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L’échelle de la participation : évaluer les modalités de portage de la décision au cours du projet urbain

1 Cadre méthodologique et analytique

1.3 Les dispositifs d’évaluation de la participation

1.3.1 L’échelle de la participation : évaluer les modalités de portage de la décision au cours du projet urbain

L’échelle de la participation, initialement formalisée par la sociologue américaine Sherry Arnstein à la fin des années 60 (Arnstein, 1969a), décrit les différents niveaux d’implication possible des habitants ou usagers dans la réalisation du projet urbain. Sherry Arnstein distingue trois catégories croissantes d’implication, elles- mêmes subdivisées en trois niveaux (Figure 22) :

- La non-participation qui comprend la « thérapie » et la « manipulation ». Son « objectif (…)

n’est pas de permettre aux gens de participer à la planification (…) mais de permettre à ceux qui ont le pouvoir, de les « éduquer » ou de les « guérir » » (Arnstein, 1969a, p. 3)

- La coopération symbolique qui comprend l’information, la consultation et la réassurance. Elle permet « à ceux qui n’ont pas le pouvoir, d’entendre et de se faire entendre. (…) mais ils n’ont pas le pouvoir

de s’assurer que leur avis seront pris en compte par ceux qui ont le pouvoir » (Arnstein, 1969a, p. 4).

- Le « pouvoir effectif des citoyens » est le degré le plus haut de l’échelle et comprend des degrés d’influence croissante sur la décision. Ainsi, « les citoyens peuvent nouer des partenariats qui leur permettent de négocier et d’engager les échanges avec les détenteurs traditionnels du pouvoir. Au sommet de l’échelle (…), les citoyens (…) obtiennent la majorité des sièges des décideurs ou les pleins pouvoirs en termes de management »

(Arnstein, 1969a, p. 4).

Figure 22 L'échelle de la participation

Bien que fondatrice, cette échelle a été contestée ces dernières années sur de nombreux points (Fung, 2006). Tout d’abord, définie à la fin des années 60, elle est « porteuse d’une dimension critique et partisane » (Zetlaoui- Léger et al., 2013, p. 17) liée au contexte de la rénovation urbaine en Amérique du Nord à cette époque116. Par ailleurs, la version initiale de l’échelle ne fait pas référence à la notion de « concertation ». Ce terme propre et prégnant dans la législation française ne possède pas d’équivalent anglais. Les niveaux « placation » (« réassurance ») « ne revêt pas un niveau aussi fort que celui qu’il occupe en France » (Zetlaoui-Léger et al., 2013, p. 17). Dans le cadre de notre thèse, nous nous appuyons sur la version de l’échelle de Arnstein adaptée par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005) et Pierre Dimeglio (2005). Élaborée à partir d’une synthèse de travaux publiés jusqu’aux années 2000 sur la démocratie locale, cette échelle allant de l’information à l’autogestion a été confortée par l’observation d’opérations d'urbanisme en France et dans les pays anglo-saxons. Comme l’explique Pierre Dimeglio (2005), chaque niveau inclut les précédents. Alors que la catégorisation de Sherry Arnstein valorise les plus hauts niveaux de l’échelle de la participation, cette version adaptée ne cherche pas à « porter un jugement sur la pertinence des démarches menées par rapport à un « idéal participatif » que représenterait le

sommet de l’échelle » (Zetlaoui-Léger et al., 2013, p. 16). De plus, comme le met en exergue Camille Gardesse

(2011), les dispositifs participatifs et leur portée peuvent varier selon le moment et la phase du projet urbain. Ainsi, nous utiliserons cette échelle afin de qualifier l’implication des habitants sur différents objets et différents temps du projet. La terminologie de cette échelle peut faire référence à des modalités de deux types de pouvoir très liés : décisionnel et technique. Par exemple, la coproduction (qui sous-entend un travail commun entre techniciens, experts et habitants) peut induire une forme de codécision (entre élus et habitants) (Zetlaoui-Léger et al., 2013). Nous nous sommes emparés de cette échelle de l’implication (Encadré 14) afin de comprendre, selon le niveau étudié :

- L’influence des réflexions des habitants et des élus ;

- La répartition du portage de la décision entre élus et habitants.

Le tableau ci-dessous (Tableau 8) illustre la répartition de ces deux éléments en fonction du niveau d’implication de l’échelle. Ainsi, au niveau de l’information, les réflexions des habitants n’ont aucune influence sur la décision politique et les habitants ne participent pas à son élaboration.

116 Sherry Arnstein a construit cette échelle pour dénoncer des dispositifs d’instrumentalisation des habitants organisés par des municipalités américaines afin d’obtenir des crédits fédéraux.

Encadré 14 Différents niveaux d'implication du citoyen en démocratie

Les niveaux d’implication des habitants mis en exergue dans cette version (Figure 23) sont les suivants :

- L’information : les habitants ne sont pas associés directement à la réalisation. Il s’agit de porter à la connaissance de tous, les décisions et données du projet. L’information peut se traduire sous différentes formes (exposition, site internet, bulletin municipal…).

- La consultation : les habitants sont invités à donner leur avis lors de réunion publiques ou d’autres formes de dispositif souvent mis en place à un stade avancé du projet : référendum, initiative populaire, etc. Cependant, la maîtrise d’ouvrage n’a pas l’obligation de prendre en compte ces derniers pour avancer le projet.

- La concertation : est un processus de discussion réalisé entre des groupes d’habitants- usagers qui échangent, négocient et participent à l’élaboration du projet. Constitué sur une base de volontariat, sur la réalisation d’un panel par la maîtrise d’ouvrage, ou via un choix relativement aléatoire, elle est restée en France « institutionnelle, politico-administrative et technique » (Gardesse, 2011, p. 32). Lorsque par leurs réflexions, les groupes d’habitants élaborent eux-mêmes le projet, on peut dire que la concertation s’apparente à une forme de « coproduction faible ».

- La participation : souvent mal distinguée de la concertation, elle est le fait de permettre à tous les habitants-usagers qui le souhaitent de s’impliquer à tous les stades d’un projet. La participation suppose la concertation, la consultation et l’information.

- La coproduction : les habitants participent à la réalisation du projet avec les techniciens. Ils ne sont pas invités à seulement exposer des problèmes ou discuter des propositions qui leur sont faites mais participent conjointement aux solutions avec les professionnels. Le niveau de co- construction ne signifie pas qu’il est atteint à tous les moments de la mission et sur tous ses aspects. Cependant, on peut affirmer que deux conditions sont nécessaires afin qu’un projet soit concerté ou coproduit : « qu’il le soit sur ses principaux aspects et dans ses temps forts, que sur les éléments

ou les moments où l’intensité est moins importante, les habitants soient a minima informés de ce qui est en cours ou a été décidé » (Zetlaoui-Léger, Meunier et Hajjat, 2016, p. 25).

- La codécision : les habitants sont associés avec les élus à la décision.

- L’autogestion, l’auto-construction : les habitants décident seuls de la définition du projet, des budgets alloués, voire les réalisent également.

Figure 23 Échelle de la participation

S Source : (Dimeglio et Zetlaoui-Léger, 2007)

Co-production Co-décision

Autogestion

Tableau 8 : Répartition entre élus et habitants des réflexions et du portage de la décision, selon le niveau d’implication des habitants

Niveau d’implication

des habitants Type d'implication des habitants

Influence des réflexions des habitants sur

la décision politique Portage de la décision politique

Élus Habitants Élus Habitants

Information Les habitants ont accès aux différentes données et décisions relatives à un projet.

++++

++++

Consultation L’élu peut prendre en compte l’avis des habitants dans le projet sans obligation. Il

porte la décision.

+++

+

(dépend de la volonté

de l’élu)

++++

Concertation Les habitants sont associés à la réflexion et peuvent influer sur les caractéristiques

du projet. L’élu porte la décision.

+++

+

++++

Coproduction Les habitants participent à la réalisation de projet avec les techniciens.

++

++

+++

+

Codécision Les élus portent la décision avec les habitants « à condition que ces derniers aient un

poids significatif dans l’instance ».

++

++

++

++

Autogestion Les habitants décident eux-mêmes des projets, voire les réalisent également.

++++

++++

Au niveau de la coproduction, on observe que les réflexions des habitants et des élus participent conjointement à l’élaboration de la décision. Enfin, au plus haut niveau de l’échelle, en auto-gestion, l’habitant porte les réflexions et la décision politique.

Cette première grille d’analyse nous permettra d'évaluer le niveau d’implication des habitants dans les différentes missions étudiées, et ainsi la répartition du portage de la décision politique.

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