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Le modèle français : d’une approche séquentielle vers une approche négociée

1 Le projet urbain, entre approche typo-morphologique, socio-politique et urbanistique : quelle place

2.1 L'émergence des habitants dans le projet urbain à travers l'activité de « programmation »

2.1.3 Le modèle français : d’une approche séquentielle vers une approche négociée

2.1.3.1 Une approche séquentielle du projet urbain à travers la loi MOP

La démarche de projet urbain en France, peut être synthétisée selon trois grandes composantes (Avitabile, 2005) :

61 Elle se distingue ainsi de l’approche « ségréguée » du projet (Alexander, 1971 ; Pena et Parshall, 2012) où l’activité de programmation est un préalable et se distingue fortement de la conception ; et de l’approche « interactive » (Sanoff, 1977) où la conception formelle peut être engagée avant que le problème ne soit totalement défini.

- L'élaboration du programme : elle concerne la définition des attentes de la maîtrise d’ouvrage, en recensant les objectifs, les types d'espaces à réaliser comme réponses à des besoins, les conditions économiques et financières de réalisation. le programme constitue au cours du projet un élément important de la contractualisation entre la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre. Bien souvent, alors que la demande du maître d'ouvrage continue d'évoluer et de se préciser au cours du processus de projet, l'activité de programmation n'est plus identifiée ni objectivée.

- La conception : elle est souvent associée à un exercice formel pris en charge par des architectes- maîtres d'œuvre sur la base du programme sur lequel ils ont été retenus. Nous verrons que sa définition mérite d’être affinée.

- La réalisation opérationnelle fondée sur la conception.

La loi MOP, initialement élaborée pour l’ingénierie constructive et l’organisation des concours, distingue juridiquement les responsabilités de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre comme nous venons de l’observer, ainsi que les différentes missions qui structurent le projet (Encadré 1).

Or, l’application de cette loi étendue à l’urbanisme est souvent réalisée par les maîtrises d’ouvrage qui en font une lecture assez séquentielle (Figure 7) bien qu'elle n’interdît pourtant pas des itérations, voire incite à des ajustements mutuels entre programmation et conception :

- Le maître d’ouvrage « responsable principale de l’ouvrage » a pour objectif de porter l’exercice de programmation, la formulation d’une commande composée d’un besoin et d’un ensemble de contraintes et de ressources.

- Le maître d’œuvre porte la conception, l’élaboration d’une réponse au besoin formulée précédemment.

Encadré 1 Les responsabilités et l'encadrement réglementaire dans la conduite des projets urbains

Le principal décret d'application de la loi MOP, le décret no 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, a défini les principales missions d'études pouvant structurer un projet. Surtout envisagé au départ pour des opérations de construction, il fait également référence dans l'aménagement urbain, par la nature des activités qu'il distingue :

- Diagnostic - études préalables ; « (elles) ont pour objet :

a) de proposer une ou plusieurs solutions d'ensemble, traduisant les éléments majeurs du programme, d'en indiquer les délais de réalisation et d'examiner leur compatibilité avec la partie de l'enveloppe financière prévisionnelle retenue par le maître de l'ouvrage et affectée aux travaux

b) de vérifier la faisabilité de l'opération au regard des différentes contraintes du programme et du site »1.

- Études d’Avant-Projet (AVP) : « elles précisent l’aspect extérieur, les dimensions, les dispositions constructions retenues et permet d’établir l’estimation du coût des travaux et le calendrier prévisionnel de réalisation (échelle des plans :1/200e et détails au 1/100e ou 1/50e) » (Degrotte et Caillaud, 2012).

- Études de projet : « définit complètement l’ouvrage et ses caractéristiques techniques, l’estimation est établie par corps d’état, sur la base d’un avant-métré » (Degrotte et Caillaud, 2012)

Études d'exécution ou examen de la conformité au projet. - Visa des études faites par l’entrepreneur

Cette organisation fait écho à un « modèle hiérarchique » (Callon, 1997) de l'organisation du projet au plan des études, où la maîtrise d’ouvrage saurait dès le départ ce qu’elle souhaite et les acteurs auraient des identités parfaitement établies et distinctes. Ainsi, le maître d’ouvrage décide, donne l’orientation du projet, et coordonne les différents acteurs. Le travail de conception est, dans cette perspective, censé s'engager sur la base d'un programme partiellement ou totalement prédéterminé par la maîtrise d'ouvrage, précisant les fonctions à développer, les surfaces à bâtir, les contraintes économiques et techniques à respecter. Le maître d’ouvrage politique n’est cependant, pas intégré dans « la boîte noire technique qui reste le monopole des spécialistes » (Callon, 1997). La transition entre les objectifs initiaux et la réalisation technique est particulièrement simple mais le produit obtenu parait « rigide et fermé (…) et en cas de réussite, les chances d’évolution sont relativement faibles » (Callon, 1997, p. 4). Dans ce contexte, « si des conflits surviennent, ils se déroulent suivant des scenarii prévisibles. ». Ce modèle hiérarchique envisage donc que les principales tâches du projet soient menées de manière séquentielle (Figure 7) : « Le maître d’ouvrage conçoit les programmes et puis ensuite, de façon linéaire, séquentielle et

Figure 7 Division séquentielle du projet urbain envisagée par certains maîtres d’ouvrage urbains

Source : Ségolène Charles

Ce type d'approche conduit également à ne pas considérer la définition des attendus du projet, c'est à dire la programmation, comme alimentant en permanence le travail de conception, et plus largement le projet, d'autant plus lorsque ce dernier est assimilé au dessin achevé de la construction ou de l'aménagement futur. En effet, dans la loi MOP, sont considérés comme « projet », le dessin final et sa concrétisation matérielle, toutes les études qui précèdent sont considérées relevant de « l'avant-projet ». Ainsi, dans les récits d'opérations, comme dans les approches principalement typo-morphologiques du projet urbain, demande et commande de projet se confondent et ne paraissent explicitées qu'à travers un document « programme », précisant des fonctions et des surfaces à bâtir dans un souci d'équilibre économique général. Alors qu'elle est censée définir et porter les attentes de la collectivité vis-à-vis du projet, la programmation constitue une sorte « d'Arlésienne » (Buffat et Meunier, 2014), voire un chaînon manquant du projet urbain (Zetlaoui- Léger, 2009).

La séquentialité entre programmation et conception ne correspond pas à la réalité de nombreux projets urbains dans lesquels les intentions programmatiques se précisent en même temps que le projet est conçu, mais sans que ce processus ne soit toujours objectivé, et donc propice à la participation citoyenne. Les retours d’expériences sur les projets urbains mettent en évidence le caractère itératif et continu des relations entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre. De plus, ces périmètres d’actions peuvent se superposer : les maîtres d’œuvres sont parfois menés à assumer une partie de la mission de programmation et les maîtres d’ouvrage participent à la planification ainsi qu’à la conception du projet (Bonnet, 2001).

2.1.3.2 Vers un modèle de conception davantage négocié ?

La transition de « l’urbanisme de plan », en grande partie orchestrée par l'État central ou déconcentré, à un « urbanisme de projet » d'initiative locale au cours des années 80 et 90, a progressivement conduit les professionnels de l’urbain, à s'adapter à de nouvelles logiques décisionnelles. Marqué par un modèle de relations très hiérarchique avec des acteurs déterminés et établis « rassurants (…) où les conflits se déroulent suivant des scenarii prévisibles » (Callon, 1997), l'aménagement urbain s'organise à partir de dispositifs plus négociés intégrant une diversité d'acteurs intégrant pour certains le projet au gré des besoins.

Dans ce nouveau contexte, les acteurs sont variés, leurs compétences évoluent : l’important n’est pas tant la technique que les médiations qu’ils établissent entre eux. Dans son acception théorisée, le modèle entraîne une coordination de l’action : « Les acteurs délèguent, au plan stratégique qu’ils élaborent ensemble, l’autorité qui fera

est légitime parce que tout le monde a participé à son écriture. Ceci ne supprime pas la commande hiérarchique (un délégué doit assurer que les engagements collectifs sont tenus), mais lui permet de s’adapter à des situations changeantes et incertaines ». Ce

système est fondé sur une contractualisation qui fonctionne grâce à la confiance et à la connaissance mutuelle des acteurs, et à une importante communication puisqu’il évolue au cours des discussions : « Les produits

obtenus sont généralement ouverts » (Callon, 1997).

Dans la réalité, on constate encore aujourd’hui que les négociations s'opèrent surtout entre financeurs d'une part, et les structures techniques qui les représentent d'autre part. L'habitant n'y contribue pas, sauf éventuellement en cas de contentieux avec des associations, des propriétaires... Un grand nombre de recherches (Arab, 2009 ; Arab et Bourdin, 2009, POPSU) ont analysé ces situations dans lesquelles l’habitant n’est pas impliqué et n'est souvent même pas comme un acteur potentiel.

Mais au-delà même de la question de la place du citoyen-habitant dans ces projets, on peut constater, par exemple à l'occasion du projet Euratlantique à Bordeaux analysé dans la thèse de Guilhem Blanchard (2018), la difficulté structurelle à passer à des modèles négociés, y compris au niveau des opérateurs techniques, entre les différents services. Nicolas Michelin, maître d'œuvre urbain (Christy et al., 2016) qui défend avoir mis au point un dispositif d'« Urbanisme négocié » à Bordeaux dans le cas du projet Bassin à flots, dépeint en fait un système assez peu ouvertement délibératif, et dans lequel l'architecte consulte séparément les différents promoteurs et leurs architectes pour le compte de la maîtrise d'ouvrage urbaine (ici essentiellement technique). Le politique, en l'occurrence Alain Juppé, n'étant amené à statuer comme pour le projet Euratlantique, qu'en cas de conflit, depuis son bureau.

Au début des années 2000, les résultats du programme de recherche « Concertation Décision Environnement » sur la mise en œuvre des premiers projets d'écoquartiers français (Fenker, Zetlaoui-Léger, Gardesse, 2015) montrent, la manière dont l'irruption de la figure de l'habitant dans la fabrication même du projet, conduit à une reconfiguration des ingénieries de projet du côté de la maîtrise d'ouvrage lorsque la participation dépasse le stade consultatif. Les démarches deviennent non seulement davantage intersectorielles, mais elles supposent l'implication conjointe et permanente d'un acteur politique aux côtés d'un chef de projet technique. On note alors aussi que l'implication des habitants s'opère en premier lieu à travers la programmation des activités et usages futurs des espaces. Ces résultats ont conduit ces dernières années, aussi bien le ministère de la Cohésion des Territoires dans le cadre de la démarche de labellisation des écoquartiers, que la MIQCP dans son activité de conseil auprès des collectivités, à inviter les maîtres d'ouvrage à bien identifier et structurer l'activité de programmation, tout en insistant sur son articulation avec le travail de la maîtrise d'œuvre urbaine.

La MICQP accompagne les pouvoirs publics dans la compréhension de la portée des procédures et les conditions de leur application, appréhende aujourd'hui la conception comme un processus global, fait d'itérations (Figure 8). Elle défend ainsi une activité de programmation continue, portant dans la durée, les objectifs de la maîtrise d'ouvrage qui se précisent au fur et à mesure et la participation citoyenne.

Figure 8 Processus de conception global proposé par la MICQP

Source : Extrait du programme de formation continue d’Aptitudes Urbaines (Jodelle Zetlaoui-Léger, François Meunier, 2015)

2.2 La participation citoyenne : un impératif pour les concepteurs

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