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Le projet de transformation spatiale : une action processuelle et collective contextualisée

1 Le projet urbain, entre approche typo-morphologique, socio-politique et urbanistique : quelle place

1.1 Le projet de transformation spatiale : une action processuelle et collective contextualisée

Si, en Architecture, le projet est une notion ancienne, qui apparait à la Renaissance avec la structuration et l'autonomisation de la profession d'architecte, le concept n'est pas la propriété d’une discipline (Pinson, 2000). Jean-Pierre Boutinet (1990, 2014) met en évidence quatre univers dans lequel la notion de projet s’est constituée au cours de son histoire (Figure 2).

Figure 2 Repères sur la constitution historique du projet

Source : Bréchet et Desreumaux, 2006

Employée dans le domaine de l’architecture, la notion de projet signifie par son étymologie latine projicio, « jeter vers l’avant », intégrant d'emblée une double dimension spatio-temporelle. Au cours du XVème siècle, il prend les formes « pourject » et « project51 » avec des connotations d’aménagement spatial. Lors de la création du Quattrocento italien, il s’oriente vers la nécessité d’articuler conception et réalisation : le projet est abordé comme une anticipation cognitive qui appelle une véritable instrumentation. Sous l’influence des Lumières, le terme se politise et se voit valorisé dans ses dimensions sociale, philosophique et sociétale par les écrits de penseurs tels que Jean Jacques Rousseau, mais aussi d’Emmanuel Kant (Bréchet et Desreumaux, 2006). Enfin, dans l’univers philosophique, l’intentionnalité du projet émerge à travers les auteurs des

51 La notion de « projet » provient du « déverbal projectus (saillie, extension) qui tient son origine dans projicere (jeter en avant), le projet indique l’action de jeter en avant, plus précisément l’idée que l’on extériorise ou ce que l’on avance, le plan conçu pour réaliser cette idée » (Boutinet et Bréchet, 2014, p. 12).

courants existentialistes et phénoménologiques tels que Jean-Paul Sartre (1943) : le projet est vecteur de liberté de l’homme ; il finalise le comportement humain et le dissocie de la perspective mécaniciste. Jean-Pierre Boutinet (2010) propose une grammaire des conduites à projet qu’il définit selon sept grandes familles : les projets individuels liés à l’âge de la vie, les projets de couple, les projets d’objet, les projets d’action, les projets d’événement, les projets organisationnels et les projets sociétaux (Figure 3).

Figure 3 Les sept grandes familles de projet

Les projets individuels liés aux âges de la vie

Des jeunes (d’orientation, d’insertion) ou des adultes (professionnel, familial, de carrière, de formation, de retraite).

Les projets de couple

Existentiel, affinitaire ou de réalisation partagée.

Les projets d’objet

A façonner, à reconfigurer ou à atteindre.

Les projets d’action

Politique, éducative, thérapeutique, d’aménagement ou paysager …

Les projets d’événement

A commémorer ou à célébrer.

Les projets organisationnels, d’entreprise ou d’établissement

De référence, stratégique ou management de/par projet.

Les projets sociétaux

Globaux, attestataires ou contestataires ; locaux, attestataires ou contestataires.

Source : Boutinet, 2010

Le projet urbain se positionne dans la famille des « projets d’action », avec une dimension intrinsèquement collective, structurée par un ensemble de décisions mais aussi d'incertitudes. Cette approche, développée dans un premier temps par Herbert Simon (1969), considère le projet comme le fruit d’un processus de prise de décisions au sein d'une organisation collective opérant selon un modèle de rationalité « limitée ». L'activité de conception, qui permet de définir à la fois les contenus et les formes de l'action, progresse au gré des décisions qu'il prépare. Instrumentée, elle constitue un artefact donnant lieu au déploiement d'outils, d’une dynamique de savoirs et de relations (Bréchet et Desreumaux, 2006 ; Hatchuel, 2000).

Pôle individualisé

Dans cette perspective, Jean-Pierre Bréchet et Alain Desreumaux (2006) caractérisent le projet au fondement du collectif en quatre grands axes :

- Premièrement, le projet organisationnel dans sa dimension collective comporte une dimension existentielle et une dimension opératoire. Tout projet s’appuie sur des personnes ou des groupes de personnes sous-entendant une dimension individuelle et collective. Le projet urbain se singularise par ce caractère technique voué à se terminer. Il se distingue des projets existentiels interminables où le projet n’a une fin qu’avec la disparition de l’acteur qui le porte. Le caractère technique « vise un objet à élaborer, éventuellement idéalisé dans un premier temps mais qui deviendra, une fois

réalisé, indépendant de son auteur » (Bréchet et Desreumaux, 2006, p. 8) Il se distingue, par ailleurs, par

sa dimension collective: il s’exprime « par la singularité d’une organisation, une opérativité (le projet vise à

faire advenir l’organisation elle-même), dans un contexte d’incertitude sur l’environnement et les actions à mener »

(Bréchet et Desreumaux, 2006, p. 8).

- Deuxièmement, le projet articule l’ordre des fins et des moyens. Tout projet sous-entend que sa conception sera suivie d’une phase d’exécution : « le projet ne tient que l’anticipation de son exécution. Le

projet substantif (le contenu des fins) ne se comprend que par le projet procédural (les voies et les moyens de l’action) »

(Boutinet et Bréchet, 2014).

- Troisièmement, le projet en tant que fondement d’une action collective est anticipation mais il n’est pas planification. Dans le cadre de notre travail, nous nous appuierons sur cette perspective pragmatique du projet où celui-ci est appréhendé « comme une anticipation à caractère opératoire de type

flou d’un avenir désiré » (Boutinet et Bréchet, 2014, p. 14). Il se distingue des anticipations de type

déterministe, par son caractère jamais complètement réalisé, et perpétuellement à reprendre en « cherchant continuellement à polariser l’action vers ce qu’elle n’est pas » (Boutinet et Bréchet, 2014, p. 14). - Enfin, le projet « met en jeu une adaptation mais il n’est pas ballotement erratique ». Le projet :

« (…) implique de prendre continuellement en compte la complexité et l’incertitude des situations ambiantes, dans ce

qui fait leur singularité, et la diversité des postures parfois imprévisibles adoptées par les acteurs qui gravitent autour de ces situations » (Boutinet et Bréchet 2014, 18).

Ainsi, le projet, notion diffusée à partir du monde de l’architecture, s’est progressivement déployé dans de nombreux univers. Il représente un dispositif d’anticipation à finalité opératoire, de conception et de régulation de l’action « comme une enquête sur une situation présente, une situation qui interroge et ne laisse pas indifférent ;

cette enquête constitue une investigation utile si ce n’est indispensable à l’action » (Boutinet et Bréchet, 2014, p. 98). Il se

caractérise, entre autres, par sa perspective pragmatique, qui constitue pour un individu ou un collectif, une aide indispensable à l’action. Dans le cadre de notre thèse, nous appréhendons le projet comme action collective. Dans la perspective initiée par Herbert Simon, il s’agit de l’analyser pour en comprendre autant le contenu que le processus, à travers sa complexité organisationnelle.

Jean-Pierre Boutinet (1990) décrit le projet d’aménagement spatial comme une « activité collective de maîtrise

progressive d’un espace donné pour le domestiquer, le rendre habitable », avec quatre attributs :

- « La négociation permanente entre les différentes instances de la collectivité qui cherche à maîtriser son espace ; - Le temps avec ses délais, son horizon indéterminé qui disqualifie tout ce qui est de l’ordre du ponctuel et de l’immédiat ; - L’espace avec l’identification de contraintes, de possibles, et de tout ce qui constitue la singularité du lieu ;

- Les moyens disponibles ou à mobiliser, notamment financiers ».

Ces différentes caractéristiques de la notion de projet dans le domaine de l'urbain interrogent la nature des processus engagés et la dimension collective généralement invoquée dans le projet urbain. Cette notion de projet urbain devient de plus en plus floue (Arab, 2004) :

- Tout ce qui renvoie à la fabrication de la ville est qualifié de projet urbain (Toussaint et Zimmermann, 1998) pour signifier une approche plus stratégique et plus contextualisé de la transformation des lieux.

- L'approche varie selon les acteurs qui la mobilisent (Gardesse, 2011) : « Pour les uns, il est simplement

une manière de travailler sur la ville en réunissant les acteurs ; c’est une méthode, un partenariat. D’autres y voient un geste architectural à l’échelle du quartier. Pour d’autres, enfin, il s’agit plutôt d’un travail de réhabilitation urbaine ». Les maires l’utilisent « à tout va » (Ingallina, 2008), les pouvoirs publics l’entendent comme

un projet politique tandis que les aménageurs, les investisseurs et les techniciens de la construction s'attachent à sa dimension opérationnelle et matérielle, cadrée par des procédures et des réglementations précisément définies.

Afin d’appréhender la littérature riche sur le projet urbain et les différentes notions qu’il sous-entend, nous proposons de l'aborder selon trois entrées : l’approche typo-morphologique, l’approche socio-politique et l’approche urbanistique à l’échelle plus opérationnelle. Or quelles que soient les perspectives qu'ils adoptent, les travaux de recherche, à quelques exceptions près, abordent peu ou pas le statut et la place des habitants dans le projet urbain, jusqu’à la fin de la décennie 2000.

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