• Aucun résultat trouvé

À ce système de représentations s’ajoutent en effet les rivalités entre les missions diplomatiques. Les sociétés baltes sont en effet de plus en plus perçues selon un schéma dual, les partenaires de la France contre les partenaires de l’Angleterre. Les milieux militaires et intellectuels sont généralement jugés plus francophiles que les milieux d’affaires et une grande partie du monde politique. La Lettonie est jugée en général nettement plus francophile que l’Estonie dont l’anglophilie est l’objet de commentaires acerbes. L’attaché militaire français affirme « sans exagération aucune » que les dirigeants estoniens feraient volontiers de leur patrie une colonie anglaise. Lors de la venue d’escadres navales anglaises en 1921 et en 1924, le ministre français note que l’accueil est ainsi plus chaleureux que celui fait aux escadres navales

292 « Les guerres de la paix ont l’air de se compliquer », Intransigeant, 7 septembre 1920.

293 PINON (R.), « Chronique de la Quinzaine », Revue des Deux Mondes, 1er février 1923, p. 718. 294 AMAEF, Russie, 692 (13 mai 1920 et 4 mars 1922), 693 (15 mars 1922).

françaises. Dans les toasts, l’Angleterre est présentée comme un véritable allié de fait. Seule la délégation lettonne évoque le secours français lors du dernier conflit295.

Comme le rappelle crûment le ministre de la Guerre estonien, « l’Angleterre est la seule

à nous avoir compris ». Le souvenir de l’aide anglaise, décisive, fait souvent de celle-ci un allié

de fait, qui seul pourrait apporter un soutien décisif en cas de coup dur. Pour les diplomates français, les Estoniens et les Lettons qui « ne voient leur salut que dans l’Angleterre » sont légions. Chaque passage de la flotte britannique est vu comme une confirmation tacite de cette promesse d’aide296.

De ce fait le souvenir de l’aide anglaise ainsi que le rôle majeur de l’Angleterre dans le commerce d’avant-guerre des ports baltes (entre 40% et 50% des exportations du port de Riga au début du siècle) donnent à l’Angleterre un avantage certain pour la lutte économique qui oppose les industriels français (Association linière) aux industriels britanniques (Belfast, Dundee) pour la conquête du lin balte. Suite à la conclusion des contrats français liant ventes d’armes françaises à des fournitures de lin, les représentants des groupes financiers anglais entament à leur tour des négociations avec les gouvernements baltes. Un groupe financier anglais la National Metal and Chemical Bank, dirigé par un homme d’affaires aventureux Tilden Smith propose de faire une avance financière non négligeable en échange du monopole du commerce du lin pendant deux ans (rôle d'intermédiaire), de la livraison de quantités considérables de bois et enfin du contrôle des futures banques d'émission baltes (rôle dans l'émission des papiers de monnaie)297. Parallèlement ces groupes financiers prendraient des participations dans de petites banques baltes ou créeraient eux-mêmes des banques. Elles investiraient dans les affaires industrielles jugées rentables (filatures, sociétés maritimes).

Les avances financières sont en effet presque vitales pour des États, dont les caisses sont presque vides et qui ont bien du mal à prélever des fonds sur un territoire ruiné économiquement par les occupations successives298. Soutenu par le ministère des Finances, le ministre des Affaires étrangères réagit énergiquement et fait des démarches auprès des gouvernements baltes et anglais pour rappeler l'attachement français à « la liberté des exportations, défendue par les

représentants français conformément à l'article 23 du pacte de la SDN », son refus de voir les

Britanniques constituer un monopole pour des matières premières « nécessaires à notre industrie

et à notre ravitaillement »299.

295 AMAEF, Estonie, 3 (6 août 1921) et Lettonie, 6 (17 décembre 1924).

296 SHAT 7N 27777, d1/1 (janvier 1922), AMAEF Estonie, 3 (16 novembre 1921), Lettonie, 6 (26 juillet 1925). 297 AMAEF, Lettonie, 35 (21 décembre), Lituanie, 4 (22 octobre 1919).

298 AMAEF, Lettonie, 35 (6 novembre 1919).

Ce n'est pas un hasard si cette action économique et financière française culmine en janvier-mars 1920, au moment crucial des négociations des Baltes avec les Bolcheviques. Tout au long de l’année une guerre d’influence sévère (surtout à Riga où les plans anglais seront le plus précisés) s’engage dans les trois capitales baltes entre les commerçants et diplomates français et leurs homologues britanniques. Chacun tente de discréditer l’autre camp et de convaincre le gouvernement local qu’il va passer sous tutelle économique. Si les Français ne parviennent pas à monter un schéma aussi ambitieux en terme de crédits et n’ont pas une organisation commerciale adéquate, les plans anglais vont échouer également à la fin 1920, suite à la crise économique de l’après-guerre (chute des prix du lin et du bois) et aux réticences tout aussi importantes des banques anglaises300.

Malgré cela, l’Angleterre reste avec l’Allemagne le partenaire essentiel du commerce extérieur balte, recevant en 1923 respectivement 34%, 46% et 27% des exportations estoniennes, lettonnes et lituaniennes. Pour les importations, la part anglaise est moins importante et s’élève respectivement à 20%, 17%, 5 % des importations (Cf. tableaux, Annexes E.5 et E.6). Elle reste très loin sur ce plan de l’Allemagne. Or ce qui est insupportable pour la diplomatie française, c’est finalement moins la faible part du commerce français (l’intérêt économique des pays baltes pour la France n’est pas jugé fondamental) que l’incapacité française à faire face à la concurrence anglaise. Les pays baltes deviennent un symbole d’un certain déclin de la puissance française et révèlent donc une dévalorisation de l’image française à l’étranger301. La création de banques franco-baltes n’est pas ainsi le fruit d’initiatives spontanées des milieux d’affaires hexagonaux mais plus le résultat de démarches des représentants français « pour montrer dans

ces pays nordiques que la finance française est encore capable d’essaimer à l’étranger »302. Ces quelques tentatives (contrôle des pétroles estoniens ou investissements dans les infrastructures du port de Libau) restent dérisoires face à l’ampleur de l’implication anglaise. Les rapports insistent sur la puissance de maisons de commerce comme des industries d’armements. Ces dernières possèderaient un « véritable service de renseignement commercial » organisé quasi administrativement. Une série de représentants locaux se tiendraient « rigoureusement au

courant de tous les besoins » baltes et n’hésiteraient pas à faire les sacrifices nécessaires pour

s’assurer des débouchés. La présence de nombreux navires anglais, les visites d’ingénieurs, de courtiers qui sillonnent le pays et dressent des plans d’équipement et d'électrification, les crédits

300 HINKKANEN-LIEVONEN (M.-L.), British Trade and enterprise in the Baltic States 1919-1925, Helsinki, 1984, p. 148-168.

301 FARAUD (L.), « L’influence de l’Angleterre et la nôtre dans les pays baltes », Le Parlement et l’Opinion, 20 février 1923, p. 383.

des banques anglaises sont évoqués non sans un certain découragement. Les diplomates français ne peuvent dans leurs rapports que leur opposer les rares bateaux français, les quelques « mercantis » venant tirer un unique « coup de fusil fructueux », le refus du commerce français de vendre autrement qu’au comptant et la vente de produits de bien moins bonne qualité que les Anglais303.

Or il est frappant alors de constater qu’à la même époque les diplomates anglais sont bien loin de se montrer enthousiastes. À l’exception de quelques firmes dynamiques, l’ensemble du commerce anglais souffre face aux concurrents allemands des mêmes tares que son homologue français (manque de proximité, d’adaptation aux marchés, réticences à des crédits trop longs, difficultés d’avoir des représentants convenables). La trop grande glorification du modèle anglais semble souvent servir à exhorter les milieux d’affaires français à suivre l’exemple anglais304.

On trouve aussi dans ces rapports le désir de disqualifier la puissance britannique en opposant la prétendue vertu française aux pratiques déloyales britanniques. En visite dans les pays baltes, le chef de la division navale française critique ainsi la « malhonnêteté » anglaise. En prêtant des capitaux aux banques estoniennes, les Anglais donneraient l’impression qu’ils sont les seuls à comprendre les Estoniens, à les aider à faire revivre l’industrie et le commerce. Ils obtiennent ainsi des concessions économiques avantageuses (Douxami donne l’exemple des schistes bitumineux et pétrolifères) mais quelque temps plus tard en se servant du danger bolchevique comme prétexte, ils rapatrieraient leurs capitaux vers Londres305. Les rapports évoquent aussi surtout la corruption des responsables baltes par les Anglais. De Martel annonce ainsi la probable démission du ministre letton à Londres pour que ce dernier ait « la liberté

d’accepter les témoignages de reconnaissance très concrets que tiendraient à lui donner certaines banques et firmes anglaises »306.

De même alors que certaines maisons françaises ont été sur le point de remporter des appels d’offre (des avions de chasse, un brise-glace, etc.), les maisons anglaises ont su faire jouer leurs relations et renverser la tendance.

Lorsque la France tente d’obtenir la réalisation du programme naval letton par ses chantiers, on voit également la main de l’Angleterre derrière les services financiers lettons qui rechignent à se lancer dans de trop grandes dépenses (on pense là aussi que les Anglais tenteront

303 Cf. les articles de Raoul MONMARSON dans la Libre Parole des 26 avril et du 17 mai 1921 et AMAEF, Russie, 706 (12 juillet 1921), RC 1918-1940, C-Lettonie, 5, 23 janvier 1924.

304 HINKKANEN-LIEVONEN (M.L.), British… op. cit., p. 220-230. 305 SHM, SS, Li, 10, 16 novembre 1921.

de profiter du retard ainsi pris dans l’adoption du programme pour renverser la tendance)307. En Estonie c’est l’affaire de la Société russo-baltique de constructions navales qui donne du grain à moudre aux accusations françaises. Le refus des diverses instances estoniennes de reconsidérer l’affaire, d’empêcher la remise jugée illégale de l’entreprise au groupe anglais est liée pour les Français aux offres alléchantes des Anglais, qui intéresseraient les personnalités estoniennes les plus importantes à l’affaire et feraient des démarches diplomatiques demandant la ratification du contrat d’affermage. Les commerçants et diplomates français affirment donc s’incliner devant « l’impudente malhonnêteté » et le « peu de désintéressement » de certains dirigeants estoniens et en particulier du général Laidoner, héros de la guerre d’indépendance que l’on accuse d’avoir mis son prestige au service des Anglais308. Mais là encore on tait pudiquement que dans toutes ces affaires et notamment lors de la commande de navires par la Lettonie, les commerçants français ont su sans grande hésitation donner eux aussi des « témoignages concrets de

générosité » pour bien disposer leurs interlocuteurs officiels et s’assurer des soutiens politiques

au sein des différentes commissions parlementaires.

La culture ne fait pas exception à la règle. Dès l’origine, les lycées français de Tallinn et de Riga s’opposent aux instituts anglais, « où l’on travaille contre nous » (ils interdiraient des revues françaises (légères) comme « La Vie Parisienne » ou « Le Sourire » !). L’octroi de subventions pour des voyages en France, de bourses pour les étudiants est décidé à la suite d’initiatives anglaises analogues309. On note également avec précision quels sont les responsables politiques qui envoient leurs enfants au lycée français ou dans les instituts anglais310.

L’idée d’une rivalité franco-anglaise en Baltique basée sur le désir anglais d’une hégémonie complète est donc fortement ancrée dans la majorité de l’opinion. On en trouve certes moins de traces dans la grande presse et dans les journaux dits modérés, mais cela tient en fait qu’on attache plus de prix à l’amitié avec l’Angleterre et qu’on veut sans doute limiter l’affrontement aux affaires jugées les plus importantes. Or on peut se demander si l’ignorance et les différentes craintes ne donnent-elles pas une image finalement trop noire des rapports franco- britanniques, surtout quand on examine les rapports non des diplomates sur place mais les idées

307 Ibid., 30 mai 1924 et SHM, 1 BB3, 17 (Dossier Commande de matériel naval). 308 AMAEF, Estonie, 35, passim.

309 AMAEF, Estonie, 22, 19 août et 12 septembre 1921, FARAUT (L.), « L’influence… », op. cit., Le Parlement

et l’Opinion, 20 février 1923.

310 HINKKANEN-LIEVONEN (M.L.), British… op. cit., p. 109, AMAEF, Lituanie, 6 (Note de Charles Quenet,14 janvier 1921).

défendues par les administrations centrales.

3. L’hostilité franco-britannique, une idée reçue à nuancer ?

Loin de s’appuyer sur une étude précise de la situation, ces articles français n’utilisent que quelques faits isolés ou des rumeurs pour plaquer un schéma utilisant les idées traditionnelles de l’anglophobie et les stéréotypes qui se sont développés en France face à l’action britannique en 1919-1920. Ceux-ci sont en permanence invoqués dans les années qui suivent et sont en quelque sorte coulés dans le moule de l’éternité. Face à une littérature abondante surestimant grandement l’ampleur des disputes franco-anglaises, rares sont ceux qui comme l’Amiral Degouy analysent rationnellement la situation et la réflexion britannique. L’officier français démontre ainsi la difficulté qu’auraient les Anglais à contrôler le Danemark et à protéger les ports baltes. Les « Gibraltars septentrionaux », même s’ils commandent l’accès à la Russie, ne sont liés à aucune route vitale comme celle des Indes qui puissent, selon Degouy, justifier un fort engagement britannique311.

Cet ensemble de préjugés loin de se vouloir rationnel semble avoir encore une fonction explicative, celle d’expliquer la consolidation d’États dont la naissance reste mystérieuse. Il est caractéristique que plusieurs journaux de droite établissent une sorte de connivence entre l’Allemagne et l’Angleterre qui auraient depuis l’armistice « repris la protection » de ces États. Comme le résume plus tard Jules de Twardowski dans le Monde Slave d’août 1926, ce sont les armes allemandes qui ont détaché les territoires baltiques de la Russie, c’est l’Angleterre qui les a constitués en États nationaux. Certains, tel Henri Grappin dans l’Eclair, vont même à évoquer, dans la continuité des problèmes franco-anglais à propos de l’Allemagne, une coopération encore plus directe entre l’Angleterre et la diplomatie d’affaires de Stinnes pour isoler la Pologne312.

Dans ce système de représentations, l’Angleterre fait donc office de grand brouilleur du jeu français. Le fantasme d’une politique anglaise si systématique permet d’apporter des réponses aux échecs des espérances ou de la stratégie française. Il contribue d’une certaine manière à masquer la faiblesse ou l’impuissance française voire son isolement face à une série de

311 DEGOUY (Amiral), « L’Equilibre des forces navales dans la Baltique », Revue de Paris, 15 décembre 1919, p. 870, HIDEN (J.), The Baltic… op. cit., p. 108.

312 TWARDOWSKI (J. de), « Balkans et Baltique », Le Monde Slave, Août 1926, p. 204.

« La démission de Pilsduski. Veut-on rejeter l’Europe dans le Chaos ? », GRAPPIN (H.), « L’activité allemande dans les pays baltes », Éclair, 19 octobre 1920 et 5 octobre 1921.

puissances machiavéliques susceptibles de coordonner leur action contre elle. D’un autre côté, en fortifiant ce sentiment plus ou moins latent d’infériorité française par rapports à ses rivaux européens, le but est aussi de stimuler l’effort français, de critiquer éventuellement l’inactivité du gouvernement et de chercher à promouvoir une politique plus active. C’est la tactique des baltophiles qui déplorent, tel Aulard dans l’Ère nouvelle, que la France, malgré de bons atouts, ne cesse de perdre du terrain face à l’habileté anglaise.

On peut se demander également si, au niveau politique, les rapports des représentants diplomatiques ou militaires français dans les pays baltes ne jouent pas sur cette carte pour valoriser leur action, obtenir plus de moyens ou un soutien plus actif dans de petites capitales où les rivalités s’exacerbent facilement et où l’on n’est pas toujours au courant de toutes les évolutions des politiques menées à Londres ou à Paris. De Martel, dans les rapports cités plus haut, a toujours tendance à donner une vision très critique de la politique britannique. Padovani, au printemps 1922, ne perd pas une occasion pour mettre en valeur l’initiative française visant à reconnaître la Lituanie par rapport à l’opposition présumée ou aux lenteurs britanniques313. A l’opposé Vaughan, le ministre britannique dans les pays baltes se montre particulièrement perméable aux insinuations lituaniennes, qui confortent ces appréhensions vis-à-vis de la France. Il craint en février 1923 un impérialisme français qui utiliserait la Pologne pour encercler l’Allemagne avec la Lituanie, obtiendrait une base navale à Memel et établirait son hégémonie en Baltique, compte tenu de la faiblesse des autres puissances. Il reconnaît certes le manque de preuves dont il dispose et le danger de suspecter un allié. Mais, de même que les Français reprochent aux Britanniques leur politique en Silésie ou en Syrie, c’est la politique turque de la France qui devient objet de reproches. Terminant sa dépêche, il évoque une France ayant exécuté ses plans et fait de la Méditerranée un lac français en envahissant l’Espagne. Que ferait l’Angleterre avec une armée et une aviation très inférieures ?314. Ce genre de craintes souligne bien la perméabilité de diplomates isolés dans des États lointains, peu informés des évolutions les plus sensibles des politiques menées par leurs chancelleries. Ils sont donc plus dépendants de ce qu’ils peuvent entendre et lire dans la presse locale et dans les journaux qui leur parviennent de leurs pays.

Dès lors la vision exposée à Riga ou à Tallinn de la politique anglaise ou française peut parfois quelque peu différer des opinions qui prévalent au Quai d’Orsay ou au Foreign Office et contribuer à susciter des tensions ou à induire en erreur les Baltes.

Il est certes incontestable que ce climat de méfiance pèse sur les deux diplomaties qui

313 DBFP, I, XXIII, 373-5. 314 DBFP, I, XXIII, 535, 628.

soutiennent les efforts de leurs nationaux, veulent conserver leur influence et empêcher l’autre d’avoir une hégémonie. Quand Gabriel Hanotaux se retrouve isolé à la SDN, suite au refus français de voir la Lituanie admise, il écrit rageusement dans ses Carnets que la SDN, contrôlée par les agents britanniques, est le moyen pour les Anglais de faire aboutir leur plan. Celui-ci vise « à subordonner les petits États et notamment les États baltiques et à se servir d’eux comme

ponts vers la domination du Nord, contre la Pologne, avec ou contre les Soviets selon les circonstances »315.

Un article du Temps de décembre 1922, très caricatural, décrivant l’Estonie et la Lettonie comme des créatures anglaises suscite par exemple des démarches indignées de la part des ministres des pays baltes. Or le Quai d'Orsay réagit très peu et invoque hypocritement la liberté de la presse. Si l’article ne semble pas avoir été « commandé » par le Quai d’Orsay mais avoir été plutôt inspiré par des milieux russes, il est clair que les vues exprimées ne scandalisent pas les diplomates français316.

Mais est-on prêt à transformer ces rivalités en luttes ouvertes ? Contrairement à ce que pense l’opinion, la politique anglaise est beaucoup plus hésitante et divisée. L’intérêt anglais pour la Baltique est largement surestimé en fait par l’opinion française comme par les Baltes d’ailleurs. Dès l’automne 1920 la Grande-Bretagne, suite au conflit russo-polonais, craint une réincorporation inévitable des États Baltes dans la Russie. Elle refuse de prendre tout engagement qui pourrait la contraindre à apporter une assistance définie aux États baltes. Elle révélerait également alors sa difficulté à concilier une stratégie à grande échelle avec un potentiel militaire et naval limité. Curzon refuse ainsi dans un premier temps de reconnaître la Lettonie en janvier. Il craint que la mise en jeu de l’article 10 du Pacte n’oblige l’Angleterre à rentrer en guerre contre la Russie.

D’un autre côté, on tient à éviter autant que possible une victoire des influences allemandes et bolcheviques. En ce sens, il est caractéristique que la Grande-Bretagne se montre certes méfiante avec la Pologne dans la mesure où elle apparaît comme l’instrument de la France. Les prétentions polonaises à se comporter comme une grande puissance sont jugées utopiques et risquent finalement plus, pour le Foreign Office, de déstabiliser l’équilibre fragile de la zone.

Mais dans un autre sens, l’idée d’une entente entre la Pologne et les pays baltes peut

315 HANOTAUX (G.), Carnets, Paris, 1982, p. 355 (3 octobre 1921).

316 Le Temps défend à l’époque l’idée d’un certain rapprochement entre les intérêts français et russes. D’après Pélissier, il semblerait qu’un intermédiaire, un certain Markotoune ait acheté en partie le journal.

apparaître comme un moindre mal. Curzon se rallie à l’idée d’une sorte de lien fédéral entre la Pologne et la Lituanie, mais à condition que cela ne cache pas une annexion polonaise déguisée. Si la diplomatie anglaise est réticente à un rapprochement polonais avec les autres pays baltes, c’est plus parce qu’elle estime que la menace bolchevique n’existe presque plus. L’accord