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1 Cadre méthodologique et analytique

1.1 Le contexte : une agence d’urbanisme mandatée par des élus de petite ville

1.1.1 L’agence d’architecture et d’urbanisme Prigent

L’Agence Prigent est une agence d’architecture et d’urbanisme composée d’architectes101 dont les deux associés et certains salariés possèdent un double diplôme en urbanisme. Lorsque je suis arrivée en 2014, l’Agence était (comme beaucoup d’agences d’architecture à cette époque) en difficulté financière : elle comportait alors deux salariés à plein temps (une architecte HMONP, et une assistante de direction), et la gérante. Au cours de notre thèse, les effectifs se sont développés, pour finalement compter en 2019 1 gérante, 4 architectes salariés à plein temps (dont 1 HMONP), 1 architecte D.E-urbaniste doctorante, 1 assistante de direction et 1 dessinateur.

L’Agence Prigent répond exclusivement à des marchés publics : elle n’effectue que de très rares missions de maîtrise d’œuvre privée, mandatée par des proches des gérants de l’Agence. Ces micro-missions privées ne constituent pas le cœur de métier de la société.

« Protéiforme »102, elle répond aussi bien à des marchés publics en architecture qu’à des marchés publics en urbanisme103 et ce, depuis sa création (Tableau 4) :

- En architecture, elle effectue des missions en tant que maître d’œuvre sur des projets en réhabilitation ou neufs pour des équipements et du logement avec des références récentes en construction de médiathèques ou tiers lieux.

- En urbanisme, elle effectue des missions d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage en programmation et/ou concertation ainsi que des missions de Maîtrise d’Œuvre en aménagement. Elle répond aussi bien à des études pré-opérationnelles (études de programmation) qu’à des études réglementaires (Élaboration des Orientations d’Aménagement et de Programmation de PLU ou de PLUi).

101 Dans le cadre de notre thèse, nous entendrons le terme « architecte » non pas au sens défini par l’Ordre des Architectes c’est à-dire un architecte ayant obtenu l’Habilitation à la Maîtrise d’œuvre en son Nom Propre et étant inscrit à l’Ordre, mais dès lors que celui-ci a obtenu un diplôme d’État en architecture. Si cela est nécessaire, nous ferons la distinction entre l’architecte diplômé d’État (D.E) et l’Architecte qui a obtenu l’Habilitation (HMONP). A l’Agence Prigent, seule Maïwenn Prigent est inscrite à l’Ordre des Architectes, pour des raisons financières. 102 Maïwenn Prigent, intervention au Laboratoire Espace Travail, juin 2017.

103 En 2018, au regard du gain financier, elle a réalisé à parts égales des missions en architecture et en urbanisme (analyse issue de la revue de direction de l’Agence Prigent, juin 2019).

Lorsqu’elle participe à des études urbaines qui nécessitent un nombre important de compétences (comme les PLUi ou les études de revitalisation territoriale), elle sollicite un groupement depuis 2013 dont elle est co-fondatrice104.

Madame Prigent souhaite que les salariés de l’Agence ne se spécialisent pas sur un type de projet, afin d’éviter le risque qu'ils ne réinterrogent pas régulièrement leurs pratiques : « On s’aperçoit qu’aujourd’hui que, si tu n’es

pas expert, tu es mis de côté et l’on ne comprend pas souvent que tu puisses connaître différents métiers. Quand on nous dit « oui mais ça c’est un autre métier », non, nous, nous avons plusieurs métiers ».

Elle défend cette double approche car elle permet de jouer avec les différentes échelles de l’acte de bâtir et de comprendre le projet dans son ensemble : de la programmation à sa conception. Je suis, à cet égard, la seule exception puisque évoluant exclusivement sur des projets urbains mais avec deux casquettes : en tant que chargée de projet et chargée de recherche. J’accompagne, aussi, mes collègues sur le volet participatif de leurs projets en architecture.

La compétence en démarche participative est développée, de manière transversale, dans les projets architecturaux et urbains. Cette approche est insérée dans les processus de projet et s’inscrit dans les expériences personnelles et professionnelles de Christophe et Maïwenn Prigent. Les deux dirigeants de l'Agence ont une représentation de leur métier à mi-chemin entre la figure du « concepteur pragmatique » qui s’envisage comme un « médiateur » et privilégie la participation avec pour objectif de servir le projet et le client ; et celle du « concepteur militant » qui aborde la participation d’un point de vue démocratique, avec pour objectif principal de diffuser et partager les connaissances, et ainsi mieux répondre aux attentes de la population (Leonet, 2018).

104 « Multicités » est un groupement composé de cinq TPE du Grand Ouest, issues du domaine de l’urbanisme : - L’Agence Prigent pour ses compétences en architecture, urbanisme et concertation ;

- Un bureau d’études en stratégie territoriale pour ses compétences en stratégie politique et territoriale, en prospective territoriale et géographie ;

- Un bureau d’études Habitat pour ses compétences en analyse socio-démographique et stratégies d’habitat ; - Un bureau d’études en aménagement du territoire pour ses compétences en urbanisme réglementaire et

environnement (études faune et flore, hydrologie, géomorphologie, …) ; - Un paysagiste pour ses expertises en paysage et urbanisme opérationnel.

Depuis 2013, elle répond à des appels d’offres de manière commune qui portent sur des projets complexes : Plan Local d’Urbanisme, Plan Local d’Urbanisme intercommunal, études de revitalisation, plan guide intercommunal… Marque déposée, elle n’est pas un simple regroupement de co-traitants. « Multicités » possède des méthodes propres au groupement que les parties prenantes développent conjointement et s’engagent à n’utiliser que dans le cadre de missions réalisées sous le nom du groupement. Au-delà de la possibilité de répondre à des projets complexes et de plus grosse taille pour ces TPE, il s’agit de développer des manières différentes de faire la ville en décloisonnant les métiers du projet urbain.

Ce groupement s’est formé à partir de rencontres humaines et s’est développé sur des valeurs communes : l’intérêt pour l’humain et les méthodologies de participation, l’approche contextuelle et de terrain, un engagement auprès des élus pour les accompagner dans le façonnage de leur territoire, des regards croisés en cabinets d’urbanistes stratégiques et opérationnels. En termes de participation, l’Agence Prigent essaye de distinguer les méthodes développées au sein de son agence et celles imaginées avec les partenaires de « Multicités ». La démarche de l’Agence menée dans le cadre de notre thèse a aussi nourri les réflexions menées sur la participation citoyenne par le groupement.

Tableau 4 : Répartition des missions menées par l’Agence Prigent depuis sa création Projets en architecture Équipement neuf 26 Équipement réhabilité 11 Logement neuf 13 Logement réhabilitation 17 ZAC Lotissement 16 Total 83 Projets en urbanisme

Plan Locaux d'Urbanisme 13

Aménagement urbain 35

Études urbaines 54

Mobilier urbain 2

Total 110

Divers Formation 6

Source : Ségolène Charles à partir des données de l’Agence Prigent

Très souvent, les missions menées au sein de l’Agence Prigent s’effectuent avec un montage de maîtrise d’ouvrage en régie, comme l’illustreront nos trois études de cas (Figure 20).

Figure 20 Répartition des maîtrises d’ouvrage avec lesquelles travaille l’Agence Prigent depuis sa création (2004)

Source : Ségolène Charles à partir des données de l’Agence Prigent

Ce nombre important de missions menées avec un montage « en régie » peut s’expliquer en partie par le périmètre territorial sur lequel exerce l’Agence Prigent. En effet, la majorité de ses missions (66%)105 se

déroule sur des territoires de petites villes où elle agit principalement en tant que mandataire (sauf pour l’élaboration de documents réglementaires tels que les PLUi ou les Plans Locaux d’Habitat (PLH)). Elle est donc très souvent amenée à travailler pour des maîtrises d’ouvrage occasionnelles qui la sollicitent pour une première mission, dans un contexte de mission de gré à gré, avec une commande le plus souvent très succinctement formulée. Elle propose, dans la grande majorité de ses devis ou de réponses à appel d’offres, un dispositif participatif intégré ou en option selon les sensibilités perçues des maîtrises d’ouvrage sur ce sujet. Bon nombre de ses missions sont obtenues par le « bouche à oreille »106. Bien que discrète et relativement modeste dans ses outils de communication et son approche du projet, l’Agence Prigent bénéficie d’une reconnaissance des maîtrises d’ouvrage pour son accompagnement et la qualité de ses échanges avec les parties prenantes, sa capacité à « créer un récit collectif autour du projet » étant particulièrement appréciée107. Elle positionne comme axe central de sa pratique : « l’humain au cœur du projet »108.

Alors que l’Agence Prigent a été, pendant un certain temps reconnue à travers la « signature » de son fondateur Christophe Prigent109, elle est aujourd’hui davantage sollicitée pour ses démarches contextuelles, pour son attention aux usagers ainsi que sa capacité à travailler sur des enjeux à la fois architecturaux et urbains.

Les crises économiques de 2008 et 2014 ont été l’occasion de repenser et d’affiner la stratégie de l’entreprise pour valoriser un travail « qualitatif », où la concertation est devenue un des piliers pour la démarquer de ses concurrents. La crise de 2008 a été l’opportunité pour l’Agence Prigent de structurer son organisation à travers la mise en place du dispositif ISO 9001 (Tableau 5).

La crise de 2014 a été à l’origine d’une volonté de conforter sa compétence dans l’accompagnement de démarches participatives au sein des processus de projet (Tableau 5). Ce choix relève d’une réponse à un besoin financier mais aussi du souhait de développer du projet urbain et architectural de qualité : « en 2014,

on s’est interrogé clairement sur qui l’on est, qu’est-ce que l’on fait, où est-ce que l’on va… et du coup on s’est dit qu’il y avait deux solutions soit on travaillait, on faisait des projets de merde mais on gagnait notre vie, on faisait du plan au kilomètre, soit on essayait de travailler sur nos spécificités et l’on restait sur un niveau qualitatif de prestations par rapport à nos clients. C’est la deuxième option évidemment que l’on a choisie »110.

106 Issue de l’analyse stratégique de l’Agence, 2019. 107 Retour d’un bailleur du cas C, 2018.

108 Extrait de la revue de direction de l’Agence Prigent, juin 2019.

109 Aujourd’hui retraité, il a mené des projets emblématiques sur le Grand Ouest. 110 Introduction au 1er café concertation par Maïwenn Prigent, mars 2017.

Tableau 5 : Pourcentage des projets concertés au sein de l’Agence Prigent depuis sa création Nombre projets menés depuis la création Nombre projets menés hors concours Nombre de projets concertés Pourcentage de projet concertés

Projets urbains Urbanisme et

aménagement 109 96 63 56% Projets architecturaux Équipement 54 47 27 44% Logement 28 21 10 Transport ouvrage d'art 11 7 1

Total 202 171 101

Source : Ségolène Charles à partir des données et analyses de l’Agence Prigent

Ma candidature spontanée auprès de l’Agence Prigent pour réaliser une thèse sur le thème des démarches participatives s’inscrit donc, par un heureux hasard, dans la stratégie de l’Agence de structurer ses méthodes en termes de participation qui, jusque-là, évoluaient de manière empirique mais sans apport issu de la recherche ou d’éventuelles formations. Bien qu’on observe, dans le monde de l’architecture, certaines tensions entre le monde des praticiens et celui des chercheurs, l’embauche d’un doctorant au sein de son Agence est au contraire, pour Mme Prigent, une démarche naturelle : « L’articulation entre pratique professionnelle

et son développement par la recherche, pour moi elle est évidente : on a toujours besoin d’être nourri. Autant sur des sujets on a des experts autour de nous, autant sur des sujets tels que la méthodologie de la participation on a besoin de chercheurs… j’ai besoin, moi, d’avoir un contradicteur en face de moi, voire plusieurs, pour travailler et construire le projet ensemble »111. Une seule condition est exigée lors mon entretien d’embauche : je dois exercer en tant que chargée de projet et ne pas rester simple observatrice des démarches de la structure.

Nous avons, au fil de ma thèse, conforté les réflexions sur les démarches participatives dans les projets en urbanisme : un travail qui combinait l’expérience de Mme Prigent, les réflexions que nous développions en recherche et l’apport scientifique de nos directeurs de thèse et du Laboratoire Espaces Travail lors de séminaires conjoints : « C’étaient des méthodes (de concertation) qui dans le fond étaient bonnes, à mon avis, mais qui

avaient besoin d’une structuration plus globale, pour aller plus loin sur certains projets. Heureusement, on a croisé Ségolène qui est intervenue, qui a pu notamment travailler sur ces éléments-là »112.

Cette démarche réflexive s’est particulièrement développée à travers trois missions que nous avons menées, portant sur la compréhension des processus et des acteurs en jeu dans le projet urbain participatif de petite ville, avec l’élu au cœur de ce système d’acteurs.

111 Maïwenn Prigent, intervention au Laboratoire Espace Travail, juin 2017. 112 Introduction au 1er café concertation par Maïwenn Prigent, mars 2017.

1.1.2 Trois missions de projet urbains participatifs dans des contextes de

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