• Aucun résultat trouvé

Une catégorie dans un monde de catégories :

Pour révéler et suivre les implications de ce travail définitionnel, je considérerai les variations introduites par cette nouvelle mise en page des musiques amplifiées. Tout d’abord je remarquerai l’absence de titre de définition. Ce manque d’intitulé est justifié pleinement par l’astérisque et par l’utilisation de guillemets : ce texte concerne l’occurrence du terme « musiques électro-amplifiées ». Je noterai également la forme écourtée de cette seconde présentation. Sa brièveté répond aux normes textuelles de la définition et fait apparaître par contraste la pertinence de la construction en sous-partie (et non en note par exemple) de l’ « Essai de définition » présenté dans l’article « L’usage, Ethno-sociologie des musiciens utilisant des instruments électro-amplifiés ». Je soulignerai

83

de même l’usage de guillemets pour introduire le vocable musiques électro-amplifiées et l’accord au singulier du verbe dont il est sujet :

« « Musiques électro-amplifiées » ne désigne pas un genre musical en particulier mais se conjugue au pluriel, pour signifier un ensemble de musiques qui utilisent […] » (Touché 1998b : 84)

Si les musiques électro-amplifiées se conjuguent au pluriel au sein de cette définition, l’appellation « musiques électro-amplifiées » est constituée, de par sa grammaire, en

catégorie musicale. Une unité de différenciation de la musique, au même titre que les

catégories rock, rap, techno par exemple, à ceci près que sa définition ne recouvre pas un genre musical mais des genres musicaux. Cet usage entre guillemets et cet accord au singulier organisent une mise à niveau de ces façons de distinguer la musique. Ils ouvrent une discussion en termes de catégories musicales.

Autre détail notable, clôturant ce « jeu des différences »32, les listes de genres musicaux regroupés sous la catégorie musiques amplifiées présentent quelques divergences. Voici un extrait de notre première définition :

« certaines formes des musiques de chansons dites de variétés, certains types de jazz et de musiques dites du monde, de fusions, le funk, le hard rock, la house-music, le jazz rock, la musique industrielle, le reggae, le rap, le rock’n roll, la techno, la dance- musique, de recherche…et tous les bricolages sonores non encore identifiés. » (Touché 1998a : 68)

Et un de notre seconde :

« certaines formes des musiques de chansons dites de variétés, certains types de jazz et de musiques dites du monde, de fusions ; le jazz rock, le rock’n roll, le hard rock, le reggae, le rap, la techno, la house-music, la musique industrielle, le funk, la dance-

32 J’aurais pu également relever la mise au singulier de « l’électricité et l’amplification sonore électronique

comme » « élément plus ou moins majeur » (Touché 1998a : 84) ou « éléments plus ou moins majeurs » (Touché 1998b : 68) « des créations musicales et des modes de vie (transport, stockage, conditions de pratiques, modalités d’apprentissage…) »

84

musique…et tous les bricolages sonores non encore identifiés. » (Touché 1998b : 84)

Marc Touché dans ces définitions présente le terme musiques amplifiées comme un « outil fédérateur regroupant des univers qui peuvent être très contrastés ». Les univers que cette catégorie regroupe sont faits de genres musicaux. Si le vocable « musiques amplifiées » se « conjugue au pluriel » et « ne désigne pas un genre musical en particulier », l’expression de sa pluralité nécessite une référence à des catégories musicales consacrées. Cette composition des musiques amplifiées se veut ouverte. Les genres musicaux pouvant lui être affiliés restent à identifier. Cette souplesse définitionnelle doit cependant être appréciée à la mesure des critères de différenciation utilisés. En effet, la juxtaposition de ces univers « contrastés » engage une seule variable : l’implication ou non d’une chaîne technique constituée par les micros, la pré-amplification, l’amplification et les haut-parleurs dans leur création et leur pratique. Les genres musicaux cités ne répondent pas de la même manière à ce critère de différenciation. Ainsi, pour Marc Touché certains genres s’inscrivent explicitement dans les musiques amplifiées (« le funk », « le hard rock », etc.) alors que d’autres musiques sont seulement partiellement incluses (« certains types de jazz et de musiques dites du monde »). Les réserves dont fait preuve le sociologue quant à l’utilisation de certaines étiquettes (« dites de variété », « dites du monde ») questionnent la nomination et la différentiation de ces univers contrastés fédérés par les musiques

amplifiées. L’espace constitué par la réunion de ces genres musicaux se révèle avoir une

existence et une cohérence discutable. L’action fédératrice de cette catégorie se fait dans un environnement à définir et à identifier, un environnement dont l’investissement est dépendant d’un ensemble d’actions et appelle donc la reconnaissance d’un ensemble d’acteurs. De par sa construction, la catégorie musiques amplifiées ne se subordonne pas à cet espace en mouvement. En effet, cette façon de donner corps aux musiques amplifiées joue d’une rhétorique impressionniste : il s’agit de suggérer une diversité par un effet de juxtaposition, non de la borner.

Dans notre seconde énumération nous noterons l’utilisation d’un point virgule. On remarquera également une articulation différente de ces genres musicaux. Si les catégories citées restent les mêmes, à partir de ce point virgule elles se donnent à lire dans un nouvel ordre. Ces variations paraissent arbitraires et il semble que ces inventaires (présentés comme non exhaustifs) ne se constituent pas en suite signifiante. Un indice pourtant révèle l’aspect raisonné de ces remaniements : la disparition dans notre seconde définition du « de

85

recherche » en fin d’énumération. Pour être compris ce segment nécessite d’être relié à l’ouverture de cette juxtaposition : soit « certaines formes des musiques dites » « de recherche » ou « certains types » « de recherche ». Cette absence, associée à l’usage du point virgule, semble souligner une distinction dans la constitution de ces univers regroupés par les musiques amplifiées. J’associerai cette construction distinctive au phénomène d’inclusion partielle ou complète révélé par les segments « certaines formes de », « certains types de ». De fait dans cette seconde définition Marc Touché exclut explicitement les genres musicaux cités d’une possible expression acoustique : à la différence de « certaines formes de chansons » ou de « certains types de jazz » le « reggae » - pour prendre l’exemple le plus litigieux - ne peut être acoustique. Cette nouvelle présentation, bien qu’elle soit composée sur un même modèle non exhaustif, est la trace d’un souci de clarification et d’organisation des univers regroupés par cette construction catégorielle. De ce point de vue, le nouvel ordre proposé me semble vouloir atténuer l’effet de « contraste » propre à la juxtaposition de ces « univers ». Ainsi, dans notre seconde liste les trois premiers genres musicaux cités sont « le jazz rock, le rock’n roll et le hard rock » trois catégories dont les étiquettes impliquent le terme « rock ».

Les connections entre l’ensemble constitué par les musiques amplifiées et les univers identifiés à l’aide de genres musicaux impliquent une problématique de la catégorisation : sur quels critères se fonder pour différencier la musique ? Ainsi, en définissant les musiques amplifiées le sociologue soulève un questionnement relatif à ses rapports avec les musiques non-amplifiées, autrement dites « musiques acoustiques », impliquées par ce mode de différenciation des musiques :

« A la différence des musiques acoustiques qui nécessitent l’appoint ponctuel de sonorisation pour une plus large diffusion, les « musiques électro-amplifiées » sont crées, jouées à partir de la chaîne technique constituée par […] » (Touché 1998a : 68)

Les musiques amplifiées, paradoxalement, introduisent de la différence dans la production des musiques non dans des musiques produites. Cette catégorie en servant d’outil à une approche socio-historique de la vie musicale importe dans les travaux de Marc Touché un ensemble de problèmes rhétoriques. En effet, parler de musiques amplifiées c’est placer la focale sur les musiques non sur les musiciens. Un renversement fondateur pour l’historiographie de la musique. L’élaboration d’un discours sur les pratiques musicales est

86

tributaire d’un travail de modélisation de la diversité musicale. La différenciation et la nomination des musiques servent l’élaboration d’un discours sur les acteurs de la vie musicale. Le paradoxe interne à la création de la catégorie musiques amplifiées provient du fait qu’elle organise la diversité musicale en fonction de ses conditions de création sans pour autant impliquer une dépendance et une référence à des créateurs. Si vous faites de la musique en utilisant un matériel électro-amplifié, quelle que soit votre façon d’identifier votre création, je suis en mesure de vous catégoriser dans les musiques amplifiées. Ainsi, l’usage de ce terme présente l’avantage de dégager le chercheur d’une problématique relative à l’identification des créations musicales en termes de genres musicaux – et de ce fait d’une discussion avec les créateurs de musiques – et profite de l’efficacité rhétorique et historiographique propre à une approche de l’activité musicale par les musiques.