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3 La petite ville, un territoire entre l’urbain et le rural réapproprié par les pouvoirs publics

3.2 Des petites villes en difficulté financière

Selon l’Observatoire des Finances Locales (Laignel et Guené, 2016), l’enveloppe globale des dotations versées aux communes a diminué de 3,5 milliards d’euros en 2015. En effet, la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) qui représentait une moyenne de 21% des recettes de fonctionnement des communes en 2013, était de seulement 14,8% en 2018. En parallèle, les investissements dans les communes ont chuté de 10%. Au terme de la suppression progressive de la taxe d’habitation par le gouvernement, l’Association des Maires de France estime que la réforme représenterait « 36% de l’ensemble des ressources propres

aux communes ». On observe ainsi une baisse des recettes dédiées aux communes de 2014 à 2017, qui semble

cependant se stabiliser en 2018 (Figure 11).

Figure 11 Montant annuel des dotations globales de fonctionnement (y compris la péréquation) reversées par l'État aux communes

Source : Le Monde, octobre 2018, à partir des chiffres du Ministère de l’Intérieur

Derrière ce montant global, on observe d’importantes inégalités. Afin de favoriser l’égalité dans les territoires, l’État donne davantage aux communes les moins riches grâce au mécanisme de péréquation. Cette répartition pose question. En effet, on observe deux mécanismes de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse et donc les inégalités entre les territoires :

- La péréquation horizontale s’effectue entre les collectivités et consiste à attribuer aux collectivités défavorisées une partie des ressources des collectivités les plus aisées.

- La péréquation verticale est assurée par les dotations de l’État aux collectivités avec le DGF comme principal instrument.

Or, la principale démarche de péréquation est verticale : en 2017, 70,6% des transferts financiers en 2017 se sont effectués entre collectivités. Plusieurs paramètres perturbent cette apparente stabilité, comme la baisse du nombre d’emplois aidés (35 % prévus en 2019 par rapport à 2018), ou encore la baisse des aides au logement (APL), qui a contraint les offices publics de l’habitat à baisser d’autant les loyers pour ne pas pénaliser les locataires précaires (coût de plusieurs centaines de millions d’euros). Les communes sont donc de plus en plus amenées à devoir évoluer avec des budgets restreints (Encadré 4), en particulier les petites et moyennes villes.

Encadré 4 Les principales sources de recettes d’une commune

Le budget d’une commune est composé de dépenses et de recettes. En termes de recettes « définitives » (Vie Publique, 2018), les deux principales sources de recettes sont les impôts locaux (taxe d’habitation payée par tous les habitants et la taxe foncière payée par tous les propriétaires de biens immobilier) et les concours de l’État. Calculés en s’appuyant sur la valeur estimée du loyer des habitants et un taux défini par la commune et encadré par l’État, les impôts et taxes sont les principales ressources financières de la commune. À ces recettes fiscales s’ajoute un financement de l’État lors de la décentralisation afin de permettre aux communes d’assurer les constructions et les gestions d’équipements tels que les crèches, écoles primaires ou maternelles. Les communes peuvent obtenir des recettes « temporaires » en réalisant des emprunts auprès des banques mais uniquement pour financer des dépenses d’investissement, pour la réalisation d’un équipement, par exemple. La commune ne peut s’endetter pour rémunérer ses employés municipaux. Les dépenses sont de trois types : les dépenses de fonctionnement (employés municipaux, indemnité du maire, subventions pour les associations), dépenses d’équipement, remboursement des emprunts. Le budget est soumis au vote du conseil municipal avant le 15 avril de chaque année.

Par ailleurs, depuis les années 70, on observe une « métropolisation » du territoire français au détriment des petites communes. Ce processus de concentration des ressources nécessaires au développement d’un territoire (population, finance, information)73 s’est construit à travers différentes lois depuis les années 60. En effet, dès 1963, la DATAR renforce la métropole et crée les « métropoles d’équilibre » : une ville (ou un réseau de villes) dont l'importance régionale est destinée à jouer un rôle dans l'aménagement du territoire en France en faisant contrepoids économiquement et démographiquement à l'hypercentralisation parisienne74.

73 Intervention Didier Paris, lors de l’école d’été internationale : « Small and medium cities new deal, new ways of dialogue ? », septembre 2018.

74 Suite au rapport Hautreux et Rochefort (1963) huit villes (ou villes en réseaux) sont désignées, à partir de 1964, comme métropoles d'équilibre : Lille-Roubaix-Tourcoing, Nancy-Metz, Strasbourg, Lyon-Grenoble-Saint-Etienne,

Ces métropoles bénéficient d'une politique volontariste destinée à rééquilibrer le poids de Paris. La qualité de métropole d'équilibre n’apporte aucun statut juridique particulier aux villes concernées, mais constitue un cadre pour l'intervention des pouvoirs publics. Elles sont alors dotées d'équipements, d'investissements publics renforcés.

Le métropolisation apparaît comme un phénomène de polarisation économique et démographique. Il se traduit par le phénomène de la « métropole assurance tous risques » (Veltz, 1996). La grande ville permet facilement de disposer d’un marché du travail important et diversifié. La situation des petites et moyennes villes dépend de leur proximité aux métropoles : « Si la commune est incluse dans une agglomération, du fait de

l’organisation supra-communale qui tend à se développer, les enjeux du développement urbain se posent en partie à travers la mutualisation de certaines politiques : ramassage et tri des ordures, politique culturelle, planification etc. En revanche, les communes incluses dans des périmètres d’intercommunalité urbaines ne sont pas toutes dans la même situation » (Taulelle,

2010, p. 10). Cette situation se renforce avec la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPTAM) dont l’objectif est de soutenir « l’affirmation des métropoles ». Cette dynamique de concentration spatiale qui s'inscrit, aujourd'hui, non plus seulement dans une logique de rééquilibrage à l'échelle nationale, mais aussi dans une dynamique de compétition économique internationale, est interrogée par de nombreux chercheurs qui craignent la marginalisation des espaces situés hors du périmètre de ces nouveaux espaces de coopération (Faburel, 2018). Ces lois successives, au profit des métropoles, laissent les petites villes démunies.

Le peu de programme nationaux et européens destinés à ces entités accentue le manque de moyens financiers et d’accompagnement propres aux petites villes. Les villes moyennes (Encadré 5) avaient plus ou moins fait l’objet d’une attention particulière par les pouvoirs publics dès les années 70, mais les petites villes avaient été relativement délaissées. Aujourd'hui, les« pôles d’excellence rurale » (politique menée par la DATAR75 depuis 2005) concernent, comme son nom l’indique, le monde rural « dans lequel la petite ville est

souvent diluée au regard des décideurs politiques (même si de nombreuses petites villes y participent de fait comme animatrices et lieux de concentration des principaux acteurs publics et privés) » (Edouard, 2008, p. 35). On observe un phénomène

similaire pour les volets urbains des politiques actuelles d’aide au développement territorial : les pôles de compétitivité sont utilisés par les grandes villes, mais extrêmement peu par les petites villes qui ne bénéficient pas de ressources technopolitaines, comme les centres de recherche. Seule l’Union Européenne leur accorde une place relativement structurante depuis la fin des années 1990 avec le Schéma de Développement de l’Espace Communautaire (SDEC). Document d'orientation de la politique territoriale et spatiale de l'Union européenne approuvé par le Conseil informel des Ministres responsables de l'aménagement du territoire de Potsdam, en 1999, il vise à un développement spatial équilibré et durable du territoire de l'Union européenne et s'inscrit dans la politique régionale : « Les villes petites et moyennes et leurs interconnexions constituent des nœuds

importants de la structure spatiale, surtout en milieu rural [...], elles seules sont en mesure de proposer des infrastructures et des Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes-Saint-Nazaire. Par la suite, quatre autres villes furent associées : Rennes, Clermont-Ferrand, Dijon, Nice.

75 La Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale est une ancienne administration française chargée, de 1963 à 2014, de préparer les orientations et de mettre en œuvre la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire.

services aux activités économiques de la région » (Paumier, 1998). Cette situation de délaissement des politiques

nationales a amené les acteurs des villes petites et moyennes à s’investir dans le Programme National de Renouvellement Urbain (PNRU) depuis le début des années 2000, dans une recherche de rénovation urbaine (Gaudin, 2018).

Encadré 5 Une politique des villes moyennes

En 1973, une politique des villes moyennes est inaugurée par la DATAR : celle-ci met notamment l’accent sur des opérations d’embellissement et d’aménagement du cadre de vie : « alors que la politique des métropoles d’équilibre avait pour ambition de structurer l’espace

régional en offrant à la France des pôles d’importance, alternatifs à l’expansion parisienne, la politique des villes moyennes se déploie à travers des projets d’aménagement d’équipements publics ou le développement des services collectifs centrés sur les besoins des villes elle-même » (Santamaria, 2012,

p. 9). En 1976, face aux conséquences de la crise économique, pour les villes moyennes, les financements des opérations concernant l’environnement urbain vers l’attraction de nouvelles activités industrielles et tertiaires sont réorientés vers des primes à l’installation dans les secteurs industriel et tertiaire. En 1979, la politique des villes moyennes est abandonnée. Face au désengagement financier de l’État, les villes tentent d’assurer leur pérennité par elles-mêmes et se met alors en place une compétition entre villes afin d’attirer de nouveaux investissements publics et privés. Le rapport Guichard (1986) consacre la notion de concurrence entre les villes : le destin des villes se mesure à présent en lien avec les villes européennes, en termes d’attractivité et créativité. Cette posture se traduit par une promotion de l’image de la ville à l’extérieur, avec une politique de communication forte et l’encouragement des déplacements des personnes et entreprises (Santamaria, 2012). Ce déclin peut s’expliquer par des évolutions économiques et spatiales des quarante dernières années : « aujourd’hui ces villes sont concernées par certains enjeux majeurs d’aménagement du territoire comme la promotion d’une organisation polycentrique des territoires, la structuration des espaces métropolisés ou la question des rapports urbain/rural » (Santamaria, 2012, p. 3).

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