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Le projet urbain comme action collective : la théorie de la régulation sociale

1 Cadre méthodologique et analytique

1.4 L’élu et le projet urbain : théories de l’action organisée et de la régulation sociale

1.4.2 Le projet urbain comme action collective : la théorie de la régulation sociale

Le projet en tant que fondement de l’action collective articule rationalisation et régulation. Comprendre ce que le projet suppose en tant que dispositif de rationalisation suppose d'identifier ce qu’il recouvre en pratique. Jean-Pierre Bréchet et Pierre Boutinet (2014) proposent de distinguer l’élaboration de la

comme le projet urbain, se stabilisent entre des acteurs individuels et collectifs et donc aux normes et négociations qu’ils développent pour développer une action collective (Musselin, 2005).

réalisation118, le projet contenu (son expression écrite et orale), et le projet processus (en tant que pratique organisationnelle). Le projet-contenu (ou la programmation dans le cadre du projet urbain) constitue une rationalisation ex-ante : « un mixte d’éléments de diagnostic, d’intentions, de règles de décisions et de décisions déjà retenus,

un discours de légitimation ou de justification des fins et des moyens envisagés. Durant la phase d’élaboration, c’est un contenu à faire advenir, durant la phase de mise en œuvre, c’est un référent dans l’action » (Bréchet et Desreumaux, 2006, p. 13).

Le projet processus renvoie à la complexité des pratiques organisationnelles : « c’est un savoir en constitution

inséparable d’une dynamique des relations entre acteurs, et ce qui est en jeu c’est la régulation des collectifs » (Bréchet et

Desreumaux, 2006, p. 13). La plupart des contextes d’actions collectives s’inscrivent dans un contexte de projet qui donne impulsion à l’action. Cela n’empêche ni la possibilité d’ajustement, ni la construction d’un chemin qui se fait en marchant. Le projet et les changements de projet amènent à l’instauration de nouvelles règles créées au fil du temps, amenées à devenir des normes, routines ou conventions. Le projet est alors l’occasion de « réinterroger les façons de penser, de se défaire des acquis devenus obsolètes pour l’avenir différemment de ce que

suggèrent les pratiques actuelles ». L’action collective est ici définie comme « tout contexte de relation sociale ou d’interaction sociale présentant un caractère durable ou récurrent (…) les acteurs se trouvent en situation d’interdépendance et ne peuvent s’ignorer du fait de cette interdépendance » (Bréchet, 2018, p. 14).Pour Jean-Pierre Bréchet, « l’action

collective est production normative en ce qu’elle suppose et engage des règles qui contribuent à la régulation constitutive du collectif, dans le temps de l’existence de ce collectif. Cette existence repose donc sur des règles conçues par les auteurs et les acteurs de l’action, auxquelles consentent ses participants, et qu’ils font vivre dans et par les régulations. Ces règles, qui participent à la constitution et la régulation du collectif, peuvent se comprendre comme l’expression d’un projet. La préséance logique de la prise en compte de l’action collective est fermement posée, on pourrait dire encore des entreprises sociales qui font que des personnes ou des groupes se rassemblent pour mener à bien des projets d’action. Les régulations et les règles ont la même origine dans une réalité sociale fondamentale, celle de l’action collective. Pour cette raison, l’action collective est notre point de départ et d’ancrage. Nous la poserons comme communauté de projet, mais en comprenant par cette expression une communauté de règles vécues en même que d’apprentissage » (Bréchet, 2018, p. 12). Cette longue citation permet de mieux comprendre les

fondements de la TRS qui repose sur trois grands principes (Reynaud, 1995).

Les fondements de la Théorie de la Régulation Sociale (TRS) ont été posés par Jean-Daniel Raynaud, professeur en sociologie, à la suite d’une étude sur les relations de travail menée dans les années 50, puis sur l’analyse des conflits dans les années 70. La TRS se centre « sur les processus de construction des relations entre acteurs

et tente de montrer comment émerge un acteur collectif » (Livian, 2003, p. 1968). Bien que nourrie originellement par

l’analyse des relations professionnelles, elle dépasse ce contexte et concerne toute discipline qui s’intéresse « aux compromis entre la règle formelle et la pratique, aux différences entre le prescrit et le réel, aux agencements entre la règle

et la convention, etc. » (De Terssac, 2012, p. 3). Elle éclaire l’analyse du projet urbain participatif, entendu

comme un processus, avec tous les échanges, négociations et régulations que les acteurs mettent en œuvre, le positionnement de l’élu face à l’action collective que mobilise le projet urbain. Le conflit, concept fondamental de la TRS (Figure 24) est « l’expression d’un mécontentement qui n’a pu se régler autrement que par ce mode d’expression ». Pour Jean-Daniel Reynaud, le conflit n’est pas une « anomalie ». Au contraire, c’est un 118 Il ne s’agit pas ici d’affirmer que la conception est dissociable de la mise en œuvre.

mode normal de fonctionnement où la rencontre des acteurs au travers du conflit « les constitue en une

communauté capable de construire une action collective, de définir un intérêt commun, de s’engager ensemble, en inventant des règles communes et admises par les parties en présence, qui seront les règles du jeu » (De Terssac, 2012).

- La négociation (ou norme)119 collective. Elle se détermine selon trois caractéristiques (Reynaud, 2005, p. 153) :

▪ Elle s’inscrit dans un cadre plus ou moins déterminé par la législation et par une pratique. ▪ Elle aborde un problème commun aux deux parties et est le plus souvent liée à un conflit :

elle précède ou termine celui-ci.

▪ Il n’est pas possible (même dans son aspect le plus comptable comme le salaire) de marchander, acheter ou vendre une négociation. Dans la négociation, on établit selon quelle règle on achète ou vend du travail. Ainsi, Jean-Daniel Reynaud précise que sont les règles qui sont le produit de la négociation collective.

- La règle est un principe organisateur, elle est centrale « pour désigner le produit de la rencontre des

acteurs, puisque ce que produisent et ce qu’échangent les acteurs, ce sont des règles » (De Terssac, 2012). Elle peut prendre différentes formes, par exemple : « Une injonction ou d’une interdiction visant à déterminer

strictement un comportement. Mais elle est plus souvent un guide d’action, un étalon qui permet de porter un jugement, un modèle qui oriente l’action. Elle introduit dans l’univers symbolique des significations, des partitions, des liaisons ».

Les règles sont l’objet de pressions, contre-pressions, de négociations (Bréchet, 2008).

119 « La régulation se doit alors de faire une place centrale à la constitution des acteurs collectifs à travers les règles qu’ils reconnaissent, qu’ils inventent et qu’ils font vivre (Desreumaux et Bréchet, 2009) avec ce que cela comporte d’incertitudes de coopération, de coordination et d’aboutissement, sans oublier la grande variété des formes d’action collective. »(Bréchet, 2013, p. 195).

Figure 24 Enjeux de la TRS

Source : Ségolène Charles

Jean-Daniel Raynaud souligne que la TRS est une théorie « (..) qui fait reposer l’action collective, en entendant par

là toute action commune, plus ou moins organisée, sur la création d’une norme. Elle est ensuite de faire reposer cette norme sur un échange social qui a les caractères d’une négociation et de lui donner la forme d’une règle d’action. Elle est enfin de comprendre que cette règle d’action participe à la structure d’un jeu organisationnel, c’est-à-dire qu’elle cadre des pratiques et engage des apprentissages » (Bréchet, 2018, p. 11).

La TRS se détache d’une vision déterministe du projet urbain et s’intéresse à l’action collective qui renvoie à une dynamique de régulation « pour désigner et rendre compte de la variété des échanges sociaux qui s’emboîtent, des

différents niveaux de décision qu’il faut articuler, des relations entre éléments hétérogènes qu’il faut coordonner, des ajustements entre de multiples actions qu’il faut faire » (De Terssac, 2012, p. 2). Elle se démarque aussi du fonctionnalisme :

les normes et les valeurs ne déterminent pas les comportements des individus ; au contraire ce sont les acteurs qui produisent le système, et non le système qui détermine les acteurs (De Terssac, 2012, p. 6). La démarche que proposeJean-Daniel Reynaud s’appuie ainsi sur la pluralité des acteurs sociaux et non sur « l’effet unifiant de l’institution » (J.-D. Reynaud, 1995, p. 112). Il souligne l’importance « du compromis symbolisé

par le contrat » dans l’établissement de l’action collective. Dans le projet urbain participatif, les élus, les experts

et les habitants évoluent dans des règles juridiques (la loi MOP, le code des marchés publics…) et des règles sociales120 (l’adaptation des règles juridiques par la pratique) : les acteurs s’entendent, négocient et réalisent

120 D’un côté les règles sont formelles, écrites affichées, préposées pour agir au préalable à l’action qu’elles visent à ordonner, disent « ce qui doit être » et énoncent le normatif, tandis que d’un autre côté, les règles effectives décrivent « ce qui est », c’est-à-dire le normal et la régulation.

des compromis autour de l’élaboration de la commande et le projet qui les lient dans une action collective (Figure 24).

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