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1 Le projet urbain, entre approche typo-morphologique, socio-politique et urbanistique : quelle place

1.4 L’approche opérationnelle du projet urbain

Dans la tradition anglo-saxonne, et plus particulièrement nord-américaine, la littérature sur le projet urbain et la transformation des villes se focalise sur le planification urbaine ou « urban planning ». Après une période où la planification a été considérée comme une activité décisionnelle visant à rationaliser l'action dans le temps et dans l'espace55, la remise en cause de ce type d'approche s'opère au profit de démarches plus pragmatiques requestionnant les pratiques des planificateurs (Blanchard, 2018, p. 28). Cette nouvelle perspective conduit de nombreux chercheurs américains et anglais, puis européens de manière plus générale (Salet, 2007) à se mettre à l’écoute des récits des pratiques de planification et de développement à partir de démarche quasi-ethnographiques.

« L’urbanisme de projet » (Pinson, 2009) qui caractérise l’aménagement depuis la fin des années 1980 se traduit par des relations moins linéaires entre la planification du développement urbain et son caractère

54 Gilles Pinson (2006) entend par système de gouvernance : « l’ensemble des institutions, dispositifs et processus d’action qui permettent d’articuler des ressources et de coordonner l’action d’une pluralité d’acteurs et de groupes dans le cadre de la mise en œuvre de politiques publiques ».

55 Ainsi Paul Davidoff et Thomas A. Reiner (1962) proposent d’appréhender la processus de planification selon trois grandes étapes : la détermination de son objectif et des contraintes, de l’identification des solutions possibles en lien avec les contraintes, la mise en action vers la finalité espérée.

opérationnel : la planification urbaine se tourne vers l’action. Cette démarche sous-entend de s’assurer du partage des objectifs et de leur ajustement au gré d’un contexte en constante évolution (Figure 5) : « alors que

le plan limitait dans le temps l’activité planificatrice au moment de la conception du plan, le projet intègre les phases de mise en œuvre et de gestion, il tend à faire de la planification une activité sociale continue » (Pinson, 2009). Ainsi, avec les années

2000, la mise en œuvre opérationnelle n’est pas seulement déterminée par les orientations stratégiques mais elle contribue à leur évolution. Ce processus devient un objet de recherche en tant que tel.

Figure 5 Urbanisme de plan vs Urbanisme de projet

Source : Blanchard, 2018

Les recherches sur le pilotage des projets urbains se multiplient en France à la fin des années 1990 et au début des années 2000 (Blanchard, 2018). Les ingénieries de projet sont alors décryptées à partir des relations entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre et se focalisant surtout sur de grandes opérations emblématiques, mobilisant des aménageurs et des équipes de maîtrises d'œuvre (Bonnet, 2001 ; Frébault, 2005 ; Mariolle et De Gravelaine, 2001). Ces travaux appréhendent de plus en plus le projet comme un processus, engageant des dispositifs de négociation et de coopération, entre différents acteurs : « piloter un

projet urbain, c’est conduire un processus d’aménagement, partir d’une volonté politique, mobiliser un travail continu de conception urbain (…), coordonner les opérateurs et les maîtres d’ouvrage opérationnels, fédérer l’ensemble des partenaires qui concourent au portage et à la mise en œuvre du projet tour en assumant les risques politiques et financiers.» (Frébault, 2005,

p. 16). Les processus de projet sont interrogés à partir des enjeux de requalification, d'attractivité urbaine ou d'innovation dont ils sont porteurs, avec pour protagonistes de grands opérateurs, des maîtres d'ouvrage professionnels et des maîtres d'œuvre de renom. Ainsi, les ouvrages associés à un ensemble de travaux organisés autour de la Plateforme d’Observation des projets et Stratégies Urbaines (POPSU) abordent l’opérationnalité des projets d’urbanisme sur des grosses opérations (Escaffre et Jaillet, 2016 ; Mazzoni et Grigorovschi, 2014). Joël Idt (2009) et Yann Ferguson (2014) s’intéressent au détail de l’activité opérationnelle du projet, principalement à des projets de grande ampleur (grands projets urbains d’aménagement sur Paris, Lille et Chartres ; analyse du programme Constellation, avec une zone industrielle

et deux écoquartiers). Nadia Arab et Alain Bourdin (2009) mettent en évidence les nouvelles formes de coopération et d’expertises par l’étude d’opérations singulières mais de grande envergure sur des villes telles que Nantes, Lille, Strasbourg ou Genève. L'accent est mis sur la recherche d'attractivité et d'innovation. Celle-ci parait résider surtout dans la mise en place « d'ingénierie » plus concourante et moins séquentielle, mais qui reste portée essentiellement par des professionnels et une reconfiguration des maîtrises d'ouvrage. Bien que la notion de projet urbain y soit en théorie présentée comme une démarche collective où le maître d’ouvrage urbain doit « gérer l’interactivité qui fait évoluer le projet dans la concertation et les partenariats » (Frébault, 2005, p. 33), l’habitant n’y est pas considéré comme une partie prenante ni un acteur, même potentiel, du projet urbain.

Seules quelques recherches portant sur les opérations de renouvellement ou de rénovation urbaine abordent clairement le sujet, pour finalement constater la très faible implication des habitants dans les démarches de projet, au-delà des procédures de relogement (Allen et Bonetti, 2013 ; Donzelot, 2004). Abordant le projet urbain selon une « approche négociée » (1997), Michel Callon puis Gilles Novarina (2000) évoquent en filigrane le « désir d’impliquer le plus grand nombre (qui) conduit à rechercher de nouveaux rapports entre décideurs politiques, experts

professionnels et habitants » (2000, p. 178). Cette approche du projet urbain, mobilisant les habitants, reste

cependant principalement « théorique ». Il faut en fait attendre l'intégration dans les politiques urbaines des collectivités des principes de développement durable, notamment à la suite du Grenelle de l'Environnement, pour que l'habitant soit considéré comme un acteur à part entière des démarches de projet urbain, et mobilise de manière plus systématique l'attention des chercheurs comme celle des praticiens. Les recherches sur l'ingénierie des projets urbains portent jusqu'alors essentiellement sur des opérations complexes, car pour les chercheurs qui s'intéressent à cette question, le projet urbain s'inscrit forcément dans le cadre de grandes villes et même de métropole (Arab, 2009). Nous démontrerons, par la suite, que la notion de projet urbain peut être aussi tout à fait pertinente et envisageable dans un contexte de petite ou de moyenne ville.

1.5 Le tournant des années 2000 : l’émergence de la figure de

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