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Au croisement entre un itinéraire personnel et les attentes d’une agence d’urbanisme et d’architecture

1 L’élu local de petite ville et la participation citoyenne : un sujet d’actualité scientifique et politique

2.1 Au croisement entre un itinéraire personnel et les attentes d’une agence d’urbanisme et d’architecture

2.1.1 Genèse du projet doctoral

Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, j’ai23 surtout eu l’opportunité d’approfondir la compréhension de la transformation des territoires et de leurs enjeux, lors de mon Master 2 Recherche en architecture dans le domaine « Architecture, Urbanisme et Territoire ». Puis, lors du parcours « Espaces urbains et démarches de projet » du Master 2 de l’Institut d’Urbanisme de Paris, un stage de six mois, effectué dans une agence de programmation urbaine et architecturale, m’a permis de développer à la fois mes compétences d'architecte et d'urbaniste. Mais le champ de la démocratie participative structure plus largement l'ensemble de mes études : après avoir abordé la thématique de la « concertation » d'un point de vue théorique lors de mon mémoire de recherche en architecture « Mobilité durable et démocratie participative : quelle implication pour les habitants ? Les cas de Nantes, Dublin et Schaffhausen », j’ai tenté de mettre ces principes en application lors de mon projet de fin d’études en architecture, dans le cadre d'un partenariat avec l’IBA Basel24, fondé sur le thème de la mobilité transfrontalière. Mon mémoire d'urbanisme « l’évolution des pratiques de l'AMO et de la concertation : le cas du Clos Toreau, à Nantes », réalisé sous la direction de Madame Camille Gardesse, a été décisif dans mon intention de poursuivre en doctorat ces réflexions et débuts d'expérimentation.

Sur un plan plus opérationnel, les Chantiers du Patrimoine menés durant les étés 2012 à 2014 m’ont permis de mettre en place les premiers éléments de médiation et de concertation. J’ai été chargée, à cette occasion, de l’interface entre le maire, les élus, les habitants, et parfois l’Architecte des Bâtiments de France ainsi que la presse régionale.

23 Lorsque le récit fera référence à notre parcours personnel ou a à notre situation d’observation, nous utiliserons la première personne du singulier.

24 L’« Internationale BauAusstellung » est un dispositif allemand permettant de développer sur une longue durée, un projet structurant et innovant en architecture et urbanisme. Il tend à fédérer et à outiller les acteurs d’un territoire afin de définir une stratégie collective pour celui-ci.

À l’issue de l’obtention de mon diplôme d’urbanisme, j’ai souhaité poursuivre mon travail de recherche dans le cadre d’une thèse CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la REcherche)25 sur le thème des démarches participatives. Ce projet s’est dessiné grâce au soutien de chercheurs et à la mise en œuvre de projets spécifiques. Tout d’abord, dès octobre 2014, Madame Camille Gardesse, maître de conférences à l'Institut d'Urbanisme de Paris, et Madame Françoise Ged, architecte et chercheuse à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, membre du jury de ma soutenance de master recherche, m’ont accompagné dans l'élaboration de mon projet et ainsi permis de le présenter à Madame Zetlaoui-Léger, urbaniste et sociologue, puis à Monsieur Loïc Blondiaux pour son expertise en science politique. Une fois ce projet finalisé d’un point de vue académique, il m’a été relativement difficile de trouver une entreprise acceptant de m'accueillir dans le cadre d'un contrat CIFRE. Après avoir sélectionné une liste d'opérateurs publics et une agence privée pour leur situation géographique (le Grand Ouest) et parce qu'ils défendaient, sur leur site internet, leur intérêt pour l'intégration de la participation dans leurs démarches de projet, j’ai été recontactée en décembre 2014 par Madame Prigent26, gérante de l’Agence éponyme. Celle-ci était intriguée et intéressée par ma démarche, la question de la participation citoyenne s’inscrivant dans l’évolution stratégique de l’Agence. Dès notre premier entretien, Madame Prigent a décrit le sujet de préoccupation majeur de sa structure : le rôle et la place de l’élu dans les démarches participatives. Elle justifiait ce thème en relatant les difficultés liées à l'organisation de la concertation dans les petites villes, territoires sur lesquels elle réalisait de nombreux projets. Elle constatait alors que de plus en plus d'élus se comportaient en simples citoyens, s'impliquaient peu dans leur rôle politique au sein de ces démarches et ne prenaient pas de réelles décisions27 : « Dans le

cadre de la concertation, nous avons rencontré peu de difficultés. Elles sont apparues lorsque le politique était absent du débat et ne jouait pas son rôle de régulateur en replaçant le projet et notre intervention dans leur contexte »28.

Toutefois, l’Agence traversait alors une période difficile, avec un effectif réduit à deux salariés contre dix habituellement. Malgré les aides de l’Agence Nationale de la Recherche (ANRT), la mise en place d’un contrat CIFRE apparaissait donc un investissement conséquent et un pari sur l’avenir. Nous nous sommes alors rencontrées trois fois, dont deux consacrées à l’animation conjointe d’ateliers de concertation. Après six mois d’échanges, un dernier entretien en juin 2015 avec Monsieur Prigent, père et associé, l’Agence m’a confirmé son engagement pour une thèse en CIFRE sur le thème de la participation citoyenne. En octobre 2015, la convention CIFRE a été signée entre le Laboratoires Espaces Travail de l’École d’Architecture de Paris-la-Villette, en codirection avec le Centre Européen de Sociologie et de Science Politique de l’Université Paris 1 la Sorbonne, l’Agence Prigent, et moi-même « la doctorante ». Ce partenariat s’inscrit pour l’Agence

25 Le dispositif CIFRE subventionne une entreprise de droit français, qui embauche un doctorant pour une durée de trois ans. Un lien étroit s’établit entre le doctorant, l’entreprise signataire du contrat et le laboratoire de recherche. Le doctorant consacre 50% de son temps à la recherche et à sa thèse, les 50 autres % à l’entreprise (ANRT, 2017). 26 Pour cause de respect de la confidentialité des données, des noms fictifs ont été choisis afin de mentionner les

différents acteurs des projets urbains étudiés.

27 Compte rendu de notre premier entretien à l’Agence Prigent, 15 décembre 2014.

28 Site trophée innovation, équipe nominée 2011: http://trophees-innovation.paysdelaloire.fr/editions-2009- 2013/candidats-2009-2013/architecture-et-recherche-d-une-demarche-exemplaire-pour-des-projets-de-qualite-- 7459.kjsp.

Prigent dans une trajectoire marquée, dès sa création dans les années 70, par la pratique de démarches participatives.

2.1.2 Impliquer les habitants : une démarche ancrée dans l’approche de

l’Agence Prigent

L’Agence Prigent, créée en 2004, est à l’origine une collaboration entre un père, Christophe Prigent et sa fille Maïwenn Prigent.

Architecte, urbaniste, diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, Christophe Prigent fonde, en 1967, avec deux associés, une agence d’architecture et d’urbanisme à Paris. Appelé à enseigner dans une école d’architecture du Grand Ouest en 1969, Christophe Prigent ouvre deux antennes de l’Agence dans le Grand Ouest et obtient un projet de ZAC qui va, « en termes de démarches participatives, être le premier projet fort et concret

(…) Ce travail nous a plongés dans la concertation, tant pour l'urbanisme que l'architecture. (…) On a mis en place une coopération, avec les usagers via les politiques. Il y avait une réelle volonté politique de mettre en place des réflexions concertées sur les différents sujets : avec les maîtres d’ouvrage, les militants, les bailleurs, les personnes intéressées pour acheter etc. ». La

démarche participative défendue par Monsieur Prigent s’inscrit dans le contexte des « luttes urbaines » des années 70. Ce travail mené avec différents acteurs du territoire (habitants, élus, enseignants, syndicalistes, …) aboutit à des projets originaux tels que les maisons à patio (opération de logement dense, sans voiture) ou « l’école ouverte » (une école sans barrières). Victime des crises financières, cette première agence d’architecture s’éteint au début des années 2000.

Parallèlement, Maïwenn Prigent obtient son diplôme d’Architecte DPLG en 2003. Deux points essentiels caractérisent son action de conceptrice : « une vision contextuelle du projet et une grande importance accordée à la

démarche participative. Le projet n’est jamais un objet en soi posé là, mais une forme en dialogue avec un lieu, un paysage, des pratiques, à un moment donné de l’histoire »29. Son intérêt pour la participation citoyenne résulte, tout d’abord, de ses expériences professionnelles antérieures : une mission dans un service d’urbanisme en collectivité bolivienne, un stage en agence d’architecture de paysagisme, une mission d’archéologie avec le CNRS en Syrie, un séjour prolongé au Mexique… Il repose également sur sa sensibilité aux questions environnementales qui l’interpellent dans sa pratique professionnelle : elle a obtenu, en 2014, un diplôme après une formation d’un an sur la Haute Qualité Environnemental (HQE). Cette posture rejoint l’un des quatre types de concepteurs face à la participation, dit « pragmatique »30, mis en évidence dans la thèse de Jennifer Léonet (2018). Maïwenn Prigent et son père partagent ainsi une philosophie de l’architecture et de l’urbanisme, avec une approche contextuelle au service des usagers : « C'est l'idée d'avoir une conception de

29 Lettre, Maïwenn Prigent, 2013.

30 Les concepteurs « pragmatiques » montrent « un certain intérêt pour la recherche. Ils sont prêts à se former au Développement Durable, voire à la sociologie. Ils enseignent dans les Écoles Nationales Supérieures d’Architecture, tout comme les « tacticiens », (…) démontrent un certain engagement sur des thèmes tels que l’écologie, (…)° et font souvent références à des expériences de construction et de participation à l'étranger, dans les pays d’Europe du Nord ou en Amérique Latine » (Leonet, 2018, p. 232).

l'architecture ou d’un urbanisme attentif au contexte dans lequel on intervient. Nous pensons qu’une intervention n’est pas 100 % tournée vers la création mais se fait aussi en dialogue avec les maîtres d'ouvrages et les usagers »31, autrement dit, avec l'existant, dans toutes ses dimensions.

À travers ses projets en urbanisme (études urbaines, création d'espaces publics, insertion urbaine d'un parcours de tramway), en architecture (conception d'équipements publics, de logements, réhabilitations patrimoniales) et en design (mobilier urbain), l’Agence Prigent aborde la démarche de projet autour des problématiques transversales suivantes32 :

- L'intégration des principes du développement durable, dès la programmation et les premières esquisses : « il s’agit d’analyser au mieux le lieu afin de proposer les orientations pour répondre aux autres

questions».

- La prise en compte des problématiques d'usage.

- L'organisation de processus de concertation : « les thèmes de concertation et de démarche participative font partie intégrante de nos réflexions. (…) L’idée même de concertation est de partager une problématique de projet, de faire évoluer les points de vue des différents acteurs, et tendre progressivement vers une appropriation commune de la démarche ». S’appuyant sur des outils de concertation (diagnostic en marchant, promenade urbaine, ateliers citoyens, réunions publiques, expérimentation, maquettes…), l'Agence opère sur différents types de projet dès la phase de programmation ou d'esquisse pour des requalifications de centres bourgs, des projets de rénovation urbaine33 ou des Plan Locaux d’Urbanisme intercommunaux (PLUi), etc.

Par ailleurs, le fonctionnement de l’Agence se structure autour de la certification norme ISO 900134. En effet, Mme Prigent est consciente des « défis permanents » et multiples auxquels elle doit faire face : « remporter

des appels d’offres, des concours, travailler avec de nouveaux produits, penser des projets en plusieurs tranches, assister les politiques dans les choix urbains, mener à bien les chantiers, embarquer les usagers dans un rêve commune, etc. »35. Ces challenges ont selon elle tendance « à prendre le pas sur l’objectif final qui est de révéler, voire créer des lieux où il fait

bon vivre »35. En 2010, elle affiche pour son agence l’objectif d’obtenir la certification ISO 9001 afin de développer « la qualité d’écoute et de partage avec les maîtres d’ouvrage et les maîtrises d’usage »35. Nous verrons, dans la suite de notre recherche, que cette norme va faciliter le processus de réflexivité mis en œuvre dans le cadre de cette thèse.

31 Entretien Christophe Prigent, avril 2016. 32 Site internet, Agence Prigent, novembre 2018.

33 La concertation s'opère plus naturellement dans un lieu en rénovation qu'en construction, puisque l'on connaît les habitants du lieu.

34 Cette norme repose sur un certain nombre de principes de « management de la qualité, notamment une forte orientation client, la motivation et l’engagement de la direction, l’approche processus et l’amélioration continue » https://www.iso.org/fr/iso-9001-quality-management.html.

Ainsi, notre recherche en CIFRE s’est déroulée dans une agence aux pratiques historiquement très favorables à la participation, et facilitant ainsi, à différents niveaux, mon acculturation à la mise en œuvre de telles démarches.

2.2 Un environnement de travail propice au développement d'une

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