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Démocratie participative, délibérative ? Nature et portée des dispositifs en urbanisme

1 Le projet urbain, entre approche typo-morphologique, socio-politique et urbanistique : quelle place

2.2 La participation citoyenne : un impératif pour les concepteurs et le politique

2.2.1 Démocratie participative, délibérative ? Nature et portée des dispositifs en urbanisme

Le législateur en France a introduit la notion de participation citoyenne, en évoquant tout un ensemble de procédures ou de dispositifs à mettre en œuvre. Or, les chercheurs notent que « les concepts auxquels font référence

ces procédures (participation, débats, discussion, concertation, proximité…) ont pour particularité d’être flous, ambivalents et de pourtant faire l’objet d’une très forte valorisation symbolique » (Bacqué, Rey et Sintomer, 2005a, p. 12).

Cet « impensé conceptuel» (Blondiaux, 2008, p. 1) recouvre les tensions existant entre deux approches de l'exercice de la démocratie qui ont souvent été mises en opposition : la démocratie participative et la démocratie représentative. Toute démocratie est d’une certaine manière participative puisque, gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple, elle suppose que le citoyen exerce son pouvoir soit directement, soit indirectement en élisant un ou des représentants. (Blondiaux, 2005).

À l’échelle internationale, le terme « démocratie participative » est relativement récent puisqu’il remonte aux années 60. Utilisé pour la première fois aux États-Unis, il avait pour objectif d'inciter à combler les manques du système de la démocratie représentative, accusé de ne pas donner assez d’importance au citoyen ordinaire. La démocratie représentative se heurte, en effet, à la dénonciation d’un État trop bureaucratique et centralisé (Bacqué, Rey et Sintomer, 2005a). Moins prégnant en France avec la mise en œuvre de la décentralisation, le thème de démocratie participative surgit de nouveau à la fin des années 90, associé à d'autres concepts comme celui de « démocratie délibérative » qui fait l'objet de nombreux travaux depuis une dizaine d'années dans les pays anglo-saxons. La démocratie délibérative62, qui est fondée sur la structure et la qualité des débats préparant les décisions (Blondiaux, 2008 ; Blondiaux et Sintomer, 2002), vise à réconcilier démocratie participative et démocratie représentative. Elle permet de donner de la légitimité aux décisions ; « c’est le processus de formation des volontés qui confère sa légitimité aux résultats et non les volontés générales déjà formées » (Bacqué,

Rey et Sintomer, 2005a, p. 17). Elle est le résultat d’un processus d'échanges aux règles et aux visées claires. Pour ces auteurs, personne ne sait, en effet, ce que recouvre la démocratie participative : à quoi s’agit-il de faire participer les citoyens ? Les réalités qu’elle recouvre sont tellement variées qu’elles ne sont, la plupart du temps, qu’esquissées ; le terme est galvaudé mais cela explique aussi son succès. Ainsi « il ne s’agit plus ici

de démocratie participative, il ne s’agit plus de laisser croire aux habitants qu’on les fait participer à la décision au risque de produire de la frustration et du cynisme ».

Trois grandes familles de facteurs permettent de faire la distinction entre les différents modèles participatifs existants (Bacqué, Rey et Sintomer, 2005c) :

- La volonté politique : les dynamiques seront différentes si l’objectif est une réforme locale, ou des objectifs sociaux, ou un partage de pouvoir entre les différents acteurs.

- Le milieu dans lequel elle évolue : une même démarche participative obtiendra des résultats différents selon la société dans laquelle elle évolue.

- La procédure : dans des contextes similaires, les processus participatifs auront une signification différente selon qu’ils s’appuieront sur des comités de quartiers ou des dialogues citoyens, selon que la participation sera libre ou non.

Le croisement de ces trois paramètres permet de distinguer trois formes contemporaines de dispositifs de participation (Bacqué, Rey et Sintomer, 2005b) :

- La première recouvre les formes traditionnelles de la démocratie locale, comme les assemblées ou conseils de quartier, proches des town meetings nés aux Etats-Unis au XVIIIème siècle et qui existent encore, ou encore les neigbourhood councils ou assemblées de voisinage. Les « comités de quartier » sont nés en Italie et en Europe dans la seconde moitié des années 60. A cette époque, la

62 L’expression de « démocratie délibérative » fait référence à une constellation de conceptions politiques qui ont émergées au début des années 1980 en Europe et Amérique du Nord. Elle s’appuie sur la « délibération démocratique », « qui renvoie à un échange discursif supposé se distinguer des autres discussions politiques par son caractère égalitaire, inclusif et contradictoire, ainsi que par son insertion dans des processus qui conduisent à la prise de décision effective » (Girard, 2013).

démocratie participative résultait d’un mouvement ascendant (« bottom-up »). Au cours des années 90, les autorités municipales sont à l’origine de la quasi-totalité des expériences, qu’elles initient et contrôlent, à l’image de l’association de la population à la discussion des affaires locales. Le budget participatif, tel que pratiqué à Porto Alegre, est le seul qui articule les décisions populaires et la décision politique.

- La deuxième forme de dispositif concerne les consultations relatives à l’accompagnement d’un projet d’aménagement ou la création d’une infrastructure susceptible de menacer l’environnement : l’enquête publique en est la modalité la plus ancienne. Le recours au « débat public », mode d’anticipation ou de régulation des conflits s’est ainsi généralisé. Fortement inspiré des expériences québécoises, comme celles du BAPE (Bureau d’Audience Publique sur l’Environnement), la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) en établit les contours, entre

« l’obligation d’informer et de débattre » et les « conditions d’élaboration et d’adoption des projets qui pourraient être affectées par ces procédures de concertation ».

- Loïc Blondiaux distingue une troisième forme de dispositif qui renvoie à des constructions démocratiques plus originales. Elles ont pour but d’associer, le temps d’une consultation, plusieurs groupes de citoyens ordinaires, tirés au sort et/ou volontaires (jurys de citoyens), d’ampleur locale ou nationale (jurys de citoyen, conférences de consensus, sondage délibératif).

Ces dispositifs diffèrent sous de nombreux aspects, le principal étant le suivant : sont-ils conçus ad hoc pour régler un conflit latent, ou au contraire de manière plus pérenne, pour assurer la participation des citoyens sur le long terme, sans a priori être lié à une action ou un projet précis ? Globalement, exception faite de l’enquête publique, ces dispositifs se caractérisent par un certain « impensé procédural » (Blondiaux, 2005).Ils se traduisent par la participation des citoyens ordinaires à la discussion d’enjeux collectifs, avec un caractère consultatif.

Un recensement des dispositifs existant en France montre qu’ils sont très nombreux, et que le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Goëta et Mabi, 2014 ; Mabi, 2014) y a très fortement contribué. Marie-Hélène Bacqué, Yves Sintomer et Henry Rey (2005b) proposent une typologie des dispositifs participatifs locaux (Annexe 2).

La mise en œuvre de ce type des dispositifs soulève des questions car il revient aux acteurs de terrain de définir les bonnes pratiques. Qui sont-ils ? Ainsi que le souligne Marie-Hélène Bacqué (2005a), les adjoints à la démocratie locale, les chefs de projets, certains agents de développement, parfois des cabinets de consultants accompagnent les dispositifs participatifs. Peu de municipalités disposent d’un observatoire de la démocratie locale comme à Paris ou à Poitiers. Une question centrale est celle de la composition des différentes instances. Ainsi, les conseils de quartier recouvrent des réalités très différentes : des instances composées d’élus et de sympathisants de la mairie qui délibèrent à huis clos ; des shows à grand spectacle confrontant le maire aux habitants ; des comités de citoyens livrés à eux-mêmes pour animer leur groupe (Bacqué et al., p. 128). De leur côté, les maîtres d’ouvrage mettent en avant le caractère « concerté » de leurs obligations mais en s'en tenant souvent à des obligations légales d'information sans beaucoup se soucier de

recueillir une diversité de points de vue. Plus généralement, de nombreux chercheurs (Blondiaux, 2001 ; Talpin, 2014) dénoncent la faible diversité des groupes constitués. Le plus souvent, ils sont composés des riverains concernés par les projets, qui peuvent avoir tendance à faire entendre leur voix au détriment des autres. Ainsi, les populations les plus jeunes, celles qui viennent des couches sociales les plus défavorisées, les actifs sont peu représentés.

Globalement, malgré le grand nombre d’outils et de dispositifs participatifs développés, les pratiques participatives relatives à l’implication des habitants dans l’élaboration des projets urbains demeurent limitées. En effet, les études scientifiques s’accordent sur l’importance des savoirs-citoyens en urbanisme (Nez 2011 ; Deboulet et Nez 2013 ; Sintomer 2008) mais les recherches montrent que ceux-ci sont peu exploités : les 3/4 des projets urbains, pourtant portés par de fortes ambitions en termes de développement durable et en principe de participation, ne dépassent pas le stade consultatif (Jodelle Zetlaoui-Léger et al. 2013). Au-delà et à l'exception du cas très particulier de l'habitat participatif (D’Orazio, 2017), les habitants sont impliqués au-delà de ce seuil sur des aménagements secondaires (aires de jeux, signalétique…) mais pas toujours associés, loin s’en faut, à l’élaboration des schémas d’aménagement urbain, des programmes de logements et d’équipements…. (Zetlaoui-Léger, Fenker, Gardesse, 2015).

Philippe Hamman (2012) observe que si la relation habituelle élus/techniciens se transforme parfois en triade, avec l’appel au citoyen, que ce soit en tant qu'un individu ou à travers une association, la mise en œuvre de la démocratie participative pose un certain nombre de questions, le plus souvent éludées : « celles

de la qualité des acteurs associés (qui participe concrètement ? Des experts ou des associatifs reconnus ? une « minorité active »), de leurs positions relatives (une égalité de façade ?) et de l’articulation des scènes de participation par rapport aux lieux de décision issus du principe électif ». Il ajoute que la faible portée de la participation citoyenne résulte aussi de choix logistiques, comme par exemple, celui d’une salle trop petite pour accueillir beaucoup de monde, ce qui limite, de fait, l’expression des éventuels différends. Il montre que « la question des rapports de pouvoir reste très

importante. Les élus et les techniciens demeurent d’un poids premier au sein des coalitions de planification urbaine ». De

nombreux travaux s’interrogent aussi sur les raisons de la participation de certains citoyens à ces conseils de quartier, ou à des associations. Ainsi, Georgia Terzakou (2012) cite-t-elle le cas d’habitants seulement préoccupés par des questions individuelles ou « l’effet Nimby » (Not In My Back Yard). Analysant ces travaux, elle propose une typologie des personnes selon leur proximité dans les associations et leur participation aux conseils de quartier. Elle souligne que les « sans voix » (Carrel, 2006), c'est-à-dire les moins engagés dans la vie publique, sont aussi les plus éloignés du conseil de quartier et de l’engagement proposé. Mais alors que la question des profils des habitants, de leurs positionnements et de leurs attendus vis-à-vis de la participation ont fait l'objet de très nombreux travaux depuis une quinzaine d'années, les recherches portant sur les professionnels impliqués dans des dispositifs participatifs sont plus récentes, notamment en urbanisme.

Ces travaux se sont d'abord focalisées sur l'émergence d'expertises et de métiers spécialisés en ingénierie de la concertation ou participation (Bherer, Gauthier et Simard, 2017 ; Mazeaud et Nonjon, 2013, 2015). Encore rares sont ceux s'intéressant à la façon dont les praticiens de l'urbanisme, tels que les concepteurs (Léonet, 2018), s'organisent face à l’impératif participatif.

2.2.2 L’évolution du cadre réglementaire et des urbanistes vis-à-vis de la

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