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1 Cadre méthodologique et analytique

1.2 Une posture de participation observante

La posture d'investigation développée a été celle de la « participation observante », à distinguer de celle d'« observation participante ».

Apparue vers la fin des années 30, « l'observation participante » s’apparente à une technique de recherche par laquelle le sociologue observe un milieu social dont il fait partie (Soulé, 2007, p. 126). Pour Jean Peneff (2009, p. 10) : «  le sociologue sort de son bureau, se mêle à la vie ordinaire et intervient dans le concert des rôles sociaux pour

obtenir les éléments d’un savoir qu’il rapporte à ses lecteurs »115. L’observation participante se singularise par la « pratique de l’immersion » que l’on différencie d’un « contact prolongé ». Cependant Bastien Soulé précise que « (…) dans son acception la plus large, le terme d’observation participante décrit une forme d’observation lors de laquelle le

chercheur « annonce la couleur ». Il est alors connu en tant qu’observateur extérieur (…) » avec le risque de voir changer

le comportement des personnes observées.

Van Campenhoudt et Quivy (2011, p. 141) définissent l'observation par « l'ensemble des opérations par lesquelles

le modèle d'analyse (constitué d'hypothèses et de concepts avec leurs dimensions et leurs indicateurs) est soumis à l'épreuve des faits, confronté à des données observables. Au cours de cette phase, de nombreuses informations sont donc rassemblées ».

L’observateur se positionne « systématiquement et délibérément en situation d'être surpris », il observe des aspects du phénomène étudié qui ne cadrent pas obligatoirement avec son intuition de départ (Van Campenhoudt et Quivy 2011). Il teste, ainsi, les hypothèses qu’il a préalablement définies. L’observation a pour finalité « d’analyser les conduites et les situations avec le moins d’écrans possible. » (Peneff, 2009, p. 37). Notre cadre d’analyse étant posé, notre démarche s’est construite autour de l’observation participante : une démarche itérative qui nous a conduite de la théorie au terrain, avec « une double interrogation au cas par la théorie et de la théorie par le

cas » (David in Rasolofo-Distler et Zawadzki, 2013, p. 4).

Notre démarche s’appuie sur la posture du « praticien réflexif », qui consiste à prendre du recul et revenir en arrière sur un fait ou un événement vécu afin d’en tirer des connaissances. Donald Schön (1983), théoricien du travail de conception qui s'inscrit dans le courant de la sociologie pragmatiste (Lorino, 2018), a montré que, dans des domaines comme l’urbanisme, les praticiens pouvaient « travailler à la mise en œuvre des

connaissances apprises en les adaptant et les affinant sans cesse au gré des situations changeantes et souvent imprévisibles ». Il

s’agit ainsi de traduire par des mots, des pratiques jusqu’ici exercées de manière inconsciente ou sans être pensées.

115 Ce terme est « brouillé », la sociologie possédant déjà plusieurs méthodes qui « mettent en avant le terrain, du fait de sa simple présence » (Peneff, 2009).

1.2.1 La difficulté de l’observation participante : un besoin d’objectivisation

participante

Hervé Dumez (2016) met en valeurs trois risques inhérents à toute démarche qualitative:

- Le risque des acteurs abstraits qui se traduit par l’absence de description et de narration des acteurs « une distinction fondamentale doit être faite entre la situation telle que la vivent les acteurs et la situation telle qu’elle est vue par le chercheur. Les deux doivent être mises en tension, et c’est de cette tension que naît l’analyse. » (Dumez, 2016, p. 13)

- La circularité : « Il s’agit du risque de circularité, qui consiste à ne voir dans le matériau empirique que ce que

confirme une théorie » (Dumez, 2016, p. 14). Une recherche qualitative rassemble des matériaux riches

et hétérogènes : « Il est facile de trouver dans le matériau des éléments qui confirment une théorie en laissant de

côté ce qui pourrait la mettre en cause, ou la nuancer » (Dumez, 2016, p. 14).

- L’équifinalité : « le même état final peut être atteint à partir d’états initiaux différents, par des itinéraires

différents » (von Bertalanffy, 1973, p. 38)

L’observation participante présente, elle aussi, des risques (Wacheux, 1996) qu’il s’agit d’anticiper. Tout d’abord, celui de prééminence du rôle d’acteur sur celui de chercheur. Les aléas du regard entraînent une élection des faits : une interaction et une participation impliquées peuvent déformer les perceptions du chercheur. Le chercheur observateur construit des représentations de la réalité qui sont influencées par sa personnalité, son expérience et la situation vécue Enfin, le lien contractuel qui existe entre le chercheur et son terrain peuvent le soumettre à une pression « politique ».

Pierre Bourdieu n’utilise pas le terme commun d’observation participante mais lui préfère l’expression « objectivation participante ». Celle-ci « se donne pour objet d’explorer, non « l’expérience vécue » du sujet connaissant,

mais les conditions sociales de possibilité (donc les effets et les limites) de cette expérience, et plus précisément, de l’acte d’objectivation » (Bourdieu, 2003, p. 44). Il appelle ainsi à se « référer à sa propre expérience mais pas, (…) de manière honteuse, inconsciente ou incontrôlée ». Il précise : « rien n’est plus faux, selon moi, que la maxime universellement admise dans les sciences sociales suivant laquelle le chercheur ne doit rien mettre de lui-même dans sa recherche » (Bourdieu, 2003,

p. 51). Bourdieu décrit ainsi la manière dont il faisait appel à son « expérience » et « intuition » pour décrire les observations réalisées.

Face aux limites mises en exergue, une autre posture, dite de « participation observante » a permis de modifier le rapport du chercheur à son objet. « La participation entraîne inévitablement des relations de proximité,

voire d’une intimité avec les acteurs d’un terrain. L’observation constitue pour sa part une activité « naturelle » de tout participant. Mais dans son acception académique la plus rigoureuse, elle est supposée s’appuyer sur une mise à distance objectivée de ces même relations humaines » (Soulé, 2007, p. 131). Tedlock (in Soulé, 2007) explique que les ethnographes

doivent re-conceptualiser l’observation participante en « participation observante ». L’observation ne porte plus sur l’autre mais sur la relation que l’ethnographe entretient avec l’autre. L’ethnographe assume sa position et l’intrication entre lui et son terrain : « il ne peut prétendre être objectif et observateur participant » (Soulé,

2007, p. 131). L’observateur consacre plus de temps à participer qu’à observer « La présence sur le terrain n’est

pas seulement destinée à décrypter un système social de l’intérieur ; elle vise à comprendre ce que c’est qu’être un acteur de ce terrain, compréhension qui demeure toutefois ancrée dans une expérience subjective ».

Ma position au sein de l’Atelier Prigent a donc plutôt été celle de la participation observante. Lors des nombreuses réunions avec élus et techniciens, ateliers de concertation avec les habitants, j’étais directement impliquée pour le compte de l'agence (en tant qu'animatrice, chargée de projet) mais aussi d’observatrice. Nous avons mis en place un dispositif d’observation afin de recueillir des données utiles à l’analyse de l’objet de recherche.

1.2.2 Le dispositif d’observation

Lorsqu’il aborde la démarche qualitative, Hervé Dumez (2012, p. 30)explique que « une démarche de recherche

qualitative n’a de sens que si elle montre et analyse les intentions, les discours et les actions et interactions des acteurs, de leur point de vue et du point de vue du chercheur. Or, trop souvent, les analyses qualitatives font agir des notions, des idées, des variables, des structures plutôt que des acteurs pensant et agissant ». Pour éviter cet écueil, Dumez (2011, 2012)

conseille de « se forcer à décrire » ajoutant que « narrer les actions et les interactions peut être un moyen d’éviter un tel

risque » (Dumez, 2012, p. 30).

Pour ce faire, nous nous appuyons sur le système de triangulation des données : « observations, entretiens,

documentations ou autres artefacts sous tous leur formes » (Roussel et Wacheux, 2005, p. 37). L’observation a « besoin d’être outillée pour produire un corpus de données utile à l’analyse de l’objet de recherche » (Gavard-Perret et al., 2012,

p. 197).

Le premier outil utilisé, dans le cadre de notre recherche, est la prise de notes. Nous distinguons trois types de notes (Gavard-Perret et al., 2012) :

- Les notes de terrain ; - Les notes méthodologiques ; - Les notes d’analyse.

Chaque semaine, nous tenions un journal de terrain, organisé par thématique en fonction des études de cas, complété par des réflexions « à chaud ». Lors des réunions, nous prenions des notes « sur le vif », puis réalisions un compte rendu a posteriori (au plus tard trois jours après la réunion) comme le préconise Jean Peneff (2009).

Le deuxième outil de l’observation est l’enregistrement audio et/ou vidéo. Nous mobilisions l’enregistrement audio lorsqu’il était officiellement accepté par les parties prenantes, principalement dans les réflexions menées avec Madame Prigent juste après les réunions.

Nous avons utilisé de nombreuses sources documentaires : nous avons obtenu l’autorisation de mobiliser tous les documents en possession de l’Atelier Prigent, en lien avec nos études de cas et notre travail de thèse

: documents administratifs, courriels, plans, supports de présentations des réunions, réponse à l’appel d’offre initiale, etc.).

Ainsi, en tant que chargée de projet, notre posture n’est donc pas celle d’une simple observatrice, mais plutôt d’une « actrice du processus ». Malgré les difficultés qu’elle implique, cette « immersion sur la durée » est particulièrement pertinente lorsqu’il s’agit d’étudier des processus et des schémas d’acteurs. En effet, celle- ci « (…) permet au chercheur de ne pas fonder ses études uniquement sur la perception des acteurs (les déclarations dans le

cadre d’interviews ou de questionnaires) mais de les recouper par référence aux pratiques et aux caractéristiques réelles des outils et des visions des acteurs en action » (Rasolofo-Distler et Zawadzki, 2013, p. 4).

Nous avons complété notre travail par la conduite d’entretiens semi-directifs réalisés en marge et à la fin de la mission ; il s’est agi d’étudier les élus au sein d’un système d’acteurs que l’Agence a tenté de structurer au fur et à mesure de l'avancement de la mission. À travers cette analyse, notre objectif était de comprendre la place qu'occupent les élus dans une mission initialement portée par un groupe d'habitants ; les différences pouvant exister entre les enjeux « perçus » par l’Agence Prigent lors de la mission, et ceux révélés par les entretiens semi-directifs apportent d'autres éléments de compréhension sur les positions et interactions entre acteurs concernés.

1.2.3 Le dispositif de collecte de données

La grille d’observation « est la déclinaison en indicateurs observables des hypothèses faites sur des relations entre plusieurs variables ou sur la nature d’un phénomène. Elle précise ce qui doit être observé systématiquement, comment, et éventuellement dans quel ordre » (Gavard-Perret et al., 2012, p. 189). Frédéric Wacheux (in Gavard-Perret et al. 2012) précise que la grille d’observation permet de trouver un équilibre entre l’observation « flottante » et l’observation « systématique » :

- L’observation flottante est réalisée « au fil de l’eau (…) et revêt un caractère parfois informel et renvoie à des

moments de convivialité partagés par le chercheur avec les acteurs du terrain » (Gavard-Perret et al., 2012,

p. 189).

- La grille d’observation, quant à elle, permet de développer des observations systématiques :

« l’observation flottante joue donc un rôle de veille, en permettant au chercheur, par ailleurs engagé dans des observations systématiques, de rester vigilant sur d’autres composantes du terrain et ouvert à des problèmes émergents qui pourraient se révéler décisifs dans l’analyse de son objet de recherche » (Gavard-Perret et al., 2012, p. 190).

Dans le cadre de notre recherche, nous avons tout d’abord réalisé des observations flottantes. Elles étaient effectuées lors de moments informels avec les acteurs en lien avec notre objet de recherche : discussions avec Madame Prigent sur le chemin du retour après des réunions avec les élus des projets urbains étudiés, par exemple. Nous avons réalisé des observations systématiques sur notre terrain de recherche grâce à une grille d’observation qui a évolué au cours de notre travail.

Une première grille d’observation a été produite en nous appuyant sur celle établie par James Spradley (1980). Elle est fondée sur le fait que toute situation sociale peut-être identifiée par trois éléments (Figure 21) : le lieu, les acteurs et les activités. En faisant de l’observation participante, on se retrouve situé en un lieu, on examine des acteurs et s’implique avec eux, l’on participe et regarde ces activités.

Figure 21 Les trois éléments pour l’observation d’une situation sociale

Source : Spradley, 1980.

Spradley (1980, p. 58) distingue plusieurs niveaux de participation du chercheur au processus : de la « non- participation » à la « complète participation » (Tableau 7).

Tableau 7 : Degré d'implication de l'observateur

Degré d’implication Type de participation

Elevé Faible Complète Active Modérée Passive

Aucune implication Non-participation

Source : adapté de Spradley (1980)

Notre position au sein de l’Atelier Prigent s’apparente à celle de la « participation complète » que Spradley (1980, p. 58) définit comme le « plus haut niveau d’implication pour les ethnographes lorsqu’ils étudient une situation

dans laquelle ils sont déjà des participants habituels ».

Cette posture en immersion permet d’avoir accès à des données quasi confidentielles particulièrement difficiles à obtenir autrement (Grawitz, 2001). Dans le cadre de notre thèse, sous condition de respect de l'anonymat, nous avons eu accès à l’ensemble des dossiers (courriels, photos, plans, conversations

échangées, officielles ou officieuses) liés aux échanges entre l’Atelier Prigent et les différents acteurs des projets étudiés.

Cette situation présente cependant des inconvénients pour le chercheur dont il faut être conscient afin d’en minimiser, dans la mesure du possible, les conséquences : risque de confusion entre la mission et l’objet de recherche ; degré d’indépendance et de détachement faible par rapport à l'action (Rasolofo-Distler et Zawadzki, 2013).

Cette première grille d’observation étant trop large, nous en avons mobilisée une seconde, élaborée à partir de celle proposée par Héloïse Nez dans sa thèse (2011) pour prendre des notes ethnographiques lors de dispositifs participatifs. Elle permet de rendre compte des modalités de la réunion (organisation, configuration de la salle, participants) et des interactions entre les acteurs (sujet débattus, prises de parole, type de savoirs mobilisés et relations entre les acteurs et ambiance générale) afin de comparer les instances participatives. Au fur et à mesure de notre processus de réflexion, nous l’avons enrichie d'autres observations nécessaires à l’utilisation de notre cadre d’analyse.

Pour chacun de nos cas, nous retracerons les grandes étapes du projet urbain et analyserons le dispositif participatif qui y a été déployé, en nous basant sur nos propres observations. Nous préciserons les objectifs initiaux définis par la maîtrise d’ouvrage, les outils et méthodes mis en œuvre, les acteurs mobilisés.

Dans un deuxième temps, nous centrerons notre analyse sur la posture des élus concernés, en nous appuyant sur la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud et la sociologie de l’action organisée. Nous nous focaliserons sur le projet d’aménagement d’espace public dans sa dimension processuelle, en tant qu’action collective.

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