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1 Le projet urbain, entre approche typo-morphologique, socio-politique et urbanistique : quelle place

2.2 La participation citoyenne : un impératif pour les concepteurs et le politique

2.2.3 Des métiers de l’urbanisme aux professionnels de la participation

Le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement (Gaudin, Merlin, et Noisette, 2010) souligne la multiplicité des métiers qu'intègre la profession d’urbaniste : « Spécialiste de l’urbanisme, c’est-à-dire de la pratique

de l’aménagement des villes. Profession autonome ou spécialisation professionnelle, cette alternative fait l’objet d’un débat reflétant la multiplicité des activités comprises sous le terme d’urbanisme et la diversité des auteurs qui ont tenté de définir l’urbanisme comme un champ spécifique ». Les praticiens de l’urbanisme « constituent un ensemble professionnel à la recherche d’une définition de lui-même » (Biau, 2009, p. 73) : les formations initiales (architecte, ingénieur, géographes,

sociologues,.. ) et plus spécialisées des professionnels de l'urbanisme sont particulièrement hétérogènes et ont accompagné le développement réglementaire. La loi Cornudet de 1919, ancêtre des lois de planification urbaine en France, est un vecteur de professionnalisation en France (Claude, Biau et Tapie, 2009). Les villes doivent élaborer des Plans d'Aménagement, d'Embellissement et d'Extension. Elles doivent, dans cette perspective, faire appel à un « homme de l'art » qui est souvent un architecte, un géomètre ou un ingénieur. Les années 60 et 70 sont un nouveau moment intense de professionnalisation dans le champ de l'urbanisme et de la construction, avec pour toile de fond la Reconstruction, la mise en place des schémas directeurs et de nouvelles modalités de planification et de programmation urbaine, suscitant la création de structures d'études publiques et privées, et le développement d’équipes pluridisciplinaires. Mais les pratiques de l'urbanisme alors mises en œuvre, souvent très technocratiques et peu respectueuses des contextes locaux, font l'objet de contestations. Des mouvements qualifiés de « luttes urbaines » émergent pour remettre en question des opérations de rénovation brutale, comme l’illustre le projet emblématique de l’Alma-Gare à

Roubaix63. Des habitants accompagnés par des architectes engagés deviennent des acteurs incontournables de la transformation de leur cadre de vie. La place des citoyens dans la « production de l'espace » est au cœur des débats autour de la réforme de l'enseignement de l'Architecture dans le contexte de Mai 68 (Ragon, 1977, (Ragon, 1977 ; Violeau, 2005). C’est dans ce contexte que le fondateur de l'Agence Prigent, Christophe Prigent, diplômé des Beaux-Arts de Paris en 1968, développe ses premiers projets participatifs avec des élus locaux de gauche d’une commune du Grand Ouest de la France, très engagés dans les méthodes alternatives. Les mouvements de « luttes urbaines » s'essoufflent cependant au cours des années 80 et 90. et les démarches participatives ne dépassent pas le stade de l'expérimentation. Malgré les incitations réglementaires qui se mettent alors en place, « la plupart des maîtres d’ouvrages urbains en France semblent se contenter d’organiser des dispositifs

obéissant davantage à de logiques communicationnelles ou réactives que coproductives » (Zetlaoui-Léger, 2013b). De

nombreux maîtres d’ouvrage envisageant la participation comme une perte d’autorité et certains techniciens refusent de reconnaître la légitimité ou l'intérêt des savoirs citoyens. Mais l'intégration des principes du développement durable dans les domaines de l'aménagement et de la construction modifie, à partir des années 2000, le contexte d’exercice des métiers de l’urbanisme et de l’architecture, et le rapport des professionnels à la participation. Les architectes sont davantage sensibilisés aux questions sociétales (Hatzfeld, 2013). De nouvelles professions émergent : « La complexification progressive des programmes, la prise en

compte croissante de données et paramètres techniques, et constructifs ou de contraintes d’utilisation et d’entretien, … a multiplié le nombre de spécialistes appelés à participer à l’élaboration d’un projet, c’est-à-dire à sa conception. Les savoirs et les compétences sont de plus en plus nombreux » (Claude, Biau et Tapie, 2009). Le tête à tête entre l’architecte et le commanditaire

qui caractérisait les représentations est contrarié par l’émergence d’un tiers (Hatzfeld, 2013) : habitants, associations, collectifs etc. Ces tiers « brisent la logique de l’affrontement binaire, et permettent le partage, le passage, le

déplacement, le décentrement » (Hatzfeld, 2013, p. 316).

Des « professionnels de la participation » (Mazeaud et Nonjon, 2015 ; Nonjon, 2005) interviennent sous diverses dénominations « consultants », « médiateurs », « animateurs » ou « traducteurs » (Nonjon, 2005) pour répondre à des missions d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage en concertation en lien avec des projets urbains, sans pour autant avoir forcément de formations en urbanisme. Au début des années 2000, des agences de communication s’emparent du marché de la participation succédant aux profils plus militants d’anciens chefs de projets liés à la politique de la ville : « ces nouveaux arrivants accompagneraient, en quelque sorte,

les mutations du métier politique : intérêt croissant pour les politiques managériales, les sciences de l’organisation, la gestion, émergence d’un processus de rationalisation du recrutement politique » (Nonjon, 2005, p. 8).

63 Il s'agit de l’une des expériences françaises mythiques de la démocratie participative. Grâce à une lutte longue de plus de dix ans, des années 1970 aux années 1980, des habitants d’un quartier populaire de Roubaix voué à la démolition, l'Alma-Gare, ont réussi à imposer aux pouvoirs publics un contre-projet de réhabilitation. Ainsi, cette « mobilisation (est) devenue exemplaire et emblématique d’une résistance populaire aux opérations brutales et peu soucieuses des dimensions sociales de la vie de quartier » (Neveu, 2003, p. 14).

Encadré 2 Les concepteurs face à la participation

Dans le cadre de sa thèse en architecture, Jennifer Léonet (2018) propose de distinguer quatre positions que peuvent adopter les concepteurs vis-à-vis de la participation dans les projets urbains, architecturaux et paysagers :

- Les « réticents » adoptent une posture défensive vis-à-vis de la participation et se sentent remis en question dans leur légitimité professionnelle. La participation n’apparait pas comme un moyen de faire évoluer ou de valoriser leur manière d’exercer.

- Les « tacticiens » utilisent le marché en expansion de la participation afin de mettre en valeur leur compétence de pédagogue et d’obtenir un accès spécifique à la commande. À travers leur objectif de « pédagogie », ils ne cherchent pas à redonner une place active à l’habitant et le considèrent comme un « non sachant ».

- Les « pragmatiques » qui s’envisagent comme des « médiateurs » privilégient la participation avec pour objectif de servir le projet et le client.

- Enfin, les « militants » abordent la participation d’un point de vue démocratique avec pour objectif principal de diffuser et partager les connaissances et ainsi mieux répondre aux attentes de la population.

Des architectes et urbanistes s'engagent aussi dans des projets qui font l'objet de démarches de concertation inhabituelles afin de s’ouvrir de nouveaux marchés. Alors que les maîtres d’ouvrage préfèrent souvent solliciter d’autres corps de métiers comme les géomètres qui proposent des solutions purement techniques d’aménagement urbains à moindre coût, architectes, urbanistes ou encore paysagistes cherchent à diversifier leurs pratiques. Ainsi, une majorité de concepteurs se montre aujourd’hui disposée à intégrer des démarches participatives - en étant toutefois motivés par des intérêts différents (Encadré 2), tant que la demande émane de la maîtrise d’ouvrage.

En effet, deux raisons interdépendantes expliquent le peu de concepteurs enclins à proposer un dispositif participatif sans l’aval du maître d’ouvrage (Champy, 1998 ; Leonet, 2018) :

- Le risque de s’engager sans disposer du soutien politique et des moyens nécessaires pour le mettre en œuvre.

- La perspective d’une valorisation professionnelle encore considérée comme limitée.

Par ailleurs, la participation, avec ses principes de transparence et d’argumentation, suppose de dévoiler la « boîte noire » du processus opérationnel d’élaboration des choix de conception. Elle demande une vision ouverte, collective et processuelle de « l’œuvre » (Daniel-Lacombe, 2006), qui dénote avec des principes défendus par les professionnels de l’architecture pendant plusieurs siècles. Enfin, les moments d’échange avec les habitants sont redoutés par certains des concepteurs percevant leurs retours comme des reproches personnels. Pendant des siècles, à travers notamment l’École des Beaux-Arts, la dimension créative des architectes a été valorisée au détriment d’un compréhension des usages et de la dimension de « service » qui se trouve au cœur de la négociation avec les habitants (Genard, 2017 ; Leonet, 2018).

Mais tout comme chez les concepteurs, on observe une évolution de l’élu face à la participation. La crise de légitimité dont il fait l’objet auprès des citoyens ainsi que la multiplication des textes législatifs sur la participation le contraignent à mettre en œuvre des dispositifs participatifs.

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