Bloc démocratique, qui organise la lutte contre l'occupation allemande. Ces efforts d'émancipation sont provisoirement suspendus par la volonté des bolcheviques de faire la paix : le 15 décembre 1917, des négociations sont engagées. Mais lorsque Trotski cherche à imposer sa conception d'une paix sans traité, le général Hoffmann décide la reprise de l'avance allemande. Prétextant

27 Voir pour le détail des évènements : CHAMBON (H. de), La Lituanie moderne, Paris, 1933, passim ; BOSSIN (A.), La Lituanie, Paris, 1933, p. 34 sq.

d'un appel à l'aide de la noblesse d'Estonie, les troupes allemandes débarquent le 20 février. Elles conquièrent rapidement le pays et mettent fin à l'indépendance de l'Estonie avant de rétablir les pouvoirs des barons baltes28. Le 16 février, la Taryba déclare cependant son indépendance pour prévenir les conséquences d'une paix éventuelle mais le Reich refuse de reconnaître cette proclamation.

Les traités de Brest-Litovsk (mars 1918) puis de Berlin (août 1918) consacre le renoncement de la Russie aux provinces baltiques. Des facilités lui sont promises pour ses communications commerciales à travers les pays Baltes. L'avenir des pays baltes « serait décidé

en accord avec la population"29. En Lituanie, le gouvernement allemand offre à la Taryba de reconnaître son indépendance en échange de concessions très larges (présence militaire, accords économiques, monétaires, douaniers). Mais pour l’ambassadeur de France à Stockholm Thiébaut, comme pour beaucoup d’Occidentaux, l'Allemagne entend bien garder à tout jamais ses pays et commencer, sans égards pour ses habitants, une véritable colonisation. En Lituanie, par contre, la Taryba, du fait d’une politique ambiguë, symbolise pour les Français la collaboration lituanienne avec l’Allemagne et la satellisation inévitable du pays30.